Le storytelling et le hold-up de nos imaginaires

Le storytelling et le hold-up de nos imaginaires

Le storytelling et le hold-up de nos imaginaires 1024 944 #PIEcE

Pourquoi le storytelling ne doit pas nous détourner du raisonnement rationnel et de l’esprit critique d’une part, et comment les leaders, décideurs et sociétés civiles africains pourraient empêcher le hold-up de nos imaginaires, d’autre part.

Dans les traditions africaines, l’art de raconter des histoires a toujours été un pilier de la cohésion sociale et de la transmission culturelle. Il a permis de forger des identités, de célébrer les héros et de donner un sens au monde. Depuis le tournant du XXIe siècle, l’art de raconter des histoires est devenu tendance, notamment dans le monde du travail, mais ce n’est pas vraiment cet art ancestral africain. Sous l’appellation anodine de storytelling, il s’est transformé en un outil de pouvoir, de contrôle et de manipulation, une « machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits » pour reprendre le sous-titre du livre de même nom de Christian Salmon.

Aujourd’hui le recours à l’art de raconter des histoires a souvent pour objectif de dominer ou de soumettre. Le storytelling se déploie partout, du management qui remplace les arguments rationnels par des récits motivants pour convertir les plans en conduites individuelles, aux militaires qui l’utilisent pour s’adapter aux théâtres de guerre asymétriques.

Dans son livre « Storytelling », Christian Salmon révèle comment cette technique, initialement enseignée aux scénaristes, a été cooptée par les gourous du marketing et de la communication politique. Aujourd’hui le recours à l’art de raconter des histoires a souvent pour objectif de dominer ou de soumettre. Le storytelling se déploie partout, du management qui remplace les arguments rationnels par des récits motivants pour convertir les plans en conduites individuelles, aux militaires qui l’utilisent pour s’adapter aux théâtres de guerre asymétriques.

Plus insidieux encore, il a commencé à rivaliser avec la pensée logique pour comprendre des phénomènes aussi complexes que la jurisprudence, la géographie ou la guerre. C’est là tout le danger : des histoires séduisantes peuvent devenir un substitut dangereux aux faits et aux arguments rationnels.

L’imaginaire africain, terrain d’une nouvelle bataille

En Afrique, cette « guerre des idées » n’est pas une simple théorie. Elle est, comme souvent dès que cela touche nos cœurs et nos esprits, un enjeu de survie et de souveraineté. La lutte pour l’avenir de nos nations africaines est fondamentalement un combat intellectuel. Le storytelling, par sa nature même, est le mode opératoire par excellence de l’adversaire. Il opère un « viol de l’imaginaire » et un « hold-up » sur la faculté humaine de juger, de penser et d’imaginer librement.

Les récits fallacieux sur la « malédiction » des ressources, l’incompétence de nos leaders ou la fatalité de nos conflits ne sont pas des faits anodins… Ils visent à produire une forme de haine de soi et à maintenir nos peuples dans un état de désarroi intellectuel.

Ce n’est pas un hasard si le storytelling s’est imposé dans un monde où les méthodes traditionnelles de communication, comme les notes de service, conférences, présentations PowerPoint, se révèlent inopérantes. Nos sociétés, minées par la paupérisation, la peur et les mensonges, deviennent plus malléables.

Les récits fallacieux sur la « malédiction » des ressources, l’incompétence de nos leaders ou la fatalité de nos conflits ne sont pas des faits anodins. Au contraire, ce sont des histoires construites pour justifier et perpétuer le programme néocolonial de prédation. Ils visent à produire une forme de haine de soi et à maintenir nos peuples dans un état de désarroi intellectuel.

L’insurrection des consciences : Notre seul bouclier

Comment, alors, les leaders, décideurs et sociétés civiles africains peuvent-ils empêcher ce hold-up de nos imaginaires? La réponse réside dans une réappropriation collective de notre destin. Il ne s’agit pas de rejeter le récit, mais d’en changer la finalité. Nous devons passer d’un storytelling manipulatoire à un storytelling libérateur, qui nous reconnecte à notre histoire, à nos valeurs et à notre terre-mère.

La bataille des imaginaires est la plus cruciale de toutes, car elle est la matrice de notre avenir.

Cette « insurrection des consciences » passe par plusieurs actions concrètes:
– Réhabiliter le raisonnement rationnel : Contrairement aux histoires séduisantes, la raison nous pousse à la recherche de la vérité, à l’analyse critique et à l’évaluation objective des risques et des bénéfices. L’éducation et la production intellectuelle sont les outils pour « remettre les cerveaux à l’endroit ».
– Créer notre propre narration : Face aux récits dominants qui peignent l’Afrique en crise, nous devons construire notre propre contre-hégémonie culturelle. Cela implique de promouvoir l’intelligence africaine, de mettre en valeur nos propres histoires de résilience, d’innovation et de solidarité, en s’appuyant sur les idées de nos dignes penseurs africains.
– Valoriser la discussion et le débat : Le modèle de la « palabre » doit être réhabilité. C’est dans le dialogue participatif que se forge une vision partagée, basée sur l’unité et la solidarité, loin des tactiques de la politique-spectacle.
– Cultiver un nouveau leadership : Le leadership africain ne doit pas être une affaire de personnalité ou de spectacle, mais de gouvernance à long terme et de responsabilité. Il s’agit de s’éloigner des « héros précurseurs » et de la « fiction présidentielle » pour adopter une approche basée sur le peuple, où les gouvernants sont des « primus inter pares » soumis à une reddition des comptes régulière.

 

L’enjeu n’est pas petit. Il s’agit de passer d’un monde où l’imagination est un outil d’assujettissement à un monde où elle redevient une force de libération. La bataille des imaginaires est la plus cruciale de toutes, car elle est la matrice de notre avenir.

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Des pyramides à bâtir.

« L’invocation par nous du passé seul, du passé simple, ne prouve rien pour le présent et l’avenir, alors que la convocation d’un présent médiocre ou calamiteux comme témoin à charge contre nous, peut mettre en doute notre passé et mettre en cause notre avenir. C’est pourquoi chaque Africaine, chaque Africain doit être, ici et maintenant, une valeur ajoutée. Chaque génération a des pyramides à bâtir. »
– Joseph Ki-Zerbo, extrait de son livre « Paroles d’hier pour aujourd’hui et demain »