Le Kongo-Kinshasa a besoin d’une thérapie collective

Par Jean-Pierre Mbelu

En 2019, j’écrivais un article intitulé « Et si le Congo-Kinshasa avait besoin d’une thérapie collective ? » Certains de comportements et surtout ceux plusieurs de nos politicards m’avaient convaincu que notre santé mentale posait un problème sérieux et qu’il était nécessaire de se livrer à des démarches interdisciplinaires pour pouvoir répondre à cette question majeure.

Deux ans après, en 2021, deux compatriotes, Achille Bapolisi et Eric Kwakya, psychiatres, ont eu des entretiens avec Patrick Esimba Ifonge au sujet de la santé psychique des Congolais. Ils apportent des éléments de réponses très intéressants à mon article de 2019. Ils attestent qu’en fait la société kongolaise est malade.

Tous les Kongolais et toutes les Kongolaises sont des « survivants traumatisés ». Croire qu’il n’y a la guerre qu’à l’Est du pays, c’est nous cacher derrière notre petit doigt et nier notre trauma collectif.

Elle a besoin à la fois des thérapies individualisées et collectives. Leurs entretiens peuvent apporter une touche particulière à la célébration collective du « Genocost congolais ». Ils viennent nous rappeler que tous les Kongolais et toutes les Kongolaises sont des « survivants traumatisés ». Croire qu’il n’y a la guerre qu’à l’Est du pays, c’est nous cacher derrière notre petit doigt et nier notre trauma collectif. Je partage quelques extraits de ces entretiens en attendant que je puisse étoffer la dernière partie de mon article sur le 02/08:

Question : « Pourquoi estimez-vous que le Congo-Kinshasa a tous les signes du trauma collectif ? »

Réponse : « Comment peut-il en être autrement ? Non seulement nous avons, à tous les niveaux de la société, tous ces marqueurs que je viens de décrire (les narrations collectives, les émotions collectives et les modèles comportementaux collectifs) mais nous sommes aussi en train de vivre des conflits armés et des massacres des populations entières. C’est par million qu’on compte les morts au Congo. A ceci, il faut toujours ajouter un antécédent trop lourd de despotisme politique, précédé de la colonisation la plus sanguinaire et acculturante de l’histoire, qui est elle-même précédée des années d’esclavage et de traite négrière.  Comment peut-il en être différemment ? Surtout quand un silence profond entoure cette lourde histoire. »

Question : « Quels sont les symptômes et les manifestations de ces déchirements au sein des populations congolaises qui doivent vivre avec ces massacres qui continuent et ces vies arrachées en permanence ? »

Réponse : (….) Ce trauma collectif a aussi un impact très évident sur l’identité collective, la représentation qu’un peuple a de lui même. Ainsi, on peut observer dans un peuple traumatisé la baisse d’estime de soi et la confiance en soi responsable d’un complexe d’infériorité, de perte de la cohésion sociale, les replis identitaires tels que le tribalisme, des discriminations sociales, une dissolution des valeurs dans l’éducation, une grande vulnérabilité face aux manipulations politiques, une perpétuation du cycle de violence, une très mauvaise santé tant physique que mentale. »

Question:(…) Dans quel état mental se trouvent la société congolaise en général et la société sud-kivutienne, en particulier ? Quel est votre diagnostic, Docteur ?

Réponse : « Je dirais que l’on sent, sans vouloir exagérer, et sans aller aussi à l’extrême, quand même, des effets du traumatisme dans la société congolaise. Si on observe notre société, on constate qu’il y a une certaine fébrilité, un certain manque de confiance en soi et en l’autre, un certain manque de confiance en l’avenir et une méfiance du voisin, du frère, du cousin, de la famille, de l’ami. (…) Cela va au-delà de la réalité de l’insécurité. Cela frise la paranoïa. (…) C’est vraiment ainsi, « trouble paranoïaque », que l’on peut décrire aujourd’hui le fonctionnement de la société congolaise, qui est une société anormale. » (Extraits de A. BAPOLISI et E. KWAKYA, Des survivants obstinés…Panser les traumatismes de la guerre au Kongo-Kinshasa pour aujourd’hui et demain</i>, Paris, Congo Lobi Lelo, 2021)

 

Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961

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