Persona Non Grata au Burkina Faso: La communication stratégique des Nations Unies en question

Persona Non Grata au Burkina Faso: La communication stratégique des Nations Unies en question

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Le 18 août 2025, Le gouvernement du Burkina Faso a déclaré persona non grata la Coordonnatrice Résidente du Système des Nations Unies, Madame Carol Flore-SMERECZNIAK. La cause : un rapport sur « Les enfants et le conflit armé au Burkina Faso » adressé au Conseil de Sécurité, que les autorités burkinabè ont jugé partial, non collaboratif et insultant. Après Barbara Manzi (Le 23 décembre 2022, Barbara Manzi, la Coordinatrice résidente et humanitaire des Nations Unies au Burkina Faso, a été déclarée persona non grata par le gouvernement du pays) mais aussi Guillaume Ngefa-Atondoko Andali (Le 5 février 2023, Guillaume Ngefa-Atondoko Andali, le directeur de la division des droits de l’homme de la Minusma a été déclaré « persona non grata » au Mali, avec obligation de quitter le territoire national dans un délai de 48 heures) ou encore les sept responsables d’agences de l’ONU en Ethiopie qui, le 30 septembre 2021, ont été déclarés persona non grata avec l’obligation de quitter le territoire national dans un délai de 72 heures), cet événement illustre manifestement les conséquences d’un déficit en communication stratégique.

Ayant travaillé dans des contextes similaires, cette situation m’invite à analyser, du point de la communication stratégique, comment une action, probablement menée avec l’intention de servir un mandat légitime, a pu produire un résultat diamétralement opposé : la rupture du dialogue et l’affaiblissement de la coopération. Surtout, en décryptant cet événement, nous pouvons extraire des leçons essentielles sur l’art et la nécessité d’une communication pensée comme un levier de transformation et non comme un simple outil de reporting.

Communication, stratégie : de quoi parle-t-on ?

Pour comprendre où la mécanique s’est enrayée, il est impératif de s’accorder sur les concepts fondamentaux. Trop souvent, la communication est réduite à la transmission d’informations et la stratégie à une planification technique. C’est une vision dangereusement réductrice.

La communication stratégique est un processus intégré qui façonne la décision elle-même en se demandant constamment : « Comment cette action sera-t-elle perçue par l’autre ? Quel récit va-t-elle alimenter ? Sert-elle notre objectif de transformation à long terme ? »

La communication est, fondamentalement, la question de l’autre. Comme le souligne le sociologue et spécialiste français de la communication Dominique Wolton, communiquer n’est pas simplement diffuser un message, mais « négocier et cohabiter ». C’est un processus politique par essence, car il s’agit de gérer les différences, de surmonter « l’incommunication » inhérente à toute relation humaine, et de construire un terrain d’entente pour vivre ensemble. La communication ne vise pas à l’unanimité, mais à la coexistence pacifique. En oubliant que l’interlocuteur (ici, un État souverain luttant pour sa survie) est un sujet avec sa propre histoire, sa propre dignité et ses propres angoisses, on transforme le dialogue potentiel en un monologue qui ne peut que générer de la friction.

La stratégie, quant à elle, est ce qui transforme. Elle ne se résume pas à un plan d’action. Elle est la réponse à deux questions existentielles : « Qui est-ce que je sers ? » et « Quel est le changement que j’essaie de réaliser ? ». La stratégie est l’acte de choisir ce que nous faisons aujourd’hui pour améliorer demain. Elle est prospective. Sans une réponse claire à ces questions, une action, aussi bien intentionnée soit-elle, devient une simple tactique, une opération sans âme qui risque de créer plus de problèmes qu’elle n’en résout.

Dès lors, la communication stratégique devient l’art d’anticiper et de gérer les conséquences de nos actions et de nos paroles. On est loin, ici, des relations publiques pour embellir une décision déjà prise. La communication stratégique est un processus intégré qui façonne la décision elle-même en se demandant constamment : « Comment cette action sera-t-elle perçue par l’autre ? Quel récit va-t-elle alimenter ? Sert-elle notre objectif de transformation à long terme ? ». C’est à l’aune de cette définition que la situation actuelle des Nations Unies au Burkina Faso doit être analysée.

Quand le déficit stratégique mène à la crise

La sanction infligée à la Coordonnatrice Résidente, loin d’être le fruit du hasard ou d’une décision spontanée, s’avère être la conséquence d’une série de faits que le gouvernement burkinabè considère être des manquements stratégiques. Le communiqué du gouvernement burkinabè s’avère être un cas d’école des angles morts d’une approche technique et procédurale, en décalage avec la réalité politique et humaine du terrain. Lesquels ?

La communication stratégique aurait imposé de partager les méthodologies et les preuves en amont, ou a minima de reconnaître les limites de l’information collectée, afin de bâtir une crédibilité partagée. Sans cela, le rapport n’est plus un outil de dialogue, mais une arme dans une guerre de l’information.

Premier déficit : La rupture du principe de cohabitation. Le gouvernement s’indigne de n’avoir été « ni associé à son élaboration, encore moins informé des conclusions ». Cette simple phrase révèle un déficit de collaboration. L’équipe des Nations Unies aurait perçu son partenaire étatique non pas comme un co-acteur du changement, mais comme un objet d’étude. En agissant ainsi, elle aurait brisé le principe politique de la communication. Elle aurait cessé de « négocier » la réalité pour imposer une version unilatérale de celle-ci. Dans un contexte de reconquête ou affirmation de souveraineté, où des nations comme le Burkina Faso luttent contre ce qu’elles perçoivent comme des relents de néocolonialisme et « la fabrique d’un État raté » analysée par le philosophe congolais Jean-Pierre Mbelu, une telle approche est perçue non comme une maladresse mais comme une agression symbolique.

Deuxième déficit : La confusion entre l’outil et l’objectif. La stratégie répond à « qui je sers ? ». En théorie, les Nations Unies servent à la fois les idéaux de leur Charte et le peuple du pays hôte, en partenariat avec son gouvernement. Or, la méthode dénoncée, par les autorités Burkinabè, semble avoir créé une opposition entre ces loyautés. Le rapport, en étant perçu comme une mise en accusation externe, a cessé de servir l’objectif de transformation positive. Au lieu de renforcer les capacités de protection de l’enfance, il a généré une crise de confiance qui fragilise la coopération. L’outil (le rapport) a supplanté l’objectif (améliorer le sort des enfants en collaboration avec l’État).

Troisième déficit : L’incapacité à anticiper les conséquences narratives. C’est le cœur de l’échec de la communication stratégique. Le communiqué dénonce un « style narratif citant indistinctement les terroristes et les institutions de défense et de sécurité ». Pour une armée nationale qui perd des hommes chaque jour, être mis sur le même plan narratif que les groupes qui les tuent peut-être perçu comme un affront. C’est un choix sémantique aux conséquences politiques graves. Stratégiquement, il aurait sans doute fallu anticiper que ce choix de mots serait interprété comme une délégitimation de l’État et un déni du sacrifice de ses soldats.

Par ailleurs, l’absence de « rapports d’enquêtes » ou d' »arrêts de justice » en annexe a transformé le document en une « compilation d’affirmations sans fondements » aux yeux du gouvernement. La communication stratégique aurait imposé de partager les méthodologies et les preuves en amont, ou a minima de reconnaître les limites de l’information collectée, afin de bâtir une crédibilité partagée. Sans cela, le rapport n’est plus un outil de dialogue, mais une arme dans une guerre de l’information.

En somme, l’équipe spéciale pays des Nations Unies a probablement suivi à la lettre un mandat technique, mais en minimisant le cadre politique et stratégique de son application. Elle a confondu la production d’un document avec la production d’un changement. Le résultat est là : une interlocutrice jugée « non crédible » et une coopération essentielle fragilisée.

Quelques pistes pour une communication stratégique efficace en contexte de crise

Cet événement doit servir de base pour refonder l’approche de la communication des Nations Unies dans des contextes sécuritaires, militaires et humanitaires complexes. Pour être efficace et légitime, cette approche doit reposer sur des bases renouvelées, passant d’une logique de transmission à une culture de la relation.

Le rôle d’un(e) Coordonnateur(trice) Résident (e) n’est pas seulement de coordonner des agences, mais d’être le principal « traducteur » entre le système onusien mondial et la réalité nationale. Ce rôle de traduction est d’autant plus efficace et pertinent que le bureau de la coordination est appuyé par un expert en communication stratégique. Cette traduction exige une capacité d’écoute profonde pour comprendre les « lignes rouges », les fiertés nationales, les traumatismes historiques et les dynamiques politiques locales.

Base 1 : De la consultation à la co-construction.
« Consulter » les partenaires nationaux, c’est bien mais ce n’est pas arrivé comme on dit au Burkina Faso. Il faut, en effet, co-construire avec eux le diagnostic et les solutions. C’est d’ailleurs ainsi qu’est façonné le Cadre de coopération des Nations Unies pour le développement durable qui officialise les cadres de travail entre les Nations Unies et le pays hôte. Dans le cas du rapport sur les enfants, cela aurait signifié la mise en place d’une équipe d’enquête et de rédaction véritablement mixte dès le premier jour, associant l’expertise onusienne et les structures compétentes de l’État. Une telle approche est plus lente et plus complexe, mais elle garantit l’appropriation nationale, la crédibilité des données et la durabilité des actions qui en découlent. C’est l’application directe du principe de « cohésion » cher à la Charte des Nations Unies.

Base 2 : L’anticipation systémique des récits.
Avant toute publication ou déclaration majeure, le bureau de la coordination doit institutionnaliser une « analyse d’impact narratif ». Cela consiste à se poser une série de questions critiques :
• Quel récit dominant notre action va-t-elle renforcer ou contredire dans ce pays ?
• Comment nos mots seront-ils interprétés par le gouvernement, l’opposition, la population, les groupes armés ?
• Notre communication renforce-t-elle la légitimité de l’État partenaire ou l’affaiblit-elle involontairement ?
• Notre action est-elle perçue comme un soutien à la souveraineté nationale ou comme une ingérence ?

Cette discipline d’anticipation permet de passer d’une communication réactive (gérer la crise après le communiqué) à une communication proactive qui façonne un environnement de confiance.

Base 3 : La diplomatie du langage et de la preuve.
Dans un environnement de défiance ou de méfiance, la précision est une forme de respect. Les terminologies doivent être négociées et clarifiées. La distinction entre forces de défense légitimes et groupes terroristes ne doit jamais être ambiguë. De même, la méthodologie de collecte d’informations doit être transparente. L’approche doit être : « Voici les allégations que nous avons reçues, voici comment nous les avons vérifiées, voici les limites de nos informations. Travaillons ensemble pour établir la vérité et y remédier. » Cette posture d’humilité et de rigueur est le seul antidote au poison du soupçon.

Base 4 : Une culture de l’écoute et de la traduction culturelle.
Le rôle d’un(e) Coordonnateur(trice) Résident (e) n’est pas seulement de coordonner des agences, mais d’être le principal « traducteur » entre le système onusien mondial et la réalité nationale. Ce rôle de traduction est d’autant plus efficace et pertinent que le bureau de la coordination est appuyé par un expert en communication stratégique. Cette traduction exige une capacité d’écoute profonde pour comprendre les « lignes rouges », les fiertés nationales, les traumatismes historiques et les dynamiques politiques locales. C’est ce savoir, qui ne figure dans aucun manuel, qui permet de traduire les mandats universels de l’ONU en actions localement pertinentes et acceptables.

Un Impératif de Réinvention

Parfois, on a l’impression que certains événements sont des coups de poing, alors que plus tard on réalise que c’étaient en fait des coups de pouce. Dans cette perspective, nous pouvons faire « contre mauvaise fortune, bon usage», en considérant cette situation comme une leçon nécessaire.

L’art d’anticiper les conséquences est aussi une condition de survie pour la pertinence et la légitimité du multilatéralisme au XXIe siècle.

Une leçon qui nous rappelle que dans les contextes de fragilité, de conflit et de transition, la communication est la fonction stratégique par excellence. Elle est le vaisseau qui porte la confiance, sans laquelle aucune action humanitaire, de développement, de sécurité ou de paix ne peut réussir.

Pour les Nations Unies, il s’agit de transformer une culture organisationnelle parfois portée sur les processus et les rapports en une culture de l’impact politique et de la relation humaine mutuellement bénéfique. Il s’agit de prouver, par l’action et par la parole, que l’Organisation est un partenaire engagé dans un combat commun pour la dignité, la paix et la souveraineté. L’art d’anticiper les conséquences est aussi une condition de survie pour la pertinence et la légitimité du multilatéralisme au XXIe siècle.

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Des pyramides à bâtir.

« L’invocation par nous du passé seul, du passé simple, ne prouve rien pour le présent et l’avenir, alors que la convocation d’un présent médiocre ou calamiteux comme témoin à charge contre nous, peut mettre en doute notre passé et mettre en cause notre avenir. C’est pourquoi chaque Africaine, chaque Africain doit être, ici et maintenant, une valeur ajoutée. Chaque génération a des pyramides à bâtir. »
– Joseph Ki-Zerbo, extrait de son livre « Paroles d’hier pour aujourd’hui et demain »