Le Conseil de sécurité de l’ONU a envoyé une mission en Afrique centrale dans le cadre des efforts destinés à ramener la paix en République Démocratique du Congo. Si la démarche, a priori, est frappée au coin du bon sens, l’objet précis de la mission interroge. En effet, la délégation du Conseil de sécurité a pour mission d’évaluer l’application de l’Accord-cadre pour la paix la sécurité et la coopération, signé le 24 février 2013 à Addis-Abeba. Etrange mission, parce que cet accord aurait raisonnablement dû être frappé de caducité depuis des mois pour un ensemble de raisons qui ne saurait être détaillées dans un article aussi court.
On peut juste rappeler quelques éléments. L’accord d’Addis-Abeba engage ses signataires au « respect de la souveraineté » (article 5 et 10) de leurs pays respectifs, à « ne pas tolérer, ni fournir une assistance ou un soutien quelconque à des groupes armés » et « ne pas héberger ni fournir une protection de quelque nature que ce soit aux personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, d’actes de génocide ou de crimes d’agression, ou aux personnes sous le régime de sanctions des Nations Unies » (article 5).
Un texte ubuesque
Quelqu’un a sûrement remarqué qu’un de ses signataires, le Rwanda, héberge sur son territoire des criminels notoires figurant sur les listes actualisées des personnes visées par les sanctions de l’ONU[1], de l’Union européenne et du gouvernement américain. Parmi eux, un certain Laurent Nkunda et autres Jules Mutebutsi ainsi que les membres de la faction du M23 qui ont quitté l’Est du Congo en mars dernier. Quelqu’un a aussi remarqué que l’Accord d’Addis-Abeba ne condamne pas les violations répétées de la souveraineté du Congo, répertoriées dans plusieurs rapports des experts de l’ONU. En d’autres termes, il prend acte et entérine les actes d’agression, ce qui est en flagrante contradiction avec les buts et principes des Nations Unies. Mais il y a pire.
L’Accord d’Addis-Abeba tourne au grotesque lorsqu’on réalise que Kigali et Kampala sont associés au mécanisme de suivi pour assurer son application (article 7). Autrement dit, le Rwanda et l’Ouganda se retrouvent à la fois dans le rôle de gardiens de la paix et de fauteurs de troubles.
Par ailleurs, le texte d’Addis-Abeba impose au Congo une série d’exigences qui se traduit par une dépossession autoritaire du droit d’un peuple souverain à disposer de lui-même. Un régime inique et humiliant digne de l’administration coloniale.Le comble est que ces exigences portent sur des matières qui relèvent de la souveraineté d’un État, ce qui constitue, là aussi, une violation de la Charte de l’ONU(article 2§7[2]).
Étrangement, les mêmes exigences (promouvoir le développement économique, la décentralisation, les réformes structurelles, la réconciliation nationale, la tolérance, la démocratisation,…) ne sont pas imposées aux autres pays signataires, ce qui place le Congo, non seulement dans une posture de subordination, mais surtout en charge d’une mission impossible.
Comment obtenir la paix dans la région si seul le Congo est obligé de se démocratiser et de réaliser les objectifs de réconciliation nationale ?Comment consolider la réconciliation nationale en subissant l’afflux ou la présence permanente des populations fuyant la dictature et le déni des libertés dans les pays voisins ? Et surtout, comment s’acquitter d’autant d’exigences en restant sous la menace d’une nouvelle agression armée ?
Un texte pratiquement caduc
Effectivement, ce qui devait arriver, est arrivé. Le 25 août dernier, l’armée ougandaise a franchi la frontière du Congo et pris position dans le territoire de Mahagi, jetant dans la nature plusieurs centaines de familles congolaises. Pendant ce temps, le Rwanda, selon de hauts responsables de l’ONU dépêchait plusieurs bataillons au Nord de Goma pour appuyer le M23. Donc, deux signataires d’un accord, qui était pourtant à leur avantage,ont entrepris de le violer de façon ostentatoire. Une conduite qui devrait suffire à persuader de l’évidence le Conseil de sécurité de l’ONU :il faut prendre acte de la caducité de l’Accord d’Addis-Abeba.
Dès lors, seuls les instruments classiques régissant les relations entre Etats (Charte de l’ONU)devaient servir de base à la prise en main du conflit par le Conseil de sécurité de l’ONU.
Difficile de croire qu’un texte aussibafouéque l’Accord d’Addis-Abeba puisse êtrerepris par une institution aussi sérieuse que le Conseil de sécurité de l’ONU,dont on apprend qu’il milite pour sa mise en œuvre.Un texte dont il faut, enfin, rappeler, qu’il s’ajoute à une série d’accords antérieurs[3], pour la paix, qui sont globalement restés lettre morte.
En réalité, ni les signataires, ni la population ne croit à ces accords, qui relèvent, pour l’essentiel, de pures manœuvres destinées à faire durer un conflit orchestré sur fond d’inavouables agendas cachés.
Reste que face à l’ampleur du désastre occasionné par la perpétuation du conflit, il est temps que le Conseil de sécurité s’invite en tant qu’acteur de premier plan avec la seule exigence de rompre l’interminable règne de l’impunité. Il s’agit d’appliquer le droit pour garantir la paix, c’est-à-dire, pour le Conseil de sécurité, assumer tout simplement la mission pour laquelle l’ONU a été créée.
Assumer ses responsabilités
Les pays qui agressent le Congo violent la charte de l’ONU et devraient faire l’objet de sanctions systématiques. L’Irak de Saddam Hussein a été sévèrement réprimé pour une seule agression contre le Koweït en 1990. Le Congo subit des agressions à répétition depuis 1996 sans que les agresseurs fassent l’objet de la moindre sanction de l’ONU. Plutôt que de continuer à se fourvoyer dans des accords sans perspective, le Conseil de sécurité de l’ONU devrait s’engager à sévir en cas de nouvelle agression.
Aucun malfrat ne renoncera à ses activités criminelles tant que la police et l’institution judiciairerenoncent à sévir.
Par ailleurs, les responsables identifiés des violences contre la population devraient commencer à faire l’objet d’arrestations, de poursuites et de condamnations, ce que les ONG réclament depuis des années (voir lettre de Human Rights Watch). L’idée d’un tribunal pénal international pour la RDC est régulièrement évoquée, comme récemment dans l’appel des 52 personnalités féminines.
C’est un dispositif de lutte effective contre l’impunité que le Conseil de sécurité pourrait rapidement mettre en place. Couplé avec la menace effective de sanction contre les agresseurs du Congo, ce dispositif permettrait de sortir de la situation assez absurde d’aujourd’hui dans laquelle aussi bien l’ONU que le Congo n’ont pas fini de se morfondre.
Procéder autrement et s’abriter indéfiniment derrière des accords bafoués relève d’une dangereuse logique de la dérobade. Car, pendant ce temps, des frustrations s’accumulent dans le cœur d’un peuple qui se sent injustement privé de l’application du droit, humilié et bafoué par des agresseurs visiblement assurés de la totale impunité. Tout cela pourrait se traduire par la consécration de la logique du recours à la force et à la vengeance.
Boniface MUSAVULI