Lettre ouverte de membres de la diaspora congolaise à la famille royale belge.
A la Famille Royale Belge,
Aux bons soins de sa Majesté le Roi Albert II
Palais de Laeken
Avenue du Parc Royal
1020 Bruxelles
Bruxelles, le 20 juillet 2012
Concerne : Attitude des membres de la dynastie belge de Saxe-Cobourg-Gotha vis-à-vis de la République Démocratique du Congo et son peuple
Sire,
Permettez-nous au nom de la Diaspora Congolaise de Belgique, d’attirer d’abord votre déférente attention sur le récent séjour burundais de votre fils Philippe, l’héritier pressenti à votre succession au trône du Royaume de l’Etat fédéral belge, en ce moment particulier où le Royaume de Belgique s’apprête à célébrer avec faste sa fête nationale et que le peuple congolais continue à enterrer ses filles et ses fils dans les pleurs et la douleur.
En effet, il ressort du quotidien flamand « De Standaard » du 3 juillet 2012, que le prince Philippe était assis et souriant aux côtés de Joseph Kabila, principal bénéficiaire des irrégularités électorales du 28 novembre 2011: « Op de viering van 50 jaar onafhankelijkheid van Burundi gisteren in Bujumbura zat prins Filip minzaam te lachen naast de Congolese president Joseph Kabila. »
L’histoire commune de nos deux pays commence le 10 juin 1878 lors de la rencontre entre Léopold II et Henri Morton Stanley. Cette histoire a rarement été des plus idylliques. Le peuple congolais a d’abord été victime d’une véritable saignée humaine, au profit de la colonisation. Déjà à l’époque du Roi Léopold II, dit le Bâtisseur, le Congo avait fait l’objet de ce que certains historiens de renom1ont qualifié de premier génocide de son histoire. Les dénonciations ainsi que les récriminations de ces pratiques barbares par les mouvements progressistes et humanistes obligèrent le roi Léopold II à léguer l’Etat Indépendant du Congo à la Belgique en 1908.
Faut-il rappeler à votre auguste attention que sur toute l’étendue de l’histoire commune entre la Belgique et le Congo, le congolais a nourri le sentiment que la famille royale belge n’a presque jamais été de son côté, bien au contraire. Ainsi, nous nous souvenons de votre première rencontre avec Joseph Kabila en 2001 à Bruxelles.
Nous nous faisons le devoir de porter à votre connaissance que la Diaspora Congolaise de Belgique ne partage pas le discours de Monsieur Kabila,tenu le 10 février 2004 devant le Sénat belgedans lequel il rendit hommage à la colonisation en ces termes : « L’histoire de la République démocratique du Congo, c’est aussi celle des Belges, missionnaires, fonctionnaires et entrepreneurs qui crurent au rêve du Roi Léopold II de bâtir, au centre de l’Afrique, un Etat. Nous voulons rendre hommage à la mémoire de tous ces pionniers. »
En effet, même s’il faut reconnaitre quelques bonnes œuvres réalisées par certains belges au Congo, nul n’ignore que la politique coloniale belge au Congo n’était pas respectueuse de la dignité humaine. C’est pour la toute première fois dans toute l’histoire des peuples colonisés, qu’un chef d’Etat d’une ancienne colonie, en l’occurrence Monsieur Joseph Kabila, rende officiellement hommage à l’action coloniale, en saluant l’œuvre de génie du Roi Léopold II au Congo. Que dire alors de l’épopée du caoutchouc rouge, des mains coupées et bien d’autres traitements dégradants, à l’instar de l’exposition de Bruxelles en 1958 où les congolais furent exposés à la curiosité publique ?
Il en est de même de l’attitude de votre frère aîné et prédécesseur au trône, le feu Roi Baudouin Ierqui, tout au long de son règne, depuis son discours paternaliste du 30 juin 1960 et l’affaire Lumumba, s’est plutôt évertué à privilégier ses relations amicales avec le maréchal Mobutu. Un président à la tête d’un régime qui a saigné le Zaïre et amené son peuple vers une descente aux enfers dont les conséquences sont aujourd’hui amplifiées par Monsieur Kabila.
Sire,
Votre visite en République démocratique du Congo en juin 2010fut notamment perçue par la classe politique congolaise comme un soutien manifeste au candidat président Joseph Kabila alors que les Congolais pleuraient encore deux vaillants militants des droits de l’homme, à savoir Floribert Chebeyaet Fidèle Bazana, sauvagement et impudiquement assassinés, dans le cadre de ce que d’aucuns qualifient de crime d’Etat.
Devons-nous, en outre, vous rappelez que l’opinion publique était choquée par lamagnifique parure en diamants et pierres précieuses que votre épouse, Son Altesse Royale la Reine Paola, s’est vu offrir, par MadameOlive Lembe, épouse de Joseph Kabila ? L’opinion publique n’a pas manqué de qualifier ce précieux diamant de « Blood diamond ». Certes, ce collier a été confié à la donation royale, ce que nous saluons. Néanmoins, nous nous permettons, tout de même, de saisir cette opportunité pour attirer votre attention sur la situation du secteur du diamant en RDC. En effet, ce diamant provenait de la Société Minière de Bakwanga, la MIBAen sigle. Une firme qui travaille notamment en sous-traitance avec des exploitants miniers artisanaux dont certains, selon différents rapports2d’experts de l’Organisation Internationale du Travail, emploient deforce des milliers d’enfants dans la collecte de ces pierres précieuses en violation des traités internationaux protégeant les droits des enfants. La MIBA se trouve aujourd’hui exsangue et au bord d’une faillite frauduleuse.
Permettez-nous de portez à votre connaissance, que la MIBA est impliquée dans le procès dit de « la Belgolaise » qui est encore pendant devant le tribunal correctionnel de Bruxelles. Ce procès met à jour des opérations bancaires illicites au niveau de la Belgolaise, une institution financière de droit belge, impliquant des détournements des fonds et de blanchiment d’argent sale au détriment de la société congolaise La MIBA.
A ce tableau peu reluisant, s’ajoute le voyage subreptice de votre fils, le Prince Laurent, au Congo au mois de mars 2011, en dehors de tout cadre diplomatique et protocolaire pour y rencontrer en catimini le président congolais et certains officiels et l’homme d’affaires belge Georges Forrest. Cette visite provoqua des remous au sein de la classe politique belge.
Sire,
Comment voudriez-vous que la Diaspora Congolaise de Belgique comprenne votre remarquable allocution du 21 juillet 2011 à l’occasion de la fête nationale belge qui mit à l’honneur, le valeureux médecin congolais, Docteur Denis Mukwege de l’hôpital de Panzi à Bukavu (Sud-Kivu), lauréat du prestigieux Prix pour le développement de la Fondation Roi Baudouin 2010-2011, pour son remarquable travail auprès de victimes des agressions sexuelles causées par des hommes en armes aux Kivus, si de l’autre côté des membres de votre dynastie, s’affichent aux côtés de celui qui ne parvient pas à enrayer toutes ces violences sexuelles ?
Depuis la mascarade électorale du 28 novembre 2011 ayant maintenu au pouvoir, par la force, Joseph Kabila jouissant d’une très faible légitimité, votre Royaume, contre toute attente, par le truchement de son Premier Ministre, Monsieur Elio Di Rupo, a été le seul gouvernement de l’Union Européenne à adresser un message des félicitations à Joseph Kabila.
On comprend dès lors que toutes les manœuvres des personnalités politiques, diplomatiques et médiatiques, ainsi que des lobbies financiers de la Belgique, s’inscrivent dans une stratégie dite du « fait accompli »,développée par le révérend Père Guy de Boeck, ancien coopérant belge au Congo. Une stratégie qui consiste à « progresser, comme si de rien n’était, dans les tâches qui suivent normalement une élection aux fins d’amener le peuple congolais à voir en Joseph Kabila et ses hommes les animateurs des institutions issues des élections. »
En dépit de toutes ces manœuvres de légitimation de Joseph Kabila, nous nous permettons de rappeler à votre auguste attention que la diaspora congolaise de Belgique et la majorité des congolais dont la volonté exprimée le 28 novembre 2011 a été piétinée n’est pas prête à tourner la page des élections volées. Le peuple congolais soutenu par sa diaspora tient au respect de sa volonté telle qu’exprimée lors desdits scrutins et ainsi, à reconquérir sa souveraineté et son destin.
Aujourd’hui, l’histoire semble encore se répéter, hélas. C’est au tour de votre successeur pressenti au trône, le Prince Philippe, Duc de Brabant,de défrayer la chronique, en s’affichant le 2 juillet dernier, à Bujumbura, à l’occasion des festivités de l’indépendance du Burundi, aux côtés de Joseph Kabila qui arborait un sourire et une telle mine contrastant totalement avec la situation brûlante que traverse le Congo. Faisant fi de toutes les récriminations formulées à l’endroit de dernier, le prince Philippe ne s’est pas gardé de s’afficher, avec grands sourires aux lèvres, aux côtés de celui qui est de plus en plus jugé infréquentable par la communauté internationale. D’autant que le régime en place au Congo est en plus perçu par la majorité des citoyens congolais comme un frein à l’éclosion de la démocratie, au respect des droits fondamentaux, au développement et à la restauration de l’autorité de l’Etat congolais et de la sécurité sur l’ensemble de l’étendue du territoire national.
Il s’ensuit bien entendu, le message, on ne peut plus clair et marqué au fer rouge, que le monde entier décrypte des faits et gestes des membres de la dynastie royale belge, à savoir : « business are business ». Ainsi, devrait-on en déduire que la famille royale belge préfère parler le langage des affaires plutôt que celui de l’Etat de droit, la Démocratie et les droits fondamentaux et libertés publiques ?
Voici en quelques lignes, comment la Diaspora Congolaise de Belgique décline sa relecture, à travers plus d’un siècle d’histoire commune, de l’attitude de la dynastie de Saxe-Cobourg et Gotha vis-à-vis du Congo et de son peuple.
Sire,
Au moment où les médias belges et les spécialistes de l’histoire des dynasties occidentales évoquent de plus en plus votrepossible succession, la Diaspora Congolaise de Belgique, qui se veut être la Voix des Sans Voix du peuple congolais dont les droits et libertés d’expression sont quotidiennement bafoués et réprimés par les organes répressifs de l’actuel régime de Kinshasa,
prie instamment votre famille à manifester un peu plus de compassion, d’attention et d’humanisme vis-à-vis du peuple congolais. Ainsi, le Congo et son peuple espèrent, un jour, que votre famille s’intéressera un peu plus activement à son sort qu’au sort de ses ressources naturelles et au portefeuille de quelques intérêts privés belges au Congo comme cela semble être le cas à ce jour.
C’est pourquoi nous nous permettons de vous réitérer ces Paroles de René Cassin, Prix Nobel de la Paix en 1968 et un des artisans, aux côtés de Stéphane Hessel, de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, que nous avions déjà adressées antérieurement à la Haute Représentante de l’UE pour les Affaires étrangères, Madame Catherine Ashton : « L’essentiel est que notre conscience ne devienne jamais indifférente même par l’excès de l’horreur aux injustices et aux souffrances qu’il a été possible d’épargner à d’autres hommes par un effort fraternel. Aucun de nous n’a le droit d’être en repos en face de l’oppression ou de la misère ».
Nous laissons à l’histoire et à la postérité le soin de juger votre dynastie, vos gouvernements successifs sur les actes concrets que vous avez posés ou que vous poserez en faveur du peuple congolais.
Vous souhaitant une excellente fête nationale belge de même qu’une une bonne réception de la présente, daignez Votre Majesté, agréer l’hommage denotre plus profond respect.
Rina Rabau Nkandu (Anvers)
Monique Kakonga Bisombe (Anvers)
Jean-Jacques Wondo Omanyundu (Flandre Orientale)
Laurent Mutambayi (Bruxelles)
Désiré Magbunduku (Bruxelles)
Momi M’Buze (Hainaut)
Patrick N’Siala Kiese (Anvers)
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1 Arthur Conan Doyle, Le Crime du Congo ; Adam Hochschild, Les Fantômes du roi Léopold , Un holocauste oublié (King Leopold’s Ghost) ; Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres (Heart of Darkness).
2 La RDC possède l’un des sols les plus riches en Afrique mais une population très pauvre. De nombreux enfants travaillent dans les mines de diamants. Ils mettent leur vie, leur santé et leur avenir en danger. Une étude menée donnait environ 43 000 enfants dans les mines dans la zone Sud, avec 12 000 dans le Kasaï Occidental, 11 000 dans le Kasaï-Oriental et 20 000 dans le Katanga. Certains de ces enfants travaillent toute la journée, d’autres vont à l’école une partie de la journée. D’autres encore travaillent dans les commerces autour de ces exploitations minières. Sous terre, ils manquent d’air, ils développent des maladies pulmonaires, des emphysèmes… Ils descendent parfois jusqu’à 70 mètres de profondeur ! Ces enfants évoluent dans de toutes petites galeries et les exploitants leur donnent de la drogue ou simplement de l’aspirine pour tenir. Les boyaux de ces mines deviennent parfois la tombe de ses enfants. Parallèlement, les filles mineures se prostituent et ont pour clients les hommes qui travaillent dans ces mines.