Par Jean-Pierre Mbelu
Il est curieux que l’appel lancé par Marin Kobler pour associer l’US Africom à la lutte contre ‘’les terroristes de la LRA’’ n’ait presque pas suscité de débat dans le microcosme politico-social congolais ! La distraction créée par le débat tournant autour de la Constitution et les élections semble détourner l’attention des Congolais(es) des enjeux internationaux dont ‘’la guerre contre le terrorisme’’ n’est que l’arbre qui cache la forêt. Il ne serait pas exclu que la confiance dont jouit Martin Kobler auprès d’une bonne frange d’acteurs de la classe politique et de forces sociales congolaise conduise à l’évitement du débat sur cette question. Le loup s’introduirait davantage dans la bergerie avec l’assentiment des compatriotes fatigués de réfléchir sur leur pays. Dommage !
Pendant qu’une bonne partie de la classe politique et de forces sociales congolaises débat de la révision constitutionnelle, de la nouvelle constitution ou du référendum populaire sur cette question, l’un des acteurs majeurs de la politique congolaise, Martin Kobler, « préconise des opérations conjointes entre les FARDC, l’US Africom et la Munusco, dans la lutte contre les rebelles ougandais de la LRA, dans le territoire de Dungu. [1]» Apparemment, cette initiative est bonne. Elle pourrait aider le Congo-Kinshasa à se débarrasser des tueurs de ses filles et fils dans la Province Orientale.
Main basse sur les richesses minérales du Congo-Kinshasa
Curieusement, certaines questions peuvent être posées ! Que fait l’US Africom en RDC et dans sa Province Orientale au moment où Raf Custers, dans ‘’Chasseurs de matières premières’’, soutient que dans cette partie du Congo-Kinshasa, l’Ituri pourrait devenir ‘’un protectorat US’’? Depuis quand est-il là ? Quel est son objectif majeur ? Pourquoi Martin Kobler donne-t-il l’impression de se substituer au ‘’gouvernement congolais’’ dans cette ‘’guerre contre le terrorisme’’ ? Quel pourrait être le lien avec cette possible lutte contre ‘’les terroristes’’ de la LRA et le cycle électoral à venir au Congo-Kinshasa ?
Un petit rappel. Le dernier documentaire de la BBC[2] sur ‘’le génocide rwandais’’ a rappelé aux plus amnésiques d’entre nous que la guerre de basse intensité menée par les proxies US dans la sous-région des Grands Lacs africains avait comme objectif de faire main basse sur les richesses minérales du Congo-Kinshasa par les USA et la Grande-Bretagne. Ce secret de Polichinelle fut dévoilé un peu tôt par Honoré Ngbanda , Pierre Péan, Delphine Abadie et Alain Deneault, Charles Onana, Théogène Rudasingwa, etc. Il serait intéressant de lire à nouveaux frais ‘’crimes organisés en Afrique centrale. Révélations sur les réseaux rwandais et occidentaux’’ de Ngbanda (2004), ‘’Noires fureurs, blancs menteurs. Rwanda 1990-1994’’(2005) et ‘’ Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique’’ de Pierre Péan (2010), ‘’Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique’’ de Delphine Abadie et Alain Deneault (2008), etc. pour comprendre ce dont il est question dans cette ‘’guerre perpétuelle’’ imposée au Congo-Kinshasa et à plusieurs pays du monde par la puissance hégémonique américaine et ses alliées.
Il s’agit de recourir au mensonge, aux crimes contre l’humanité, aux crimes de guerre, à la corruption sur fond de racisme pour piller les ressources stratégiques desdits pays au nom de ‘’la démocratie’’ et de ‘’la liberté’’. Il s’agit réellement de faciliter l’accès des multinationales occidentales à ces richesses, à moindre coût, afin qu’elles deviennent davantage de ‘’nouveaux centre de pouvoir’’. Dans ce processus raciste, mensonger et criminel d’extermination des peuples, les droits de l’homme et la démocratie sont considérés comme des ‘’objectifs vagues et irréels’’.
L’Etat profond US et ses alliés qui en sont les concepteurs ont choisi d’instrumentaliser l’ONU en se servant de ses ‘’slogans’’ comme somnifères. Pour eux, comme l’affirme si bien un néoconservateur, Bolton, « les nations unies n’existent pas. Il y a une communauté internationale qui peut à l’occasion être dirigée par le seul pouvoir réel dans ce monde, les Etats-Unis, quand cela correspond à nos intérêts et que nous pouvons entraîner les autres. [3]»
Africom constitue une arme essentielle dans les plans de domination mondiale des Etats-Unis
Ce petit rappel sert à situer l’US Africom et la Monusco dans un contexte géoéconomique et historique permettant de comprendre l’appel de pied et la soumission de la deuxième au premier. Depuis le 1er octobre 2008, l’Africa Command (Africom) est installé à Stuttgart, en Allemagne ; et il crée petit à petit ses bases militaires dans plusieurs pays africains comme en témoigne le documentaire intitulé ‘’Africom go home’’[4].
Dernière ‘’la guerre perpétuelle’’ contre le terrorisme, l’US Africom, après avoir neutralisé l’UA, veut « ‘’stabiliser’’ la dépendance de l’Afrique, l’empêcher de s’émanciper, l’empêcher de devenir un acteur indépendant qui pourrait s’allier à la Chine et à l’Amérique latine. Africom constitue une arme essentielle dans les plans de domination mondiale des Etats-Unis. Ceux-ci veulent s’appuyer sur une Afrique et des matières premières sous contrôle exclusif dans la grande bataille qui s’est déclenchée pour le contrôle de l’Asie et ses routes maritimes. [5]»
Avec le retour sur la scène internationale de la Russie et des autres pays émergents comme la Chine, l’Inde et le Brésil, l’US Africom partage le premier objectif du Defense Planning US : « Empêcher qu’une quelconque puissance domine une région dont les ressources seraient suffisantes pour engendrer une puissance mondiale.[6]» Dans ce contexte, quand l’Etat profond US n’arrive pas à exercer un contrôle exclusif sur l’une ou l’autre région qu’il a en vue, il y crée ‘’le chaos constructeur’’ de son ‘’nouveau désordre mondial’’ en travaillant main dans la main et/ou dans l’ombre avec ‘’les seigneurs de la guerre’’. Ces derniers peuvent, selon ses humeurs ou ses stratégies, passer du statut de ‘’collaborateurs’’ à celui des ‘’terroristes’’ à exterminer. Ben Laden est un exemple éloquent.
Desserrer l’étau néocolonial et néolibéral US
Revenons au Congo-Kinshasa. L’appel de Martin Kobler trahit ‘’sa collaboration’’ avec l’US Africom pour contrôle et soumettre davantage ‘’le cœur de l’Afrique’’. Il profite de la manducation des cœurs et des esprits des acteurs politiques et des forces de la société civiles qui lui fond confiance pour avancer le projet US. Cela d’autant plus que tous ces acteurs sont contrôlés au quotidien par les ambassadeurs US et alliés et par les supplétifs de la CIA tels que l’USAID et le NDI. Tel est le contexte où pourraient bientôt s’organiser des élections dites ‘’démocratiques, libres et transparentes’’ ! Elles risqueront d’être ‘’démocratiques et libres’’ que dans la mesure où les élus qui en sortiront pourront être ‘’pro-occidentaux’’.
Après avoir perdu la Chine, la Russie et une bonne partie de l’Amérique latine, l’Etat profond US compte beaucoup sur l’Afrique pour continuer à exercer son hégémonie. Le cœur de l’Afrique lui est précieux. Le Congo-Kinshasa a neuf voisins. Le voir devenir un Etat social et plurinational fondé sur la coopération, la fraternité et la justice sociale ne pourrait pas du tout être du goût de tous ceux qui, avec l’accord de l’Etat profond US, ont accepté, en conscience, de s’engager dans un processus mensonger, raciste et criminel pour éviter qu’une Afrique souveraine émerge des cendres de sa néocolonisation et de sa néolibéralisation avec un grand pays en son centre.
Si les dignes filles et fils du Congo et de l’Afrique acceptent de créer un imaginaire alternatif en défiant les médiamensonges par des campagnes de contre-propagande bien planifiées ; s’ils acceptent de refonder dans la diaspora comme dans leurs pays respectifs de nouveaux lieux du savoir et de la culture ; s’ils s’organisent en conscience pour faire face à l’enjeu de l’heure c’est-à-dire la lutte pour l’hégémonie occidentale des multinationales contre tous les principes humanistes et le droit international en ayant les yeux braqués sur les expériences des pays qui sont en train de ‘’réussir’’ ; s’ils panafricanisent et internationalisent en conscience leur lutte pour une Afrique souveraine, il pourrait, à moyen terme ,desserrer l’étau néocolonial et néolibéral US et créer des espaces de paix et de sécurité communs. ‘’La guerre contre le terrorisme’’ dans laquelle Kobler voudrait entraîner le Congo-Kinshasa n’est qu’un mensonge de plus au service de la dépendance de ce pays vis-à-vis des Etats-Unis. Dans ce contexte, nous ne serons pas étonnés que si jamais, demain, il y a élection au Congo-Kinshasa et qu’un digne fils de ce pays les gagne, il soit assassiné comme Lumumba. Les mêmes causes risquent de produire les mêmes effets.
Mbelu Babanya Kabudi