La diplomatie numérique transnationale s’appuie sur les réseaux sociaux, les récits innovants et les outils de communication moderne pour améliorer l’image des pays dans le monde. Mais pour vraiment peser face aux autres, il ne suffit pas de développer une narration séduisante ni de raconter des histoires : il faut aussi savoir défendre ses intérêts, contrôler ses richesses et améliorer les conditions de vie de ses citoyens. Entre storytelling et souveraineté, il devient essentiel de redéfinir ses leviers réels pour compter dans la compétition mondiale.
Le monde est un vaste village global, nous serine-t-on à l’envi. Et dans ce village, la mode du moment chez « les spécialistes des relations internationales » semble être la diplomatie numérique transnationale. On nous la présente comme la nouvelle arme secrète des États modernes : exit les ambassadeurs en costume trois-pièces et les longues négociations, place aux influenceurs, aux tweets stratégiques, aux documentaires soignés et aux « récits nationaux » soigneusement ciselés. N’est-ce pas cette logique que la France a adoptée pour la Saison Africa2020, puis le Sommet Afrique-France de Montpellier d’octobre 2021, en privilégiant réseaux de diasporas, mobilisation de la jeunesse et contenus web pour renouveler le regard posé sur l’Afrique? Pour quel but ? Gagner les cœurs et les esprits, modeler la perception du monde et, accessoirement, attirer les investissements sans avoir à s’encombrer des vieilles réalités de la géopolitique.
Pour des Etats en difficulté tant au niveau intérieur qu’au niveau extérieur, comme la République Démocratique du Congo, par exemple, le concept est comme une bénédiction. Fini la mauvaise presse, l’image de pays en conflit et de scandales. Il suffirait de proposer un autre narratif et de raconter des histoires, des histoires nouvelles. Comme une histoire du « Congo comme l’Allemagne de l’Afrique », comme une histoire de « diplomatie agissante », comme une histoire de “jeunesse dynamique”. On pourrait imaginer des campagnes sur les réseaux sociaux, montrant des jeunes entrepreneurs congolais, des sponsoring et partenariats sur des maillots de football de clubs occidentaux renommés, et un hashtag à la mode pour vendre le “nouveau Congo” à visiter. On nous expliquerait que c’est là le véritable “soft power” du 21e siècle : la capacité de séduire et de charmer l’imaginaire des investisseurs et des touristes.
Du récit numérique au pillage matériel
Pourtant, sous le vernis du discours, cette approche a un goût de déjà-vu. Derrière l’éclat des discours et des modes, se cache souvent un viol de l’imaginaire et une réalité plus prosaïque. L’idée que la RD Congo peut se “réinventer” par le seul biais de campagnes de communication relève soit d’une étrange naïveté soit d’un cynisme sidérant. Parce que pendant que l’on se concentre sur les récits numériques, le monde réel continue de tourner, gouverné par la flèche du temps et les lois de la thermodynamique, et par une économie numérique mondiale qui impacte négativement la vie de millions de congolais.
Une diplomatie digne n’a pas pour ambition de plaire à l’opinion internationale en lui racontant une histoire qui la conforte dans ses propres mythes, son objectif est de faire valoir les intérêts nationaux.
Les puces électroniques, ces petits bouts de silicium au cœur de nos smartphones et ordinateurs, nécessitent des dizaines de matières premières, dont certaines sont extraites des sols congolais. Le coltan, le cobalt, le cuivre… Autant de ressources stratégiques qui font de la RDC un enjeu géopolitique majeur. La diplomatie publique transnationale, telle qu’elle est pratiquée, est le plus souvent une distraction, une opération de relations publiques destinée à lisser les aspérités d’un système d’exploitation bien huilé. Le récit du “nouveau Congo” est un simple fond d’écran sur une tragédie économique. On vend l’image d’un pays qui se veut à la pointe de la technologie (avec l’acquisition d’un satellite à 400 millions de dollars), tout en ignorant le fait que cette même technologie est construite sur le dos des populations locales.
La vraie diplomatie numérique, celle qui aurait un sens, ne devrait pas consister à se plier aux modes des “soft powers” importés. Elle devrait être une manifestation de la souveraineté intellectuelle et stratégique du pays. Une diplomatie digne n’a pas pour ambition de plaire à l’opinion internationale en lui racontant une histoire qui la conforte dans ses propres mythes, son objectif est de faire valoir les intérêts nationaux. L’ambition congolaise ne devrait pas être de convaincre le monde entier que le Congo est beau et pacifique, mais de construire un discours et une force de négociation qui obligent les acteurs mondiaux à traiter avec le pays en partenaire, et non plus en territoire à exploiter.
Un nouvel habit pour l’empereur
La diplomatie numérique transnationale, telle qu’elle est prônée par les “experts”, n’est qu’un nouvel habit que l’on propose à l’empereur, un costume taillé dans la toile de la communication de masse, qui a la particularité de n’exister que dans l’imaginaire de celui qui le porte. C’est une stratégie de surface qui ignore les dynamiques de pouvoir en profondeur. Le vrai pouvoir réside dans la maîtrise de son destin, de ses ressources et, surtout, de son propre récit, et non dans les hashtags ni sur les maillots de football.
La diplomatie numérique n’est utile que si elle est l’écho d’une réalité de pouvoir. Sinon, ce n’est que de la poésie, et on sait que le poète, aussi talentueux soit-il, ne fait pas le poids face à celui qui contrôle les mines de coltan.
Bien sûr que la RD Congo, comme nombre de pays africains, se doit de construire une puissance. Mais cette puissance ne se forge pas dans le royaume du tweet et des belles images. Cette puissance doit émerger dans la “guerre des idées” pour la souveraineté, et dans la gestion stratégique de ses richesses. La diplomatie numérique n’est utile que si elle est l’écho d’une réalité de pouvoir. Sinon, ce n’est que de la poésie, et on sait que le poète, aussi talentueux soit-il, ne fait pas le poids face à celui qui contrôle les mines de coltan.
Si quelqu’un(e) vient vous vendre la “diplomatie numérique transnationale” comme la solution à tous les maux, demandez-lui avec humour si son PowerPoint ou sa présentation Gamma fonctionne avec du coltan, et si son “récit” peut faire barrage aux lois du marché ou à celle du plus fort. Une diplomatie numérique du Congo, digne de ce nom, commencera le jour où le pays ne cherchera plus à être aimé, mais à être respecté. Ce respect ne s’achète pas avec des “likes” et des “partages”, mais se gagne dans le combat pour la maîtrise de son destin et de ses ressources.