L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu rappelle comment le débat autour de la révision de la constitution nous éloigne des questions essentielles sur le Congo, souligne la nécessité de s’accorder et de s’en tenir à un objectif commun pour le devenir du pays à moyen et long terme, et explique pourquoi l’histoire officielle du Congo, produite par les dominants, doit être déconstruite.
Sur le débat autour de la révision constitutionnelle et les questions essentielles
Il faut faire la part des choses, entre l’actualité fournie par les médias congolais et les médias dominants occidentaux, et l’actualité telle qu’elle est en train de se faire derrière tous ces médias.
Le débat sur la constitution nous éloigne des questions essentielles face auxquelles le pays est placé aujourd’hui. L’une de ces questions essentielles et l’occupation du pays par des forces étrangères et leurs nègres de service. Que sont-ils en train d’ourdir pour le moment ?
Le débat sur la constitution ne serait-il pas lié au fait qu’il y a la consolidation de l’occupation qui se poursuit et que comme ceux qui orchestrent cette consolidation qui tend vers la balkanisation du pays, savent qu’une certaine classe politique aime les débats, on oriente cette classe vers les débats et les choses sérieuses se font, en marge des caméras et des débats publics.
Est-ce que tous les congolais s’inscrivent aujourd’hui dans le schéma du processus électoral tel qu’il a été conçu depuis les années 2000? Non. Beaucoup ne souhaitent que la fin de l’occupation du pays et non de s’inscrire dans un processus géré et commandé par des occupants étrangers.
Est-ce que vous vous imaginez un seul instant que les nègres de service d’un grand pays au cœur de l’Afrique puissent se réveiller un matin et dire : « Oui, nous sommes dans un processus démocratique, nous allons respecter les règles du jeu et passer le flambeau». Jamais. Ce processus est confisqué par les forces d’occupation. Il ne va pas conduire à des élections pouvant garantir le vivre bien des congolais. Voilà pourquoi, au lieu de se laisser distraire par ce débat autour de la constitution, nous devrions, de plus en plus, étudier la possibilité d’aller vers nos masses populaires, d’aller vers nos jeunes, pour amorcer avec eux un dialogue sur les questions essentielles face auxquelles le pays est placé.
Sur l’objectif final commun pour les congolais
Il y a un vide idéologique dans le chef de la plupart des compatriotes qui s’engagent dans ces coalitions politiques. Cela dit, il est toujours bon que des compatriotes se rapprochent et travaillent ensemble. Il faut cependant qu’il en ressorte des idées. Constituer des mouvements unifiants exigerait que ceux qui les constituent aient quand même une vision claire de vers où ils veulent que le Congo aille. Nous avons en permanence un problème de direction.
Ce qui est plus inquiétant est que ces politiques et ces coalitions sont coachés par des services secrets étrangers.
Il serait important que tous nous puissions tirer à une même corde et nous dire ceci : ce qui importe ce n’est pas une petite victoire aux élections, quelle qu’elle soit. Ce qui importe, c’est d’avoir comme date finale de notre lutte, la fin de l’occupation, la fin de la balkanisation, la fin de l’implosion du Congo.
L’idée est que nous luttons pour que demain le Congo soit réellement indépendant et souverain, qu’il ne puisse pas voler en éclat, que toutes ses provinces et tous ses territoires puissent rester unis, nous luttons pour que les nègres de service qui occupent le Congo pour pouvoir vendre ses richesses aux étrangers à vil prix puissent être maîtrisés, et que nous passions de l’état colonial un état national qui ait la maîtrise de tous les domaines qu’il gère. Si nous avons cela en vue, nous pouvons, même en nous trompant, réajuster constamment le tir.
Mais si nous luttons pour le court terme, pour être aux affaires demain dans un pays sous occupation, nous n’irons nulle part.
Sur les coalitions politiques au Congo
Quand nous parlons de coalition au Congo, il faut faire preuve de discernement. Nous savons comment, à travers notre histoire collective, l’union sacrée de l’opposition a commencé à se fissurer de l’intérieur.
Il y a certaines coalitions qui se forment par opportunisme, c’est-à-dire que des compatriotes qui se disent que c’est à leur tour d’aller à la mangeoire congolaise. Les moyens pour cela ? La fabrication de coalition sans consistance, sans idéologie, pour pouvoir partager le morceau à la mangeoire. Si ces coalitions se font et se défont, c’est d’abord parce qu’elles sont opportunistes, ensuite, parce qu’il n’y a ni ordre, ni organisation dans leur idéologie.
Si les compatriotes ont envie que leur lutte ou notre lutte collective puisse aboutir, ils auraient intérêt à mettre de l’ordre, et dans l’organisation, et dans l’idéologie. Quel est le Congo que nous voulons ensemble pour demain ?
On peut fabriquer autant de calendriers que l’on veut, tant qu’on ne sait pas qui va financer ces élections, tant qu’on laissera aux autres le soin de financer les élections d’un pays occupé, le calendrier importe peu.
Sur la crise de légitimité en RDC
Que les congolais se rapprochent et coalisent est une bonne chose à priori, mais qu’ils ne le fassent pas pour falsifier l’histoire.
Parler d’une crise de légitimité qui ne daterait que des élections chaotiques de 2011, c’est une falsification de l’histoire qui est une reproduction de l’histoire des dominants qui nous est imposée depuis l’assassinat de Lumumba.
Nous avons des documents déclassifiés par les Etats-Unis qui montrent, qu’avant 1960 la « politique profonde » américaine avait décidé de s’emparer du Congo pour quelques décennies. Nous sommes ainsi passés de la colonisation belge à la colonisation américaine pro-occidentale. Donc la crise de légitimité date de quelques jours la proclamation officielle de notre indépendance en 1960 et elle date de l’assassinat de Lumumba.
Le danger, chez certains de nos compatriotes, est de reproduire la version historique qui nous a été enseigné à l’école.
Si nous sommes indépendants depuis 1960, pourquoi il y a-t-il d’autres nations, d’autres pays, d’autres organisations dites internationales, qui nous dictent jusqu’à ce jour, la conduite à tenir dans la gestion de ce pays, dans le choix des partenaires extérieurs ?
La version de notre histoire produite par les dominants doit être déconstruite pour que nous n’enseignions pas à nos enfants et à nos petits enfants des mensonges, pour que nous ne participions pas au vol de l’histoire. Il y a eu vol de l’histoire, comme il y a en permanence, vol des matières premières, vol des cerveaux, vol d’argent.
Ceux qui ont pris possession de notre pays avec la guerre de l’AFDL n’étaient pas des libérateurs mais des nouveaux prédateurs, des criminels de guerre et des criminels contre l’humanité. Et la nature de ce conglomérat d’aventuriers revient souvent à la surface. La RDC est entre les mains de criminels et de bandits et on ne peut pas être un nègre de service du néolibéralisme sans être bandit, c’est très difficile.
Sur l’activisme politique et le militant citoyen
Il faut faire une distinction entre l’activisme politique et les dérives organisationnelles. L’activisme politique et le militantisme citoyen sont toujours nécessaires des actions de transformation en profondeur d’un pays.
Il faudrait être clair sur les objectifs auxquelles ces actions doivent parvenir. Si ces actions sont limitées au pouvoir actuel, elles risquent d’engager beaucoup d’énergie et beaucoup de temps pour pas grand-chose. Les actions à mener ne devraient pas simplement viser les nègres de service. Les actions à mener devraient toucher les fondés du pouvoir du néolibéralisme au Congo et là certaines de nos coalitions sont trop faibles. Parce qu’elles sont coachées par les services secrets extérieurs.
Pour qu’il y ait de l’ordre dans l’organisation, il faut qu’il y en ait dans l’idéologie. Quelles sont les valeurs que nous défendons ? Quel est le Congo de demain que nous voulons ?