Par Jean-Pierre Mbelu
A travers les péripéties de la vie actuelle du Prof. Mbata, quelque chose de sérieux concernant le sort réservé à l’intellectuel congolais engagé pour le changement du système mis en place dans son pays est en train de se jouer. Il est curieux que les médias kinois traitant de ‘’la question du Prof. André Mbata Mangu’’ soient à compter du bout des doigts. Aux dernières nouvelles, il aurait pris l’avion pour l’Afrique du Sud. Est-il engagé sur le chemin de l’exil ou y va-t-il simplement pour dispenser ses cours ? ‘’Wait and see’’ ! Attendons voir !
Il arrive que l’intellectuel congolais sérieux, capable de grandes remises en question du système de prédation, d’abrutissement, d’avilissement et d’abâtardissement de nos populations soit sommé, à un moment ou à un autre, de choisir entre sa paupérisation à l’extrême, sa mort par assassinat extrajudiciaire ou son exil. Depuis l’assassinat de Patrice Lumumba, le Congo est devenu un espace vague où ‘’l’intellectuel subversif’’ est combattu à mort s’il ne se convertit pas en thuriféraire du régime en place. Floribert Chebeya demeure l’un des exemples les plus éloquents de ces dernières années. Il avait opté, dans sa lutte pour un Etat social et de droit au Congo, pour des actions à impact visible ; il ne voulait pas lutter en se cachant. Un jour vint où, après un rendez-vous avec l’Inspecteur de Police de Kinshasa, Chebeya sera assassiné.
En lisant les deux lettres du Bourgmestre de Lemba adressées au Prof. André Mbata Mangu, l’impression qui se dégage est celle d’être placé devant le même scénario que celui qui a précédé l’assassinat de Chebeya. Le Bourgmestre invite Mbata Mangu pour une séance de travail après la présentation de son livre sur Mandela. Cette invitation a quelque chose d’insolite : Mbata Mangu doit être muni de ses pièces d’identité. Contrairement à Floribert Chebeya qui avait répondu positivement au rendez-vous avec l’Inspecteur de la Police Congolaise, le Prof. Mbata résiste. En examinant les lettres qui lui sont adressées, il ne comprend pas qu’il puisse aller à un rendez-vous de travail avec un Bourgmestre d’une commune où son Université est située mais à qui il n’est en rien redevable.
Au lieu de répondre à ce rendez-vous, nous apprenons, aux dernières nouvelles que Mbata Mangu a pris son avion pour l’Afrique du Sud. Va-t-il finalement choisir l’exil en sacrifiant ses étudiants de l’Université de Kinshasa ou fait-il un break en attendant que le mauvais vent de ‘’la kabilie ‘’ passe ? Selon certains de ses proches, il n’est pas encore décidé. Il est parti dispenser ses cours en Afrique du Sud et après, il verra s’il est opportun de retourner au Congo ou pas. Certains autres lui conseillent d’attendre ‘’la fin de la kabilie’’ loin de la patrie de Patrice Lumumba. Nous nous disons : ‘’Wait and see ‘’ !
Mbata, à la suite de Chebeya, est un Congolais épris d’un idéal noble : changer leur pays de l’intérieur. Et pour lui, le modèle, c’est Nelson Mandela. Comme Chebeya, il vient de faire face aux forces du statu quo, aux pesanteurs du système de prédation et de la mort. Ils ne sont pas les seuls. Un ex-gouverneur de la Province du Kasaï-Occidental, Kabasubabo Katubalondi, a fait la même expérience et est allé publier, sur ses déboires, un livre dont le contenu est, par bien des côtés, révélateur de la capacité de nuisance des ‘’négriers des temps modernes’’ opérant à partir du Congo dit abusivement ‘’démocratique’’. Ces trois exemples n’épuisent pas la panoplie de compatriotes forcés d’errer à travers certains pays du monde pour avoir voulu mettre leur sagesse et leur intelligence au service de leur pays malgré leurs limites.
Reprenons le cas du Prof. Mbata. Il n’est même pas ‘’un intellectuel subversif radical’’. C’est ‘’un modéré’’ dans la mesure où, malgré le manque de recensement, les fraudes et les tricheries ayant marqué ‘’les élections piège à cons’’ de 2006 et de 2011, reconnaissait au ‘’Cheval de Troie de Kigali’’ la qualité de ‘’Président’’. Il parlait de ‘’Monsieur le Président’’ pour désigner celui que ‘’les intellectuels subversifs’’ Congolais dits ‘’radicaux’’ estiment être ‘’une marionnette’’ ou ‘’un pantin magnifique’’ de la communauté occidentale. Hélas ! ‘’Sa modération’’ vient d’être payée en monnaie de singe. Pour avoir voulu provoquer un débat après la publication d’un livre de l’un de ses collègues Professeurs d’Université, il est dorénavant traquer comme un malfrat ! Que lui est-il réellement arrivé ? S’est-il laissé séduire par l’expérience des autres Universités où il dispense les cours ? En Afrique du Sud et en France (et plus précisément à Paris) ? N’a-t-il pas malheureusement cru que le Congo dit abusivement ‘’démocratique’’ était un pays ‘’normal’’ ?
Il faut avoir échangé avec lui pour comprendre certaines de ses préoccupations intellectuelles. Quand il compare par exemple la production des Docteurs et des publications scientifiques dans ces Universités où il enseigne et celles de tout le Congo, il en vient à la conclusion que ce pays n’ pas d’avenir. Dans ‘’son idéalisme’’, il venait de lancer une revue scientifique bilingue intitulée ‘’Revue Africaine de la Démocratie et de la Gouvernance’’ (RADG) ou ‘’African Journal of Democracy and Governance (AJDG) dont le premier numéro est déjà sur le marché. Dieu seul sait ce qu’il a pu dépenser de sa poche pour que cette revue soit lancée sur le marché scientifique ! C’est donc ce monsieur, cette ‘’crème intellectuelle’’ congolaise qui risque d’être mis à l’index dans son propre pays et d’errer à travers le monde sans être sûr d’être à l’abri du danger. Son péché capital est d’avoir eu le courage de défendre ses idées en argumentant dans l’espace public.
C’est vrai. Certaines indiscrétions récoltées dans les milieux proches du Prof. Mbata témoignent que celui-ci est devenu ‘’dangereux’’ dès qu’il a remis en question la thèse du Professeur Boshab traitant de ‘’la révision constitutionnelle et de l’inanition du pays ’’. Certains de ses collègues Prof. de l’Unikin ont commencé à éviter son bureau : il s avaient peur d’être suspectés de fréquenter ‘’un intellectuel subversif’’. Sa situation actuelle nous fait penser à celles des Grands Témoins de l’histoire de la trempe de Don Helder Camara. Pour avoir perdu plusieurs de ses amis et proches à cause de son engagement au service de la justice, de la paix, de la vérité et de la dignité humaine, il en était arrivé à cette leçon-ci: ‘’ (…) Que celui qui opte pour la justice et pour le changement des structures qui réduisent en esclavage des millions d’enfants de Dieu se prépare à voir sa pensée déformée, à être objet de diffamation et de calomnies, à perdre tout prestige auprès des gouvernants et des puissants, peut-être même à être mis en prison, torturé, voire éliminé… »[1] Le Prof. Mbata va-t-il prendre le chemin de l’exil pour échapper à un éventuel sort tragique ? L’avenir nous le dira. Il ferait œuvre utile en créant des alliances avec ‘’les minorités organisées et agissantes’’ du Congo et d’ailleurs engagées dans la même lutte. L’union fait la force, dit-on.
Mbelu Babanya Kabudi