Par Jean-Pierre Mbelu
« L’histoire nous apprend que nous ne savons pas apprendre de l’histoire. » – M. JEAN
Mise en route
Le Kongo-Kinshasa a ses élites intellectuelles. Contrairement à l’image que l’on voudrait vendre de ce pays, ses dignes filles et fils écrivent. Ils documentent et se documentent au sujet de la guerre par morceaux imposée à leur pays. Plusieurs peuvent déjà l’avoir oublié. Les acteurs principaux de l’un des premiers documentaires sur cette guerre intitulé “Le conflit au Congo. La vérité dévoilée” sont des Kongolais.
Il me semble important de revenir régulièrement aux écrits des Kongolais(es) et de leurs ami(e)s sur la guerre par morceaux dont souffre leur pays pour échapper à l’amnésie, à la paresse intellectuelle et aux jeux victimisants des acteurs apparents de la descente de ce pays aux enfers.
Ces élites kongolaises ont appris à travailler en équipe en vue de magnifier l’intelligence collective. Qu’elles ne soient pas toujours lues et connues dans leur pays, cela pourrait être un signe : participer de l’abrutissement des Kongolais(es) en leur répétant à longueur des journées que le pays n’a pas d’élites intellectuelles. Dieu, merci. La publication régulière des livres et le niveau de certains débats sur les chaînes de télévision kongolaises sont en train de battre en brèche cette contre-vérité.
Il me semble important de revenir régulièrement aux écrits des Kongolais(es) et de leurs ami(e)s sur la guerre par morceaux dont souffre leur pays pour échapper à l’amnésie, à la paresse intellectuelle et aux jeux victimisants des acteurs apparents de la descente de ce pays aux enfers. Cela peut aussi faciliter plusieurs mises au points.
A Kisangani, une mémoire et un livre
La problématique de la guerre raciste de prédation et de basse intensité imposée aux Grands Lacs africains en général et au Kongo-Kinshasa en particulier ne devrait pas être traitée uniquement dans un cadre restreint des changements pouvant intervenir à la tête des pays concernés. Elle est aussi liée à la politique d’émancipation des populations souffrant de soumission et du précariat que leur imposent “les esclaves africains de salon”. A un certain moment, la paresse intellectuelle gagne. La mémoire historique de cette guerre cède la place aux récits “actualisés” de l’extermination de telle ou telle autre minorité dont certains membres ont participé et participent encore à la guerre raciste de prédation et de basse intensité pour la conquête des terres kongolaises et l’extermination des bantu[1].
La problématique de la guerre raciste de prédation et de basse intensité imposée aux Grands Lacs africains en général et au Kongo-Kinshasa en particulier ne devrait pas être traitée uniquement dans un cadre restreint des changements pouvant intervenir à la tête des pays concernés. Elle est aussi liée à la politique d’émancipation des populations souffrant de soumission et du précariat que leur imposent “les esclaves africains de salon”.
Il me semble important d’avoir régulièrement recours aux livres et aux archives lorsqu’il arrive que la mémoire historique fasse défaut. Il est déjà magnifique qu’à force de lutter, les jeunes compatriotes ayant initié “le GENOCOST” aient réussi à obtenir que le 02/08 soit une date retenue au Kongo-Kinshasa pour la commémoration du génocide kongolais. Ceci est une très grande victoire historique.
Dernièrement, en commémorant ce génocide à Kisangani, les gouvernants kongolais ont écouté des récits d’une tragédie unique en son genre. Le Rwanda et l’Ouganda, deux pays étrangers, se sont fait la guerre sur le sol kongolais en se disputant ses matières premières et en tuant ses populations innocentes[2]. Ecouter ce récit et croire après que la guerre menée contre le Kongo-Kinshasa l’est pour protéger “les minorités” serait un mensonge éhonté.
D’ailleurs, un groupe de compatriotes vivant à Kisangani avait pu initié toute une étude sur ce qu’il avait vécu et publié un livre-témoin sous la direction de Jean-Pierre Badidike et intitulé “Guerre et droits de l’homme en République Démocratique du Congo. Regards du Groupe Justice et Libération” (Paris, L’Harmattan, 2009). Dans ce livre, plusieurs mouvements proches du Rwanda et de l’Ouganda ayant participé aux atrocités commises à Kisangani et ailleurs sont mentionnés. Malins, plusieurs membres de ces mouvements jouent sur l’amnésie et la paresse intellectuelle kongolaises pour se faire une certaine virginité politique et victimiser leurs “minorités”.
Ils s’imaginent que le temps long peut avoir raison de la conscience historique kongolaise. Ils savent, eux, que la précarité que provoque cette guerre perpétuelle de prédation peut, à un certain moment, provoquer la haine entre les Kongolais et les opposer les uns aux autres. Cela pourrait leur permettre d’en gagner quelques-uns à leur cause ; celle de la victimisation des “minorités” et de l’oubli de l’histoire des montruosités auxquelles ils ont activement participé. Ces mouvements, avouons-le, ont infiltré toutes les institutions et structures du pouvoir kongolais au point de les incapaciter de l’intérieur ; avec la complicité de plusieurs Kongolais(es). Bien sûr.
Deux autres livres et une difficulté de perception
Mais cela n’a pas affaibli la résistance kongolaise et les écrivains kongolais soucieux de mettre par écrit les étapes douloureuses de l’histoire de leur pays. La résistance kongolaise a poursuivi sa lutte. Elle a abouti, en 2018, à la mise à l’écart d’un “Cheval de Troie” du Rwanda et de l’Ouganda. Au cours de cette lutte, les Kongolais ont publié un livre collectif sous la direction de Fweley Diangitukwa intitulé “Les Congolais rejettent le régime de Kabila” (Vevey, Editions Monde Nouveau, Afrique Nouvelle, 2015).
Commenter les faits dits d’actualité sans un certain recul peut, à un certain moment, conduire à l’oubli des faits historiques documentés. D’où l’importance des archives, des livres et vidéos archivées. L’amnésie est une plaie purulente pour plusieurs compatriotes kongolais.
En 2013, un groupe de Kongolais s’était déjà livré à une analyse détaillée sur les acteurs apparents et les acteurs majeurs de la guerre devant mener à l’implosion et à la balkanisation de leur pays. Ils avaient publié un livre sous la direction de Kankuenda Mbaya et Mukoka Nsenda intitulé “La République Démocratique du Congo face au complot de balkanisation et d’implosion” (Kinshasa, Icredes, 2013).
Les trois livres susmentionnés présentent une spécificité. Ils sont le produit d’un travail collectif des Kongolais. Ils sont le produit d’une intelligence collective kongolaise. Les lire peut suffire à comprendre les jeux et les enjeux de ce qu’il se passe au coeur de l’Afrique. Y ajouter les récits entendus depuis deux ans au cours de la célébration du génocide kongolais (le 02/08) aide à battre en brèche les faux discours sur la persécution imaginaire et de la volonté d’extermination des “minorités”. Cela d’autant plus que dans un Kongo ayant plus de 400 ethnies, il n’y a pas de majorité persécutrice.
Cependant, il y a un problème. Beaucoup de compatriotes distraits ne semble pas percevoir. A force de clamer sur les toits que la guerre contre le Kongo vise ses richesses minières, les enjeux intellectuels ont été oubliés. Et c’est très dommage.
Lorsque l’homme fortifié de Kigali de passage au Bénin dit à une haute et audible voix qu’il cherche à avoir les terres au Kongo-Kinshasa, il semble être convaincu que personne ne l’entend. Pourquoi ? Parce que l’un des objectifs de sa participation à la guerre de basse intensité dans les Grands Lacs Africains était et est encore d’entretenir l’illettrisme, de détruire les archives, d’éliminer les intellectuels ainsi que tous les hommes et toutes les femmes capables de comprendre les stratégies et les tactiques de son FPR/APR.
Parler actuellement de la présence des FDLR au Kongo-Kinshasa après plusieurs passages de ses “escadrons de la mort” dans ce pays et de la présence de ses infiltrés dans plusieurs institutions du pays pendant plusieurs années relèverait de la croyance que son objectif a été atteint. Et qu’il n’y a presque plus personne pouvant comprendre sa théorie de recyclage des FDLR et ses anciennes pratiques d’infiltration des Interahamwe[3].
Malheureusement, des compatriotes devenus fanatiques de ses “Chevaux de Troie” lui donnent raison. Ils n’ont pas pu avoir la capacité de résister, sur le temps long, à l’amnésie. En effet, commenter les faits dits d’actualité sans un certain recul peut, à un certain moment, conduire à l’oubli des faits historiques documentés. D’où l’importance des archives, des livres et vidéos archivées. L’amnésie est une plaie purulente pour plusieurs compatriotes kongolais.
Un conseil pour conclure
Un conseil. Lorsque la mémoire de quelques-uns d’entre les compatriotes kongolais flanche, aidons-les à retrouver les livres, les archives et les vidéos archivées. Ils pourraient rafraîchir leur mémoire.
La lutte pour la souveraineté du pays n’est pas un cadeau à offrir à quelque gouvernant que ce soit. Non. C’est une lutte pour le refus et le rejet de l’esclavage e de la soumission. C’est une lutte pour le rejet de l’assujettissement. C’est une lutte pour la souveraineté et un maximum de “bien vivre” collectif.
Dès que la paresse intellectuelle gagne la majorité de Kongolais(es), il pourra devenir difficile de poursuivre la lutte pour la constitution de la masse critique devant renverser les rapports de force entre le Kongo et le Rwanda (menant une guerre par procuration) afin que le pays de Lumumba jouisse de sa paix et de sa souveraineté. La lutte pour la souveraineté du pays n’est pas un cadeau à offrir à quelque gouvernant que ce soit. Non. C’est une lutte pour le refus et le rejet de l’esclavage e de la soumission. C’est une lutte pour le rejet de l’assujettissement. C’est une lutte pour la souveraineté et un maximum de “bien vivre” collectif.
Il serait urgent qu’une bibliothèque-musée publique sur cette guerre soit créée dans la capitale kongolaise et qu’elle ait ses ramifications dans toutes les provinces. Elle pourrait protéger la mémoire des millions de morts kongolais et tenir les futures générations kongolaises en alerte. L’extinction du pays demeure un danger permanent. Les parrains de l’homme fortifié de Kigali en savent quelque chose.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961
———————-
[1] Lire L’hypothèse de la guerre pour les minerais et celle de la dépopulation au cœur de l’Afrique
[2] Lire « Tosalaki nini? » Qu’avons-nous fait ? Les témoignages de Kisangani (2 août 2024)
[3] Lire B. LUGAN, Les guerres de l’Afrique. Des origines à nos jours, Paris, Editions du Rocher, 2013, p. 334.