Dr Mahamadé Savadogo – Il n’y a pas de séparation entre l’engagement et la pensée

Dr Mahamadé Savadogo – Il n’y a pas de séparation entre l’engagement et la pensée

Dr Mahamadé Savadogo – Il n’y a pas de séparation entre l’engagement et la pensée 1920 1080 #PIEcE

Dr Mahamadé Savadogo est professeur à l’Université de Ouagadougou au Burkina Faso et directeur de l’Ecole doctorale des Lettres, Sciences humaines et Communication. Il enseigne la philosophie morale et politique et l’histoire de la philosophie moderne et contemporaine. Il est coordonnateur du mouvement du manifeste pour la liberté. Directeur de publication de la revue « Le cahier philosophique d’Afrique », Mahamadé Savadogo est auteur de plusieurs ouvrages aux éditions L’Harmattan et aux Presses Universitaires de Namur, dont « Penser l’Engagement », « La philosophie de l’action collective » et « La parole et la cité ». Dans cette interview, extraite du livre « Conversations Africaines », il nous explique le sens de l’engagement.
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Votre travail vous positionne comme « le penseur de l’engagement « . Quels sont les liens entre les deux concepts, à priori, opposés que sont la pensée et l’engagement ?
Oui ! Alors, il faut dire que ce lien est lui-même l’objet d’une réflexion qui se développe à travers les différents textes que j’ai publiés jusque-là et ces textes essaient d’interroger la thématique de l’engagement sur différentes facettes : L’engagement militant ou politique, l’engagement associatif, l’engagement créatif et dans chaque ouvrage, il est question de décliner un certain aspect de l’engagement.

Le lien entre la pensée et l’engagement consiste en ceci que contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’y a pas une séparation entre l’engagement d’un côté et la pensée de l’autre. La pensée elle-même répond à une quête qui correspond à une forme d’engagement et donc toute pensée, aussi théorique aussi spéculative puisse telle apparaître, peut conduire à un prolongement pratique aussi bien sur le terrain de l’éthique que sur le terrain de la politique. D’ailleurs, tous les grands savants depuis l’antiquité ont toujours été habités par la volonté de contribuer à la transformation de leurs sociétés.

 

Selon votre perspective la théorie est subordonnée à l’action ; mieux encore pour vous théorie est engagé ; pourquoi cela, pourquoi c’est ça ?
Oui cela rejoint ce que je viens de dire, c’est à dire qu’à partir de toute théorie on peut dégager une vision du monde, on peut dégager une éthique, on peut dégager une politique même si par exemple la conséquence éthique de la théorie est purement négative.

Donc c’est pour cela que je considère que toute théorie qui a une certaine consistance a un lien avec l’existence de l’homme et peut aider l’homme à donner une orientation à son existence. C’est essentiellement en cela que consiste le lien entre la pensée et l’engagement.
Selon votre perspective, la théorie doit être subordonnée à l’action et mieux encore, toute théorie est engagée. Pourquoi ?  
C’est vrai qu’au départ de ma réflexion, j’ai abouti notamment à la fin de mon premier livre qui s’intitule « philosophie et existence » à la distinction entre ces deux types d’engagements. Alors l’engagement fondamental concerne notre vision de l’existence dans son ensemble ; il met en jeu la conviction que la vie mérite d’être vécue. Vous voyez, si vous considérez que la vie dans son ensemble est essentiellement absurde et ne mérite pas qu’on s’y attache, évidemment toutes les autres préoccupations deviennent secondaires.

Donc l’engagement fondamental a pour enjeu notre rapport à l’existence considéré comme une réalité globale et nous permet d’avoir une vision positive qui consiste en ceci que nous demeurons convaincus que l’expérience des échecs, l’expérience des malheurs ne nous enlèvent pas au bout du compte l’envie de nous attacher à la vie. Parce que nous sommes convaincus que la vie mérite d’être vécue. Ça c’est l’enjeu de l’engagement fondamental. Maintenant, ce que j’ai appelé l’engagement ordinaire, que par la suite j’ai développé comme engagement militant sur ces différentes facettes, concerne l’adhésion à une cause particulière qui peut être politique ; par exemple si vous êtes socialiste, vous vous battez pour la réalisation du socialisme dans votre société.

Donc ça, c’est un attachement à une cause particulière qui peut être politique, qui peut être sportive, qui peut être culturelle ou bien sur sociale. Alors vous voyez que dans ce cas-là, l’engagement est en relation avec un enjeu particulier, un objectif spécifique. Et justement pour s’intéresser à cet objectif spécifique dont nous voulons poursuivre la réalisation, il nous faut être animé de la conviction que la vie même dans son ensemble mérite d’être vécue et que mieux vaut être là que de ne pas être là. Voilà la relation entre ce que j’ai appelé l’engagement ordinaire et l’engagement fondamental.

Dans quelle mesure, pouvons-nous dire que l’engagement permet au sujet collectif ou individuel d’établir un rapport positif à lui-même ?
D’abord l’engagement fondamental nous aide à ne pas désespérer de la vie d’une manière générale et l’engagement ordinaire ou militant nous permet de développer des rapports positifs avec nos semblables pour aider à réaliser un but et à atteindre un objectif. Ce processus de travail collectif a, en retour, à une incidence positive sur la manière dont l’individu engagé se perçoit lui-même parce qu’il a le sentiment d’être utile à quelque chose.

Quelles sont les implications politiques d’une pensée de l’engagement ? 
Politiquement, cela a pour première conséquence de croire que la transformation du monde est possible. Rien n’est définitivement acquis et l’homme en tant qu’individu ou en tant que sujet collectif a une possibilité de contribuer à transformer son environnement à la fois physique et social. Maintenant si on veut pousser plus loin, cela nous amène à nous interroger justement sur les modalités de transformation de la vie sociale.

Quelles sont démarches à travers lesquelles on peut contribuer à une transformation du monde ? quelles sont les formes d’organisations, les formes d’actions à travers lesquelles on peut pousser le monde à se transformer ? Voilà essentiellement les conséquences politiques de la pensée de l’engagement.

#PIEcE

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Facilitateur

Des pyramides à bâtir.

« L’invocation par nous du passé seul, du passé simple, ne prouve rien pour le présent et l’avenir, alors que la convocation d’un présent médiocre ou calamiteux comme témoin à charge contre nous, peut mettre en doute notre passé et mettre en cause notre avenir. C’est pourquoi chaque Africaine, chaque Africain doit être, ici et maintenant, une valeur ajoutée. Chaque génération a des pyramides à bâtir. »
– Joseph Ki-Zerbo, extrait de son livre « Paroles d’hier pour aujourd’hui et demain »