Des boucliers de défense pour nos cerveaux

Des boucliers de défense pour nos cerveaux

Des boucliers de défense pour nos cerveaux 1920 1280 #PIEcE

Pendant que les Occidentaux s’inquiètent des puces Neuralink et du lavage de cerveau de haute technologie qu’elles pourraient engendrer, les Africains, eux, devraient se soucier des menottes cognitives low-tech qui l’enserrent déjà. Nous ne sommes pas encore sous l’emprise de l’implant neuronal. Par contre nous sommes de plus en plus ligotés par la logique de la donnée, le nudge et le dogme du “cloud capital”.

Ce n’est pas un débat sur un futur plus ou moins lointain, puisque ce futur est là, cynique, immédiat.

Après nous avoir vendu des plans de développement qui n’ont jamais fonctionné, des modèles démocratiques importés qui s’effondrent à la première élection, et des recettes économiques que même leurs créateurs ont oubliées, aujourd’hui ce sont nos pensées qui sont attaquées. Les gourous de la tech ne s’arrêtent plus à prédire nos achats de manioc ou nos votes. Ils veulent cartographier, influencer, voire moduler notre activité cérébrale. Ils appellent cela l’innovation, l’« amélioration cognitive ». Nous, dans une perspective africaine, nous devons l’appeler ce qu’elle est : une nouvelle forme d’annexion.

Comme le dit le philosophe Jean-Pierre Mbelu, la conquête des cœurs et des esprits précède celle des terres. Aujourd’hui, cette conquête passe par nos écrans (de téléphones, de tablettes, d’ordinateurs).

La logique du Nudge

La preuve est partout et à tous les niveaux. Les cabinets de conseil proposent aux gouvernements africains le concept de « Nudge Unit », unité censée orienter le citoyen vers le « bon » choix : payer ses impôts, se faire vacciner, voter. L’intention est toujours louable, évidemment, mais la méthode est simplement une manipulation comportementale industrialisée. Selon le psychanalyste Roland Gori, « Les nudges ce sont ces « coups de coude », ces « coups de pouce », cette technique de manipulation sociale inspirée de l’économie comportementale… La pratique des nudges consiste moins à en appeler à la raison critique des gens en débattant de façon argumentée leurs représentations, leurs croyances que d’agir insidieusement et discrètement sur les comportements en conduisant leurs choix par un conditionnement opérant qui les amènent à désirer ce qui a été décidé pour eux. »

Selon le psychanalyste Roland Gori, « Les nudges ce sont ces « coups de coude », ces « coups de pouce », cette technique de manipulation sociale inspirée de l’économie comportementale… La pratique des nudges consiste moins à en appeler à la raison critique des gens en débattant de façon argumentée leurs représentations, leurs croyances que d’agir insidieusement et discrètement sur les comportements en conduisant leurs choix par un conditionnement opérant qui les amènent à désirer ce qui a été décidé pour eux. »

En d’autres termes, les nudges ont pour finalité de «pirater notre conscience». Parce que dans la logique du « nudge », le citoyen n’est plus un sujet politique, c’est une variable à pousser (nudger). C’est le marketing de masse appliqué à la gouvernance, en quelque sorte.

Le slogan à la mode c’est « La donnée est le nouveau pétrole. » Pour l’Afrique, cela signifie : « Notre cerveau est la nouvelle mine. » Nos opinions, nos clics, nos désirs, nos doutes sont aspirés, raffinés, transformés en outils de domination par des entreprises qui ne paient ni taxe, ni redevance, ni respect. Elles nous offrent des services « gratuits » en échange de la matière première la plus précieuse : notre capacité à penser librement.

Dans cette perspective, le concept de « souveraineté cognitive » est pertinent et nécessaire parce que la trace neuronale et l’empreinte digitale du citoyen africain sont déjà des actifs géopolitiques majeurs. Nous n’avons pas encore réglé la question de l’extraction minière, mais nous devons, en plus, et urgemment, gérer la question de l’extraction mentale, sans transition. Cela dit, nous voyons certaines élites africaines s’extasier devant la “modernité” du processus.

Pour l’autonomie de notre imaginaire

Les spécialistes, les influenceurs du digital, les early-adopters comme on dit, en marketing, aiment faire croire que la technologie est neutre. C’est faux. La technologie est le vecteur des intentions de ceux qui la financent et la déploient. L’intelligence artificielle, l’algorithme de recommandation, l’omniprésence du réseau ne sont pas vraiment des outils de développement. Ce sont vraisemblablement des instruments de colonisation du mental.

Alors qu’on nous pousse sans cesse à être des consommateurs de l’innovation mondiale, jamais on nous encourage à être des producteurs de la logique qui la sous-tend.

L’Afrique a lutté pour l’autonomie politique, puis économique. Elle doit maintenant se battre pour l’autonomie de son imaginaire. Le « viol de l’imaginaire », ce concept cher à l’activiste et ancienne ministre malienne, Aminata Dramane Traoré, n’est pas une métaphore vague. Il est chiffré, algorithmique, mis en œuvre par des datacenters froids et distants.

Alors qu’on nous pousse sans cesse à être des consommateurs de l’innovation mondiale, jamais on nous encourage à être des producteurs de la logique qui la sous-tend. Adopter la « logique de la donnée » de manière non critique, c’est se soumettre à une grille de lecture du monde qui n’est pas la nôtre. C’est accepter, sans même un soupir, d’être le récepteur passif des idéologies destinées à nous détruire en douceur. Parce que l’économie de l’attention, telle qu’elle est aujourd’hui, est une économie de l’aliénation.

Dire non !

Il y a quelques années, un test de solidarité panafricaine consistait à éteindre son téléphone pendant 24 heures en protestation contre le génocide des Congolais. Aujourd’hui, nous devons aller plus loin, gardons nos téléphones allumées, mais connectant nous davantage pour transformer la gouvernance qui régit et dicte les drames que nous vivons dans le monde africain et afrodescendant.

Notre effort, ou plutôt notre innovation, doit surtout porter sur la création de boucliers de défense cognitive, éducatifs et médiatiques. C’est sur cela que nous devrions évaluer le leadership africain d’ailleurs. Oui, nous devrions davantage mesurer le leadership au courage de dire non : Non aux logiques qui nous enchaînent.

Les décideurs africains se font sermonner sur la bonne gouvernance par des institutions qui valident, en parallèle, les nudge units qui réduisent leurs citoyens à des rats de laboratoire. Dire non à cette logique n’est pas de l’anti-technologie primaire. C’est de la lucidité stratégique. Nous sommes pour l’IA, oui, mais une IA qui sert la souveraineté alimentaire, industrielle et, surtout, cognitive. Nous sommes contre la logique de domination et de soumission qu’elle charrie, emballée dans un design séduisant.

La liberté cognitive, pour nous, c’est le droit de penser en dehors de la boîte de suggestion de Google. C’est le droit de développer un modèle de société que l’algorithme ne peut pas monétiser. C’est l’affirmation que le cerveau africain ne sera pas le prochain marché boursier à exploiter.

Nous n’allons pas faire la course pour légiférer sur l’implant cérébral avant tout le monde. Non. Nous ne sommes pas dedans. Notre effort, ou plutôt notre innovation, doit surtout porter sur la création de boucliers de défense cognitive, éducatifs et médiatiques. C’est sur cela que nous devrions évaluer le leadership africain d’ailleurs. Oui, nous devrions davantage mesurer le leadership au courage de dire non : Non aux logiques qui nous enchaînent.

La renaissance africaine ne sera pas numérique. Elle sera dé-algorithmisée.

Article initialement publié sur Illmatik.com

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Des pyramides à bâtir.

“L’invocation par nous du passé seul, du passé simple, ne prouve rien pour le présent et l’avenir, alors que la convocation d’un présent médiocre ou calamiteux comme témoin à charge contre nous, peut mettre en doute notre passé et mettre en cause notre avenir. C’est pourquoi chaque Africaine, chaque Africain doit être, ici et maintenant, une valeur ajoutée. Chaque génération a des pyramides à bâtir.”
– Joseph Ki-Zerbo, extrait de son livre “Paroles d’hier pour aujourd’hui et demain”