Dr Albert Ouedraogo – La valeur de la parole

Dr Albert Ouedraogo est professeur de littérature orale à l’universitaire de Ouagadougou. Intellectuel Burkinabè impliqué dans la marche de son pays, il a été ministre des enseignements secondaire et supérieur puis celui de la promotion des droits humains du Burkina Faso. Citoyen engagé, il est secrétaire générale de Racine, une association qui prône la valorisation des traditions orales. Vice-président du conseil national des organisations de la société civile au Burkina Faso, il est également auteur du livre « Démocratie et cheffocratie (ou la quête d’une gouvernance apaisée au Faso) » (2014). Dans cet interview extrait d livre « Conversations africaines », il aborde la question de la parole dans nos sociétés.

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Quel a été et quel est le rôle de l’oralité et de la palabre dans la construction de la cohésion sociale et de la démocratie ?
La palabre est essentielle pour l’humain. L’homme est doué de cette faculté pour pouvoir rentrer en communication avec les autres. La parole est principielle, c’est elle qui constitue les fils du dialogue. C’est elle qui permet de renouer les situations de mésententes et dans les sociétés de l’oralité comme les nôtres la parole est vraiment l’arme qui permet de construire des ponts entre les populations qui ne sont pas toujours du même groupe ethnique, ni de la même religion mais qui ont la capacité de coexister, d’échanger de fraterniser à travers un certain nombre de mécanismes.

Que ce soit le système des marchés, ou celui des mariages ou encore des cousinages à plaisanterie, l’Afrique de l’oralité a développé beaucoup de diplomaties fondées sur l’oralité. Les griots en Afrique de l’ouest en sont de grands ambassadeurs. Ils permettent par la parole, par le verbe, de pouvoir construire des sociétés fortes et ouvertes.

 

Quels liens pouvez-vous faire entre la crise de la démocratie que nous voyons ici, sur le continent africain, mais aussi à travers le monde, et la crise de la parole ?
En réalité la crise de la parole, c’est la crise de la société parce que comme on le dit dans un proverbe Bambanan, l’homme n’a pas de queue mais on le saisit par sa parole. Un autre proverbe Mossi dit que quand une bouche a proféré une parole, et que cette même bouche revient renier la parole, cette bouche n’a aucune valeur.

Donc la valeur de l’humain dans les sociétés de l’oralité, c’était la valeur de la parole. Même dans les sociétés dites modernes, il y a des expressions du genre : c’est un homme de parole. Quand vous êtes un homme sans parole vous n’êtes pas crédible, vous n’êtes pas intègre. Donc la crise de la parole, pour moi, est liée malheureusement à la politique politicienne, à la corruption et à l’impunité et surtout à la primauté de l’argent. Dans une société où l’on pense qu’avoir de l’argent vous absout de tous vos crimes, fait de vous le modèle social, cela constitue un problème.

Les valeurs sont perdues et c’est l’apparence de la richesse qui confère aux individus un statut social. De ce point de vue, nous avons une corruption de la société par l’argent alors que dans la tradition, votre fortune n’éblouissait pas les uns et les autres. On avait des personnes qui refusaient de consommer de l’argent dont ils ne connaissaient pas les origines, qui refusaient de se compromettre avec des fortunes dont ils ignorent la provenance. Malheureusement la société d’aujourd’hui fonctionne sur la base de l’avoir et non pas sur la base de l’être. On ne prend plus le soin de se demander réellement comment vous avez acquis votre argent.

Pour peu que vous ayez de l’argent, on vous trouve des qualités à n’en plus finir. Dans la société de l’oralité, on ne fonctionnait pas sur la base de l’apparat mais sur la base de ce que l’on savait de vous. On dit « bon sang ne saurait mentir ». Quelle est votre valeur ajoutée par rapport à la probité de vos parents, par rapport à votre lignée ? Parce que vous n’avez pas seulement à défendre votre individualité mais vous avez à défendre tous ceux dont vous êtes l’héritier. A ce moment donc l’individualité n’avait pas autant de force. C’est plutôt l’appartenance au groupe qui conférait un statut social. Malheureusement aujourd’hui avec l’anonymat des villes on a mis en avant l’individu qui pense qu’il peut prospérer au détriment même du groupe.

Vous soulignez que l’un des enseignements de l’insurrection de 2014 au Burkina Faso est que les hommes sont prêts à sacrifier la paix sociale pour parvenir à une solution « juste » des problèmes sociaux ». En quoi cette idée « Pas de paix, pas de développement » serait une erreur de raisonnement ?
Je crois que c’est ma dimension activiste des droits humains qui me fait réfléchir en disant que toutes les paix ne sont de bonnes paix. Il y a des paix qui sont funestes, il y a des paix qui sont venimeuses. Il y a des paix qui sont pires que la guerre. Lorsque vous êtes dans une société soi-disant de paix ou vous avez des injustices, des crimes, de la corruption, du népotisme, c’est, en fait, une société en délitescence et accepter cette paix là ce n’est rien d’autre que de la compromission et de la lâcheté.

Il faut à un certain moment avoir le courage de donner un coup de pieds à la termitière pour que justement puisse rejaillir une autre paix qui n’est pas cette paix funeste. Parce qu’une paix qui ne profite qu’à une minorité alors que la grande majorité est dans la souffrance et dans la douleur n’est pas la paix.

J’aime souvent à dire, prenant l’exemple l’apartheid en Afrique du Sud : Sous le régime de l’apartheid les tenant du pouvoir avaient une société qu’ils considéraient être une société de paix. Est-ce que les noirs devaient se satisfaire de cette paix injuste et inique ? C’est pourquoi certaines paix ne valent pas la peine d’être vécues.

Dr Albert Ouedraogo
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