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Pourquoi Kabila récompense-t-il les généraux mal performants?

Pourquoi Kabila récompense-t-il les généraux mal performants?

Pourquoi Kabila récompense-t-il les généraux mal performants? IN

Par Jean-Jacques Wondo

Entre avril et mai 2007, les experts belges de la mission de conseil et d’assistance de l’Union Européenne en matière de réforme du secteur de la sécurité (EUSEC) ont évalué quinze brigades intégrées des FARDC. Selon leur rapport intérimaire, « l’état de délabrement des brigades intégrées était préoccupant et nécessitait un plan d’action d’urgence. » S’agissant notamment d volet de la formation, le constat était accablant : « Il est un fait que de nombreux officiers et gradés des FARDC NE disposent PAS du niveau requis pour exercer les fonctions liées au grade duquel ils sont revêtus. Dans certains cas, les bases même du métier militaire sont absentes ».

Dans leurs conclusions intérimaires, les experts de l’EUSEC ont relevé que « Le processus de Brassage a souffert de graves difficultés en raison de retards dans la mise en place des brigades, des erreurs d’administration et de manque de volonté politique tant dans la haute hiérarchie militaire qu’au sommet de l’Etat. (…)

Un autre rapport[1] réalisé en 2012 par un panel d’organisations congolaises et internationales impliquées dans la RSS au Congo indique que «L’échec de la mise en œuvre de la RSS est imputable à un manque de volonté politique aux échelons les plus élevés du gouvernement congolais. Au lieu de présenter une vision de la sécurité congolaise et de mobiliser les ressources nécessaires pour la concrétiser, le gouvernement a encouragé l’établissement de divisions au sein de la communauté internationale et permis à des réseaux corrompus actifs, présents au cœur même des services de sécurité, de prospérer en dérobant les ressources censées couvrir les salaires de base ou en profitant de l’exploitation des ressources naturelles. Si cette situation n’évolue pas, une réforme durable sera impossible…» Le rapport impute également une « responsabilité significative » à la communauté internationale : « les partenaires internationaux de la RDC ont fait preuve d’incohérence politique et d’une coordination déficiente (…) L’inadéquation de la coordination s’est soldée par des interventions menées au coup par coup et s’appuyant sur des impératifs contradictoires à court terme. Cette démarche s’est traduite par des échecs qui ont incité nombre d’acteurs à complètement abandonner l’idée d’une réforme systémique. »

A la suite de la déroute des FARDC à Goma le 20 novembre 2012 face à la rébellion du M23, le président Kabila a déclaré le 15 décembre 2012, lors de son traditionnel discours annuel sur l’état de la Nation devant l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en congrès de faire de la défense nationale la priorité des priorités : «Désormais, au-delà de toutes nos actions pour le développement, notre priorité sera la défense de la patrie avec une armée dissuasive, apolitique et professionnelle qui rassure notre peuple ». De même, dans ses vœux de nouvel an 2013 adressés à la Nation le 31 décembre, le président congolais a réitéré le même vœu pieux que la réforme de l’armée est une des priorités du Gouvernement. Peut-on affirmer au vu de récentes ordonnances que l’on s’achemine vers la formation d’une armée réellement dissuasive, apolitique et professionnelle qui va rassurer les citoyens congolais ?

L’EUSEC-RD Congo a fait état au début de l’année 2013 d’une situation confuse qui régnait au Nord-Kivu. Elle a décrit l’état d’« une armée avec des militaires sous-équipés, pas très instruits en majorité́ et ne disposant ni d’armement approprié et moderne[2]

Ainsi dans sa réorganisation des FARDC, M. Kabila reprend les mêmes, les perdants, dans le but de faire sans doute du neuf avec du vieux ! Formule innovante non ?

Une armée trahie par ses  propres généraux promus et gratifiés. Une première mondiale !

Pour rappel, la déroute de l’armée congolaise à Goma en novembre 2012 a laissé bien des observateurs perplexes, selon l’agence Reuters (10/12/2012).  Les reporters de l’agence Syfia ont recueilli les témoignages des militaires désemparés et ivres. Alors qu’ils enfonçaient les lignes ennemies, ordre leur avait été donné d’arrêter les combats. « Ça c’est une trahison pourquoi lorsque nous avons la maitrise de la situation, on nous demande de cesser le feu pour que les rebelles viennent nous surprendre. Il y a quelque chose que nous devons comprendre », s’interrogeait un militaire. « Pourquoi nous demande-t-on d’arrêter de combattre? Voilà nous venons bêtement de perdre nos positions et certains de nos collègues », regrettait aussi un membre d’un commando récemment formé par les Belges. En arrivant vers Kibati, un peloton de militaires contemplaient les collines rwandaises, l’un d’eux s’est approché de la presse et dit : « C‘est nous qui combattons, je n’ai peur d’être contredit : au front nous nous affrontons avec l’armée rwandaise. En tous cas notre président est complice, je ne veux plus m’exposer à la mort dans une armée politisée comme celle-ci. » Furieux, près de 500 d’entre eux ont refusé de combattre et ont déserté. D’autre part, les commandos redoutent eux la complicité de leurs collègues des régiments avec les rebelles du M23: « Je ne comprends pas. Les ennemis sont informés de nos mouvements alors qu’ils n’y sont pas, cela frise de complicité de nos collègues des régiments qui collaborent avec leurs amis qui ont fait défection depuis le mois d’avril », constate un commando. « Vraiment il y a beaucoup de choses à faire dans cette armée ! Comment expliquer qu’un militaire engage le combat avec un téléphone portable en poche, s’insurge un autre. Certains n’ont pas coupé le cordon avec leurs collègues insurgés, il n’y a pas moyen d’avancer car nous irons toujours d’échec en échec. » Même cri d’alarme de cet officier : « Regarde ce téléphone portable que j’ai trouvé dans la poche du cadavre d’un soldat tombé pendant la bataille du 15 novembre. J’y reçois des appels en provenance de soldats du camp ennemi. Ils vont nous attraper comme des rats tout en disant que notre commandement leur appartient ; voilà pourquoi je dis que nous sommes infiltrés. » Face à cette situation et à leur rage contre le gouvernement et Kabila qui les a trahis, les a vendus, leur a menti, disent-ils… (Flory Mumena, Sifya,23/11/2012)

Pandant que Kinshasa exige au Rwanda de lui livrer le minable pasteur Runiga, qui n’était qu’un simple exécutant politique sans pouvoir effectif sur les troupes du M23 elle continue à négocier avec la bande à Makenga, le vrai boucher militaire du Nord-Kivu. Pourquoi ne pas émettre un mandat d’arrêt contre ce dernier. Entretemps, le généralissime Gabriel Amisi ‘Tango Four’, suspendu pour avoir livré des armes et munitions aux rebelles et soupçonné de haute trahison par ses troupes lors de la chute de Goma, vaque librement à ses occupations et s’occupe de ses juteuses affaires tirées de l’exploitation illicite des minerais. Que Kinshasa montre sa bonne volonté en commençant d’abord à faire ce qui est facile: poursuivre judiciairement Amisi qu’elle peut arrêter plus facilement que Runiga. Trève à la diversion de mauvais goût et arrêtez de prendre les Congolais pour les dupes. A un moment la supercherie ne marche plus!

Récompenser les généraux peu performants pour contenir la contestation

Hormis, les récents succès militaires limités des FARDC au front, œuvre des troupes motivées que des plus hauts gradés restés pour la majorité à Kinshasa en train de festoyer leurs étoiles dorées de général, l’état des FARDC reste préoccupant. Les succès face au M23 sont en grande partie dus à l’affaiblissement du M23 (amputé de 800 hommes de Ntaganda, privé de se réseaux de recrutement au Rwanda et des ravitaillements à partir du Rwanda suite à la pression internationale sur Kagame).

Par un subtil jeu de récompense des officiers généraux, malgré leurs défaillances en général (seule une poignée mérite cette promotion) et les défaites militaires, Kabila reste fidèle d’abord à ceux qui lui vouent loyalisme et puis à sa stratégie de diversion bien résumée par un observateur attentif de la situation politique du Congo, le professeur Augustin Ramazani du Québec : « La corruption commence dans l’armée. Souvenez-vous la veille des élections du 28 novembre 20011, encore l’armée a reçu des grades, après c’est la magistrature et puis le parlement pour changer la loi fondamentale…On voit là où Joseph Kabila veut nous conduire… Un jeu de cirque... »Une bonne lecture d’autant qu’effectivement à l’approche des élections de 2011 et compte tenu de la situation de tension qui se polarisait autour de lui, le président Kabila a recouru à la même stratégie en régularisant tous les militaires ex-FAZ mis à pieds ou anticipativement retraités par Mobutu dans le procès des « Terroristes en 1978 » et dans l’affaire des « Enveloppés » (Lire Les Armées au Congo-Kinshasa). Ces derniers ont été financièrement indemnisés dans l’optique de calmer les remous dans les rangs.

L’on constatera que c’est la même stratégie de la satisfaction des besoins primaires physiologiques des congolais (BMW : Business, Money ou Music and Woman) de la pyramide de Maslow que le président Kabila essaie d’appliquer maintenant en commençant par promouvoir les magistrats, puis les militaires et bientôt ce seront vraisemblablement les députés qui se battent pour doubler leurs salaires, qui seront invités à Kingakati pour être motivés et puis ce sera au tour des délégués aux concertations nationales. Question pour M. Kabila de s’assurer de leur soutien inconditionnel par ce subtil stratagème de  leur conditionnement pavlovien comme des petits rats lorsqu’il s’agira de proposer l’un ou l’autre  passage en force dans le cadre des enjeux à venir : concertations/dialogue national ou modification de la constitution en faveur d’un nombre illimité de mandats présidentiels.

Lorsque l’on nomme des officiers généraux et supérieurs à la tête des armées, il faudrait également en tirer les conséquences en cas de défaite militaire car il n’ya pas de mauvaises troupes mais bien de mauvais chefs, dit-on. Cela a été clairement exprimé dans l’interpellation du 3 décembre 2012 du sénateur Mokonda Bonza au ministre de la Défense nationale le pharmacien Alexandre Luba :

« (…) Qui nomme les généraux et les officiers supérieurs ? Tient-il compte de la compétence réelle de ces officiers ? Pourquoi a-t-on nommé des étrangers dans notre armée ? Le cas de Bosco Ntaganda en est un. Cette année, on a trouvé des officiers et hommes de troupes rwandais dans notre armée. Est-ce normal ? Que fait-on de la souveraineté de notre pays ? Peut-on s’étonner qu’aujourd’hui les armées étrangères connaissent parfaitement nos insuffisances quand le commandement militaire intègre des étrangers dans les FARDC ? (…) » Et de conclure: «Messieurs du gouvernement, vous avez-vous-même préparé le terrain à l’agression et à la déstabilisation. Vous devez rendre compte au peuple congolais. Les accords secrets que vous signez affaiblissent notre armée. Une Armée que le Constituant et l’ensemble du peuple congolais veulent nationale et républicaine. De la santé de ce corps dépendent l’indépendance, la souveraineté et l’avenir de notre pays, l’Unique que nous avons hérité de nos ancêtres qui, dans ses frontières du 30 juin 1960, doit demeurer un Etat de droit, indépendant, souverain, uni et indivisible (…) ».

Pendant ce temps, l’ironie du sort fait que le calme revient au Nord-Kivu alors que la conjoncture militaire semble avantageuse aux FARDC. Plus tôt qu’ordonner aux troupes loyalistes de mener une offensive définitive contre le M23 visiblement affaibli, mais les officiers au front nous disent ne pas comprendre pourquoi ces ordres ne viennent pas de Kinshasa, entre-temps, le M23 essaie de se reconstituer. Après l’épisode des contre-ordres ou ordres de repli nous voilà dans l’épisode d’ « attendre les ordres de Kin » qui tardent à venir. Allez-y comprendre quelque chose?

Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Analyste des questions politiques et sécuritaires de la RD Congo
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[1]DRC-SSR-Report-2012,  République Démocratique du Congo Prendre position sur la réforme du secteur de la sécurité, mai 2012.

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