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Samedi 14 septembre 2024, Luanda a accouché d’une souris

Samedi 14 septembre 2024, Luanda a accouché d’une souris

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Par Jean-Pierre Mbelu

“Connais ton ennemi et connais-toi toi-même; eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux. Si tu ignores ton ennemi et que tu te connais toi-même, tes chances de perdre et de gagner seront égales. Si tu ignores à la fois ton ennemi et toi-même, tu ne compteras tes combats que par tes défaites.”
– Sun Tzu

Mise en route

Chaque fois que le Kongo-Kinshasa mène ses démarches diplomatiques, il ne devrait pas perdre de vue cette question : « Le Rwanda est un petit pays pauvre. Qui soutient, dans les coulisses, sa guerre perpétuelle contre le Kongo-Kinshasa ? » Dès que les négociateurs kongolais refusent de se poser cette question et qu’ils multiplient des rencontres avec un proxy, ils gaspillent leur temps et risquent d’être accusés de complicité avec “l’ennemi”.

Le temps de penser à la mise en place d’un grand mouvement pluriel et anti-guerre est venu. Il pourrait participer de la cohésion sociale et de la cohésion nationale.

Au sujet de cette guerre d’usure contre le Kongo-Kinshasa, il sera toujours souhaitable de revenir sur la différence à établir entre les acteurs pléniers et les acteurs apparents en vue de comprendre les objectifs poursuivis par les uns et les autres.

Aussi, devient-il presque inutile de multiplier les critiques à l’endroit des uns et des autres si les propositions pragmatiques ne suivent pas. Le temps de penser à la mise en place d’un grand mouvement pluriel et anti-guerre est venu. Il pourrait participer de la cohésion sociale et de la cohésion nationale.

Identifier les commanditaires de la guerre et “leurs petites mains”

Fallait-il être un grand clerc pour savoir que le processus de Luanda allait accoucher d’une souris? Non. Pas du tout. Ce que le journal “Grands Lacs News” (du 14/09/2024) écrit est un secret de Polichinelle. Une relecture attentive de l’histoire de la guerre menée par procuration contre le Kongo-Kinshasa depuis plus de trois décennies suffit pour comprendre cela [1]. Cette guerre, on ne le dira jamais assez, est une guerre d’usure destinée à fabriquer un “Etat raté”[2] au coeur de l’Afrique.

Cette guerre, on ne le dira jamais assez, est une guerre d’usure destinée à fabriquer un “Etat raté” au coeur de l’Afrique. Et cela semble marcher. Le désavantage de la production d’un “Etat raté” est d’ouvrir des fronts à l’intérieur du pays afin d’opposer les Kongolais entre eux. Cette guerre d’usure cherche, entre autres, à briser, sur le temps long, la cohésion sociale et la cohésion nationale.

Et cela semble marcher. Le désavantage de la production d’un “Etat raté” est d’ouvrir des fronts à l’intérieur du pays afin d’opposer les Kongolais entre eux. Cette guerre d’usure cherche, entre autres, à briser, sur le temps long, la cohésion sociale et la cohésion nationale. Elle s’attaque aux velléités souverainistes du Kongo-Kinshasa , à son indépendance politique et économique. Elle est un morceau de la guerre perpétuelle débutée depuis 1884-1885.

Identifier ses commanditaires -ses acteurs pléniers- sur le temps long est un exercice assez périlleux.. Pourtant, les livres et les archives existent sur cette guerre. Les témoins vivants aussi.

Identifier “ses petites mains” au coeur des structures et des institutions kongolaises en vue de les rendre inefficaces est indispensable au cheminement vers une issue plus ou moins heureuse.

A ce point nommé, Sun Tzu a raison lorsqu’il invite à “connaître son ennemi et à se connaître soi-même” au cours des guerres durant longtemps. En sus, il ne serait pas mal de connaître “les croyances religieuses” qui alimentent cette guerre. Les débats rationnels et raisonnables à son sujet négligent les croyances religieuses partagées par “ses petites mains” à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Cette guerre d’usure est aussi alimentée par le fondamentalisme religieux. D’où son rejet de “la reliance” entre les Kongolais. C’est-à-dire d’une approche de la religion comme lecture critique de la tradition à la fois religieuse et culturelle permettant aux Kongolais de créer un mouvement anti-guerre au sein duquel ils se donneraient la main pour en finir avec l’ennemi externe et l’ennemi interne.

Au sujet des “petites mains” engagées dans cette guerre perpétuelle, il arrive que “les officiels” du Kongo-Kinshasa ne soient pas très regardants. Elles infiltrent les structures et les institutions du pays et plusieurs de ces “officiels” par les mariages, le business et la corruption des coeurs et des esprits. A un certain moment, “les officiels” eux-mêmes entretiennent le flou en se laissant conseiller par les légats des acteurs pléniers et en les payant gracieusement. Ce faisant, ils participent, consciemment ou inconsciemment, de la perpétuation de cette guerre. C’est la même bêtise qu’ils commettent en travaillant avec les institutions économiques créées par les mêmes acteurs pléniers pour le besoin de la cause.

Des structures et des institutions parallèles

Revenir sur ces dérives, c’est bien. Mais ce n’est pas assez. Cela d’autant plus que le Kongo-Kinshasa est un patrimoine commun à tous les Kongolais et non la chasse gardée de quelques individus. D’où cette question : « Des Kongolais vigilants ne devraient-ils pas penser à la création des structures et des institutions citoyennes parallèles ? » Pourquoi pas.

Attendre que “l’Etat raté” assure la justice sociale serait faire un pari risqué. Il est temps que les minorités organisées s’associent et créent leurs caisses d’épargnes, “leurs banques du peuple”, leurs tontines, leurs champs communautaires, leur pisciculture, leurs routes de desserte agricole, leurs cantonniers, etc. afin de préparer les communautés kongolaises de base à acquérir une certaine autonomie financière nécessaire à un minimum de dignité humaine et aux luttes d’émancipation.

D’ailleurs, du point de vue des médias, un effort est conjugué pour mettre à nu et les acteurs pléniers et les acteurs apparents. Mais, quel est le pourcentage de compatriotes kongolais qui ont accès aux médias en ligne et aux réseaux sociaux ? En marge de la diaspora kongolaise, il est minime, négligeable. La création des radios et leur multiplication est importante pour le mouvement anti-guerre. Quelques compatriotes ont compris cela et se débrouillent tant bien que mal pour que leurs analyses critiques de cette guerre d’usure atteignent les coins et les recoins du pays. Cet effort est louable. Mais il est insuffisant sans une justice sociale redistributive.

Une radio et ses piles coûtent de l’argent. Des millions des compatriotes kongolais ne bénéficient pas de revenus produits par l’exploitation et la vente des matières premières brutes du pays. Ils sont plongés dans le précariat. Attendre que “l’Etat raté” assure la justice sociale serait faire un pari risqué. Il est temps que les minorités organisées s’associent et créent leurs caisses d’épargnes, “leurs banques du peuple”, leurs tontines, leurs champs communautaires, leur pisciculture, leurs routes de desserte agricole, leurs cantonniers, etc. afin de préparer les communautés kongolaises de base à acquérir une certaine autonomie financière nécessaire à un minimum de dignité humaine et aux luttes d’émancipation.

Il est temps que l’éveil patriotique et souverainiste aide à combattre les appels du genre “gouvernement talela biso likambo oyo”. Des initiatives économiques et financières devraient être prises à la base de façon à produire une masse critique capable de lutter sur le temps long. Les caisses d’épargne populaires, les banques du peuple, les tontines et les champs communautaires pourraient jouer le rôle de la production du ”nous national” et la cohésion nationale à partir de la base.

Travailler ensemble et un mouvement de fond

En fait, là où des Kongolais luttent et travaillent ensemble, main dans la main, en ayant des objectifs communs, il est très rare d’entendre des propos séparatistes, tribalistes ou ethnicistes. Les patriotes défenseurs des terres kongolaises sont un vivant témoignage à ce sujet. Mais là où les yeux sont constamment braqués sur “les gouvernants de l’Etat raté”, l’envie et la convoitise du “gâteau” ne permettent pas souvent la mise en œuvre d’une approche patriote et souverainiste du pays. Là naissent aussi des vues biaisées sur l’à-venir du pays.

Là où des Kongolais luttent et travaillent ensemble, main dans la main, en ayant des objectifs communs, il est très rare d’entendre des propos séparatistes, tribalistes ou ethnicistes… Mais là où les yeux sont constamment braqués sur “les gouvernants de l’Etat raté”, l’envie et la convoitise du “gâteau” ne permettent pas souvent la mise en œuvre d’une approche patriote et souverainiste du pays. Là naissent aussi des vues biaisées sur l’à-venir du pays.

Des croyances selon lesquelles ”un changement de régime” suffit pour régler les questions liées à la cohésion sociale, à la cohésion nationale, à la sécurité, à la justice sociale et économique s’incrustent dans les coeurs et les esprits. L’amnésie aidant, là, le refus d’examiner ce que le passage de Mobutu à Mzee Kabila, de Mzee Kabila à alias “Joseph Kabila”, de celui-ci à Fatshi béton vient brouiller une relecture avisée, historico-politique, culturelle et socio-spirituelle de la marche du pays.

Sans un mouvement de fond, un mouvement national anti-guerre ouvert à la relecture de la tradition et aux engagements citoyens de la base émancipateurs, capables de peser dans la balance des rapports de force établis avec ”les gouvernants de l’Etat raté”, le Kongo disparaîtra. « Nous bâtissons et nous bâtirons un pays plus beau qu’avant », ce vers de l’hymne national kongolais doit devenir un principe structurant de toutes les luttes kongolaises et surtout au niveau des collectifs citoyens de la base. Des collectifs tels que « Likambo Ya Mabele », « Nous peuple congolais », « Le Congo n’est pas à vendre », « La Nouvelle Société civile congolaise », « Conscience Nationale Congolaise », « les wazalendo », « Urgences panafricaines congolaises », les médias alternatifs kongolais, les Centres de formation tels que “Andrée Blouin” ou “Ndi Muntu”, etc. devraient s’associer afin de constituer ce mouvement de fond et produire des structures et des institutions parallèles à celles de ”l’Etat-raté-manqué” afin de le transmuter en un Etat souverain.

Se contenter de critiquer “l’Etat-raté-manqué” sans des propositions citoyennes pour un “bien-vivre” ne sert pas à grand-chose. Une union “avertie” fondée sur “une reliance” alimentée par la production d’une intelligence collective peut faire la force. Des conciliabules avec “les chiens de garde” des acteurs pléniers finiront par aboutir à la balkanisation et à l’implosion du Kongo. C’est cela qu’il faut éviter en devenant pragmatiques. C’est-à-dire en apprenant l’art de faire attention aux manoeuvres de l’ennemi interne et externe afin de devenir capables de produire des alternatives vitales et vitalisantes.

Conclusion

Dans l’un de ses livres, Peter Dale Scott soutient que « les conflits naissent de l’ignorance, de la dépossession et du ressentiment, et c’est le devoir des civilisations de les surmonter » [3]. Il a raison.

En effet, l’histoire du Kongo-Kinshasa a été et est encore un lieu de ”dé-civilisation”. Les paradigmes de néantisation du Muntu Kongolais qu’ont été la traite négrière, la colonisation et la néocolonisation ont atteint leurs objectifs dans les coeurs, les esprits et sur le sol kongolais. Ils ont zombifié et envoûté des masses entières des Kongolais. Ils ont produit l’ignorance, la dépossession et le ressentiment. ”La re-civilisation individuelle et collective du Muntu et des Bantu Kongolais est un défi à relever. Un grand mouvement anti-guerre , patriote et souverainiste, peut en jeter les bases refondatrices.

 

Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961

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[1] Les accords entre Kinshasa et Kigali et « le talk and fight » – Ingeta . A plusieurs reprises, mes articles sont revenus sur cette stratégie.

[2] Lire J.-P. MBELU, La fabrique d’un Etat raté. Essais sur la politique de la corruption morale & la gestion de la barbarie, Paris, Congo Lobi Lelo, 2021. Il est possible de gagner du temps en lisant tout simplement l’article d’Edward Herman sur Produire des « États ratés », par Edward S. Herman (voltairenet.org) .

[3] P. DALE SCOTT, La route vers le nouveau désordre mondial. 50 ans d’ambitions secrètes des Etats-Unis, Paris, Demi-Lune, 2011, p.353.

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