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Quand nous disions que Mobutu devait partir ! (suite et fin)

Quand nous disions que Mobutu devait partir ! (suite et fin)

Quand nous disions que Mobutu devait partir ! (suite et fin) IN

Par Jean-Pierre Mbelu

En cherchant à identifier les acteurs majeurs intervenant dans l’histoire du Congo-Kinshasa et les structures économiques, culturelles et intellectuelles dont ils se sont servis et se servent encore, un fait saute aux yeux : leur capacité de créer des réseaux et de travailler avec beaucoup de persévérance sur le temps. Ils traitent les mêmes sujets et cherchent à atteindre les mêmes objectifs sur le long terme sans que cela transparaisse nécessairement à travers leurs discours officiels. Leur force réside dans leur grande capacité organisationnelle en conscience. Leur faire face exigerait, nous semble-t-il, la même capacité organisationnelle congolo-internationaliste en conscience. Dans les lignes qui suivent, nous poursuivons l’étude de cette organisation déjà commencée dans la première partie de cet article.

Au mois de décembre 1971, un congressiste américain, John Rarick, révèle qu’à l’issue de deuxième guerre mondiale et après la mort du président américain Roosevelt, les USA ont été pris en otage par des ‘’personnalités de mentalité internationaliste’’ soucieux d’instaurer un ‘’nouvel ordre mondial’’ aux ordres US et accompagné des ‘’slogans de l’ONU’’. Plusieurs de ces personnalités appartiennent au CFR (Council of Foreign Relations) et vont aider un Polonais du nom de J.H. Retinger à lancer le Groupe de Bilderberg en 1954. Il s’agit, entre autres, de David et Nelson Rockefeller ainsi que des frères Dulles. L’un des frères Dulles participe à la création de la CIA et sera appelé à prendre la tête de cette agence de sécurité US de février 1953 à novembre 1961 par le président Eisenhower.

Le droit à l’autodétermination et l’arrêt de mort de Lumumba

En rapport avec le Congo-Kinshasa, il est historiquement prouvé que sous le Président Eisenhower et au moment où Allen Dulles était chef de la CIA que Mobutu fut coaché par cette agence de sécurité américaine et que Lumumba fut assassiné. Une explication historique approximative lie l’assassinat de ce digne fils du Congo-Kinshasa à l’appel qu’il aurait lancé aux soviétiques après que les américains aient refusé de lui venir au secours pour mater les sécessions kasaïenne et katangaise. La vérité est que Lumumba a signé son arrêt de mort bien avant l’indépendance de son pays. Il était proche des milieux progressistes et lutter pour le droit à l’autodétermination de son pays dans un contexte où le Groupe de Bilderberg combattait l’émergence des Etats-Nations (souverains) et la CIA avait infiltrait les institutions congolaises avec la complicité de Mobutu et de sa cour.

Insistons. A ce point nommé, une question peut être posée aux tenants de l’explication susmentionnée : « Le Congo avait-il ou pas accédé à sa souveraineté nationale et internationale ? » S’il y avait accédé, il serait incompréhensible qu’il ne diversifie pas les partenaires de sa politique étrangère eu égard aux questions cruciales auxquelles il était confronté de l’intérieur ; que l’appel aux soviétiques puisse entraîner l’assassinat de son Premier ministre.

L’hypothèse la plus plausible est celle de la perpétuation de la colonisation occidentale sous la bannière US sous le faux prétexte ci-après : « les Etats-Unis ne pouvaient pas se permettre de voir le Congo tomber dans l’orbite soviétique. Après l’appel fait par Lumumba, les techniciens soviétiques commencèrent à arriver, dans la plus grande discrétion. S’ils arrivaient à le contrôler, ils utiliseraient le pays pour infiltrer et étendre leur influence sur les neufs pays, tous d’anciennes colonies, qui l’entouraient, ce qui aurait constitué une base de pouvoir extraordinaire en Afrique. »[1]

Le Congo et l’Etat profond US

Pourquoi les orientations de la politique étrangère du Congo de Lumumba devaient-elles dépendre des vues américaines, d’un pays étranger ayant déjà infiltré les institutions formelles congolaises ? Répondre à cette question en disant que cela a eu lieu pendant ‘’la guerre froide’’ ne suffit pas. ‘’La guerre froide’’ est un argument spécieux pour justifier cette colonisation américaine du Congo-Kinshasa. Cela d’autant plus que la fin de ‘’la guerre froide’’ n’a pas coïncidé avec la fin de la guerre tout court. Il nous semble la réponse à notre question est à chercher dans les objectifs majeurs poursuivis par ‘’les clubs internationalistes’’ créés par ‘’l’Etat profond’’ américain soucieux d’imposer la pensée unique mondialiste, d’inventer des espaces pouvant permettre aux groupes transnationaux de communiquer en privé et « de prendre des décisions adéquates pour manipuler les structures politiques classiques des deux côtés de l’Atlantique. »[2]

Un peu plus tôt, avant la création du Groupe de Bilderberg (en 1954), le financement du Plan Marshall, le CFR s’était déjà engagé à « faire en sorte que dans les vingt ans à venir, toutes institutions européennes passent sous contrôle américain. » Pour dire les choses autrement, la Belgique qui croit octroyer la souveraineté nationale et internationale au Congo-Kinshasa est infiltrée (et contrôlée) par l’Etat profond US ; certains de ses dirigeants participent de ce projet majeur des ‘’internationalistes US’’. Le Congo-Kinshasa est devenu formellement indépendant pendant que son ex-métropole était sous le contrôle américain depuis la mise en place du Plan Marshall et de l’idée de la Communauté du charbon-acier[3]. Cette histoire ne nous est pas très bien connue. Elle doit être écrite et étudiée afin que les difficultés liées à la prise d’initiative historique congolaise par les Congolais(es) puissent être bien comprises.

Comme nous l’avons déjà souligné dans la première partie de cet article, le Congo-Kinshasa infiltré par la CIA est aussi sous les fourches caudines des ‘’tueurs à gage économiques’’ servant les enjeux géostratégiques et politiques US qu’ont été (et que sont encore) la Banque mondiale et le FMI. Ce n’est pas tout.

Quand ‘’les personnalités internationalistes’’ US estiment qu’ils ont gagné la guerre froide et qu’elles peuvent dorénavant produire ‘’les Etats ratés’’, elles orchestrent les guerres de basse intensité. Il est curieux de remarquer que l’un des stratèges de ces guerres, Zbigniew Brzezinski, est un homme de confiance de David Rockeffeler, chef du Groupe Bilderberg et de la Trilatérale ! En effet, Brzezinski, est, écrit Michel Collon, ‘’l’homme qui a toute la confiance de l’empereur du pétrole David Rockeffeler, et qui inspire ses think tanks. L’homme qui a financé Ben Laden Laden afin de piéger l’Union soviétique dans une guerre de longue durée et brisée son alliance avec le monde musulman. »[4]

La guerre de basse intensité en RDC et le nouvel ordre mondial

La guerre de basse intensité imposée au Congo-Kinshasa après la chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS s’inscrit dans un projet vieux de plus de cinq décennies : imposer au monde un ‘’Nouvel ordre mondial’’ made in USA. Quelle est sa substance ? Il s’agit, répétons-le, de permettre aux entreprises multi et transnationales US (et alliées) de contrôler et de prendre possession des matières premières clefs (à travers le monde), d’orienter la pensée et la recherche, de mettre fin au règne des Etats-nations en produisant des ‘’Etats ratés’’ ouverts ou au marché non-régulé ou au ‘’chaos constructeur’’ du désordre ‘’maîtrisé’’ par ‘’les clubs internationalistes’’.

Mobutu fut l’un des acteurs apparents de ce projet ; Kagame, Museveni, Mzee Kabila, Joseph Kabila et ‘’leurs clans’’ ont servi et servent encore ce projet. Plusieurs membres de la Nomenklatura passé dans ‘’l’opposition politique’’ congolaise et coachés par ‘’les supplétifs’’ des ‘’personnalités internationalistes’’ du CFR, de Bilderberg et de la Trilatérale servent (consciemment ou inconsciemment) ce projet.

Plusieurs membres de la Nomenklatura passé dans ‘’l’opposition politique’’ congolaise et coachés par ‘’les supplétifs’’ des ‘’personnalités internationalistes’’ du CFR, de Bilderberg et de la Trilatérale servent (consciemment ou inconsciemment) ce projet.

Quand nous apprenons l’UE, signataire des accords de libre-échange avec les ACP[5], prête à signer ‘’le traité transatlantique’’, demande qu’au Congo-Kinshasa, Joseph Kabila et l’opposition dialoguent, nous ne comprenons pas très bien ce qu’elle veut dire. Chercherait-elle à mettre sa responsabilité dans la crise de légitimité sévissant au Congo-Kinshasa entre parenthèse ? Que fait-elle de sa participation aux crimes et à la censure dans ce pays depuis (longtemps ?) les élections de 2006[6] ?

La balle est dans le camp des patriotes congolais

Si le Congo-Kinshasa était un pays ‘’normal’’, il organiserait un dialogue entre les responsables des ‘’clubs internationalistes’’ occidentaux, leur ‘’Etat profond’’ et le peuple congolais. Il tournerait entre autres autour de cette question cruciale : « Comment, dans le respect de la souveraineté politico-économique, spirituelle et culturelle du Congo-Kinshasa, les multi et les transnationales occidentales peuvent acheter ses matières premières ? » Or, le Congo-Kinshasa n’est pas un pays normal. Il est un ‘’Etat raté’’ sous occupations des proxies US et sous la tutelle de l’ONU. Donc, ce ‘’véritable dialogue’’ est impossible. (Sous les cieux sud-américains, plusieurs pays souverains ayant réussi leur intégration politique, économique, culturelle et sécuritaire procèdent de cette façon-là.)

Le jeu que jouent l’UE et son surgeon américain au Congo-Kinshasa n’est pas de nature à contribuer, sous peu, à la stabilité et à l’unité de ce pays. Pour preuve, par le canal de l’Etat profond US et avec l’aide de l’OTAN, ils attestent qu’ils ne sont pas encore convertis à l’idée du respect du droit international et de celui de l’autodétermination des peuples vivant dans des pays disposant des matières premières clefs.

Dans son dernier Defense Planning, l’Etat profond US définit, pour les années à venir, son objectif majeur en ces termes : « Notre objectif majeur est d’empêcher qu’une quelconque puissance domine une région dont les ressources seraient suffisantes à engendrer une puissance mondiale. »[7] Tel est l’enjeu des luttes et des guerres présentes et à venir dans un pays comme le Congo-Kinshasa et dans une Afrique vue comme simple réservoir des matières premières par le 1% d’oligarques d’argent occidentaux.

Comment, dans ce contexte, dépasser avec beaucoup d’intelligence et de sagesse, au Congo-Kinshasa, le simple appel au départ du ‘’raïs’’ pour construire, à court, moyen et long terme, un projet de société participatif à même de transformer nos masses populaires en masses critiques disposées à défendre, au prix fort, la véritable indépendance et la souveraineté réelle de ce pays ? Comment défaire le jeu des membres de la ‘’Nomenklatura’’ passés sous peu dans ‘’une opposition de pacotille’’ pour construire, dans la patience et sur le temps, un imaginaire alternatif capable de déconstruire la pensée hégémonique dominante et les structures économiques qui la perpétuent au profit d’un contre-pouvoir congolais tourné vers la démocratie-palabrique-directe et promotrice d’un Etat congolais plurinational et social ?

Ces questions devraient être portées par les minorités organisées et agissantes, soucieuses de l’avènement d’un Congo-Kinshasa digne et prospère. Quand nous disions que Mobutu doit partir, nous ne semblions pas très près à examiner en profondeur les moyens intellectuels, culturels, spirituels, économiques et sociaux dont nous disposions pour que son départ rime avec un projet zaïro-congolais alternatif conséquent. Allons-nous commettre la même erreur en criant ‘’Kabila doit partir’’ ? La balle est dans le camp des patriotes congolais et des autres congophiles vivant à travers le monde.

 

Mbelu Babanya Kabudi

 


[1] J. BRAIBANT, Congo. L’histoire d’un gâchis et d’un pari stupide, Bruxelles, Jourdan, 2014, p. 225.
[2] P. et D. DE  VILLEMAEREST, Faits et chroniques interdits au public, Tome II, Paris, Aquilion, 2004, p.14.
[3] Il serait intéressant de lire ici le cinquième chapitre du livre d’Annie Lacroix-Riz intituléAux origines du carcan européen (1900-1960). La France sous influence allemande et américaine, Paris, Delga, 2014, p. 113-131.
[4] M. COLLON, Les 7 péchés d’Hugo Chavez, Bruxelles, Investig’Action, 2009, p. 393.
[6] Lire  C. ONANA, Europe, crimes et censure au Congo. Les documents qui accusent, Paris, Duboiris, 2012.

 

 

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