Par Jean-Pierre Mbelu
Il peut être possible d’évaluer les 54 ans d’indépendance politiquement symbolique de notre pays en posant certaines questions tournant autour de l’économie (politique), de la culture et de la défense. Un débat à bâtons rompus à ce sujet peut contribuer à l’ouverture des esprits et des cœurs des patriotes congolais à une autre façon de lutter en affinant les règles et les principes pouvant gouverner le Congo de demain.
La célébration d’un anniversaire offre une opportunité de dresser un énième bilan des années passées sur cette terre des hommes. Un bilan peut procéder d’une évaluation critique ou d’une évaluation complaisante. Il peut être souhaitable que celui qui le dresse sache s’il a joué, dans sa vie, un rôle d’acteur, de spectateur ou de marionnette.
En 1960, en effet, avec le discours historique du Premier ministre Patrice Lumumba, plusieurs de nos Pères et Mères de notre indépendance politique ont cru qu’il était possible que les Congolais(es) puissent récupérer l’initiative historique pour gérer leurs services de sécurités, leur économie, leur administration, leur culture et leur politique de manière souveraine. Ils ont cru que l’indépendance politique allait réellement être la mise en pratique du principe d’autodétermination et de souveraineté de notre peuple.
Diviser pour (mieux) régner
Ce rêve s’est révélé, petit à petit, illusoire au cours de plus de cinq dernières décennies. Néanmoins, il n’est pas anéanti. Il nous semble que c’est cela qui est important. Sa non-réalisation ne peut pas être attribuée exclusivement aux éléments externes à la cause pour laquelle les Pères et les Mères de l’indépendance congolaise ont lutté. Du point de vue individuel et systémique, les élites compradores congolaises y ont leur part de responsabilité. Elle est énorme. Elles ont préféré être ‘’les petites mains du capital’’ au lieu de servir la cause congolaise et l’intérêt général. Du point de vue structurel, être indépendant sans une maîtrise des forces de sécurité, de l’administration et des rouages de l’économie locale fut une hypothèque dont les conséquences se sont révélées désastreuses par la suite. Du point de vue stratégique, plusieurs Pères et Mères de notre indépendance politique ne semblent pas avoir maîtrisé l’arme fatale des colonialistes et de leurs alliés impérialistes : la division. Ceux-ci ont opéré en suivant le principe du ‘’diviser pour régner’’, guidés par les théories racialistes les portant à considérer les ex-colonisés et leurs élites comme des vassaux et des barbares.
En 1961, en voulant mettre en pratique ce principe, Brzezinski, le conseiller en matière de sécurité du Président américain Carter, lui demandait d’éviter ‘’toute collusion entre les vassaux’’ et de « les maintenir dans l’état de dépendance que justifie leur sécurité : cultiver la docilité des sujets protégés ; empêcher aux barbares de former des alliances offensives.»[1]
Diviser ‘’les vassaux’’, empêcher que ‘’les barbares’’ n’arrivent à créer des alliances offensives, protéger les assujettis en vue de cultiver leur docilité, tels sont les subterfuges auxquels les forces extérieures ont eu recours pour néocoloniser le Congo et l’Afrique.
Qui contrôle l’argent et les banques au Congo ? Qui est le maître des terres congolaises ?
Idéologiquement, ces subterfuges portent en eux la négation du Congolais et/ou de l’Africain comme sujet historique, comme acteur de sa propre histoire. Les Congolais et les Africains agissant en ‘’ esclaves consentants’’ ou en simples ‘’politiciens du ventre’’ ont travaillé en synergie avec ceux qui leur nient à la fois l’humanité et la capacité d’être des acteurs de leur propre destinée et ont participé à la mise en coupe réglée de leur propre pays. Cet esclavage volontaire a facilité le choix des ‘’nègres de service’’ après notre indépendance politique afin qu’ils soient les metteurs en pratique des programmes d’ajustements structurels (ou les mesures d’austérité conseillées par la Banque mondiale et le FMI) au Congo au cours du règne dictatorial de Mobutu. Ils sont en train de récidiver sous Joseph Kabila après la brève résistance de Mzee Laurent-Désiré Kabila contre les IFI.
Indépendance économique étouffée dans l’œuf, droits et libertés fondamentales confisquées au cours de la dictature et du règne de ‘’Mobutu light’’ (et des multinationales), espace public verrouillé par les négriers des temps modernes, tel est l’odieux spectacle que présente le Congo de Lumumba aujourd’hui. N’exagérons rien. Les combattants de la liberté, les résistants et les autres forces de changement luttent à l’intérieur et à l’extérieur du Congo pour sa souveraineté intégrale.
Il serait peut-être important qu’ils poursuivent leur lutte d’émancipation politique, culturelle, sociale et spirituelle en essayant de répondre collectivement et individuellement aux questions de ce genre : « Qui contrôle l’argent et les banques au Congo ? Qui est le maître des terres congolaises ? Qui contrôle les médias ? Qui propose le contenu des cours dans les écoles et universités congolaises ? Qui contrôle le contenu des émissions culturelles proposées à nos populations ? Quel est le message religieux et spirituel qui est livré en permanence aux populations congolaises ? » Ces questions peuvent être multipliées à l’infini. Elles peuvent être regroupées en celles-ci : « Est-il possible de perdre le contrôle de l’économie, de la culture et de la défense dans un pays et continuer à croire que ce pays est libre et indépendant ? Que faudrait-il faire pour récupérer le contrôle de ces domaines précieux de la vie d’une nation ? Que faisons-nous déjà ? »
Le principe du ‘’conflit maîtrisé’’
Il y a lieu de décrire sur Internet les réponses à ces questions, de les étudier et les proposer au sein des mouvements populaires et partis politiques unifiés et gérés par un leadership visionnaire et éclairé tout en travaillant aux méthodes (et stratégies) pouvant permettre aux meilleurs d’entre nous d’accéder au véritable pouvoir au Congo de Lumumba. La lutte vaut la peine d’être poursuivie. Ceux et celles d’entre nous qui sont déjà mieux outillés en ces matières sensibles (économie (politique), culture et défense) auraient intérêt à devenir, sans orgueil, nos enseignants dans ces mouvements ou ailleurs pour une lutte collective concertée, pouvant aboutir à la re-création du Congo. D’un Congo où ‘’le vivre bien’’ peut devenir la chose la mieux partagée.
L’indépendance politique obtenue en 1960 symboliquement a besoin de devenir effective. Débattons-en à bâtons rompus en respectant, pour ceux et celles qui le peuvent, le principe du ‘’conflit maîtrisé’’. C’est-à-dire, débattre sans haine, avec le souci d’édifier ; débattre sans nous massacrer au propre comme au figuré.