La grenouille chauffée, les congolais & la guerre permanente

Extrait du livre « Des survivants obstinés » (Avant-propos).

C’est un récit qui interpelle. « Imaginez une marmite remplie d’eau froide dans laquelle nage tranquillement une grenouille. Le feu est allumé sous la marmite, l’eau chauffe doucement. Elle est bientôt tiède. La grenouille trouve cela plutôt agréable et continue de nager. La température continue de grimper. L’eau est maintenant chaude. C’est un peu plus que n’apprécie la grenouille, ça la fatigue un peu, mais elle ne s’affole pas pour autant. L’eau est cette fois vraiment chaude ; la grenouille commence à trouver cela désagréable, mais elle s’est affaiblie, alors elle supporte et ne fait rien. La température continue de monter, jusqu’au moment où la grenouille va tout simplement finir par cuire et mourir. Si la même grenouille avait été plongée directement dans l’eau à 50 degrés, elle aurait immédiatement donné le coup de patte adéquat qui l’aurait éjectée aussitôt de la marmite. »

Une escroquerie dénommée notre jeune démocratie

Cette histoire de la grenouille chauffée n’est pas sans rappeler la situation en République démocratique du Congo où une guerre de basse intensité est orchestrée par les élites anglo-saxonnes depuis plus de deux décennies. Cette guerre a contribué au fait que l’Etat congolais, déstructuré militairement, politiquement, économiquement et socialement, n’est plus en mesure de répondre aux besoins et attentes légitimes des congolais. Pire, elle a vidé les institutions congolaises de tout contenu. Ce qui fait que le République Démocratique du Congo apparaît comme un Etat téléguidé de l’extérieur.

Dans un article publié sur ingeta.com et titré «Une escroquerie dénommée notre jeune démocratie au cœur de l’Afrique», l’abbé Jean-Pierre Mbelu explique que « Le qualificatif ‘démocratique’ est utilisé au cours de ‘la guerre par morceaux’ imposée aux Congolais(es) par plusieurs ‘associations de malfaiteurs’, membres du ‘réseau d’élite de prédation’ opérant dans la sous-région des Grands Lacs africains pour couvrir leur caractère d’instruments de néocolonisation de cette partie de l’Afrique. »

Les massacres et les disparitions des congolais, les déplacés par millions à l’intérieur du pays, la paupérisation et l’abrutissement des populations, l’effondrement de nos institutions et que nous constatons depuis la fin des années 1990 ne sont pas des soubresauts de la «jeune démocratie» congolaise. De nombreux documents, dont des rapports des Nations Unies, accusent et attestent cet état de fait. C’est notamment le cas, du rapport dit Mapping.
Publié le 1er octobre 2010, le rapport du Projet Mapping, du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, dresse l’inventaire des violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo. Au-delà des 617 incidents les plus graves survenus dans tout le Congo et des détails fournis sur des cas graves de massacres, de violence sexuelle et autres exactions commises, le rapport Mapping nous rappelle que les congolais sont, effectivement, dans la marmite de cette histoire de la grenouille chauffée.

Le prix de la survivance

Tout comme la marmite n’est pas le milieu naturel pour la grenouille, le Congo-Kinshasa, dans ce contexte de guerre permanente, n’est pas l’environnement naturel des congolais. Nous en sommes simplement des survivants obstinés.
Cette survivance a un prix. Humain, notamment. Et ce prix que les congolais paient par le moyen de leurs vies est trop élevé.

À la suite de la série de webinaires autour du rapport mapping, organisée par la plate-forme Conscience Congolaise pour la paix (KoPax) à l’automne 2020, il s’agit, à travers ce livre, «Des survivants obstinés», d’une part, d’explorer, de décrypter et d’évaluer les conséquences du génocide et des processus de destruction et de néantisation des congolais sur les survivants et leur santé mentale et d’autre part, d’esquisser des pistes de solution pouvant permettre un redressement individuel et collectif. Cela est essentiel pour remettre les cerveaux à l’endroit, reconquérir notre dignité et réinventer le Congo-Kinshasa.

Parce que si nous vous disons, d’entrée, que le Congo est un Etat raté et manqué, et que depuis l’invasion de l’AFDL (L’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo), nous sommes dans un faux processus politique, et que les faits vous le montrent tous les jours : Est-ce que vous continuerez suivre les déclarations des institutions et de ceux qui prétendent diriger le Congo et entretenir le statu quo? Si nous vous disons d’entrée que les élites occidentales orchestrent le pillage du Congo, l’appauvrissement des congolais, l’affaiblissement des institutions congolaises et la destruction des vies congolaises, est-ce que vous serez encore disposé(e) à consommer leurs idées et soutenir leurs actions au Congo?

Faut-il attendre de se brûler pour saisir ce qu’il nous arrive ? Ne doit-on pas être en capacité de questionner le système politique et le type d’Etat dans lesquels nous sommes immergés ? Quand le ciel est bleu, et que certains vous disent, non le ciel est jaune, est-ce que vous continuerez à accorder votre confiance à ces personnes qui nient la réalité ? C’est pourtant ce que nous vivons, et ce système politique, ce non-Etat et ces élites occidentales qui nous brûlent à petit feu, nous avons pourtant, plus ou moins inconsciemment tendance à les accepter, à les supporter, alors qu’ils vont nous détruire. Voilà pourquoi nous devons éviter de nous comporter comme cette grenouille dont le récit est un avertissement à ne pas négliger.

Dans une interview accordée au magazine Rolling Stone, le journaliste et auteur afro-américain Ta-Nehisi Coates déclarait que sa « responsabilité en tant qu’auteur consiste à faire savoir aux autres noirs qu’ils ne sont pas fous ». Ce livre a pour ambition, entre autres, de faire savoir aux autres congolais qu’ils ne sont pas fous, même si le pays est malade.

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