Par Jean-Pierre Mbelu.
Il est parfois étonnant de remarquer que plusieurs journaux de notre pays se limitent à commenter l’actualité telle qu’elle est faite par les tenants du pouvoir sortant (ou ayant fait le coup d’Etat administratif après les élections chaotiques de novembre et décembre 2011) sans faire de lien avec ce qui se vit et est dit sur notre pays sous d’autres cieux. Ce faisant, ils aident difficilement leurs lecteurs à avoir une vision plus ou moins lucide de notre histoire collective. Pourtant, une certaine efficacité de nos actions à impact visible sera liée à la maîtrise que nous aurons de cette histoire.
Prenons quelques exemples. Le 31 mars 2012, un ex-proche de Paul Kagame, le Docteur Théogène Rudasingwa, lors d’une conférence à Bruxelles, soutient que c’est l’actuel Président du Rwanda qui a orchestré la mort de Laurent-Désiré Kabila. Cette révélation est faite longtemps après la diffusion d’un film posant effectivement la question de savoir qui a tué Laurent-Désiré Kabila. (Le documentaire de Thierry Michel est intitulé ‘Meurtre à Kinshasa. Qui a tué Laurent-Désiré Kabila ?’) Il est quand même ahurissant que le début de réponse à la question posée par ce documentaire n’ait pas retenu l’attention de plusieurs médias de notre pays !
Et puis, en suivant ce documentaire, on se rend compte que l’un des proches de Laurent-Désiré Kabila, encore vivant, Yérodia Ndombasi, soutient que les Congolais(es) arrêté(es) au sujet de ce meurtre sont innocent(es). Exploiter la révélation de Théogène Rudasingwa aurait permis l’attrait de l’attention sur nos compatriotes incarcérés à la prison de Makala et dont le procès est toujours remis aux calendes grecques.
Malheureusement, ces compatriotes ne sont pas les seuls. Plusieurs prisonniers d’opinion et/ou politiques se retrouvent dans cette prison sans qu’un début de leur jugement soit envisagé. Gabriel Mokia et le pasteur Kutino sont les cas les plus connus.
En dehors de Makala, il y a ces autres prisons souterraines et cachées où croupissent certains de nos compatriotes dans le total mépris de la dignité humaine. Les experts de l’ONU enquêtant sur les violations des droits humains pendant la période électorale n’ont pas pu y avoir accès. Dans ces prisons souterraines et cachées, vous retrouvez en autres la garde rapprochée de Mbuza Mabe dont les motifs d’arrestation sont inconnus jusqu’à ce jour.
Au sein de cette garde, certains noms nous sont connus dont celui du lieutenant Mangangu Ndoye Déogratias. Il est détenu avec trois de ses compagnons sans jugement sous le fallacieux prétexte d’avoir participé à la rébellion des Enyele.
Une autre question d’actualité est celle de la nationalité de Bosco Ntaganda : il est un sujet Rwanda et membre du FPR. A Kinshasa, les journaux font allusion à son éventuelle arrestation et/ou à son jugement sans poser cette question de fond : comment un sujet Rwandais, membre du FPR, a-t-il pu se retrouver à un haut niveau de la hiérarchie militaire dans un pays où le Rwanda participe d’un génocide oublié avec le soutien de grandes puissances occidentales de la prédation ? Ou cette autre : qui nous a fait croire que Ntanganda était indispensable à la paix dans notre pays pour qu’il se retrouve à un si haut niveau d’une armée ayant contribué à l’extermination de nos populations ?
Malgré la clarté des réponses à toutes ces questions, plusieurs médias kinois ne cessent d’encenser « le raïs » ; c’est-à-dire celui qui a bénéficié directement de l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila et favorisé l’infiltration de notre armée par « les escadrons de la mort » du FPR. Bien que faisant ce travail de thuriféraires-mangeurs-élitistes, certains de ces médias kinois finissent toujours par trouver des « sorciers » à la base de notre misère anthropologique. Ils mettent entre parenthèses leur travail de désinformation et de lobotomisation ; ils mettent entre parenthèses leur travail de lavage de cerveaux.
C’est vrai. Il y a le déni de la liberté d’expression dans lequel évoluent tous ces médias. Il est bon de louer les efforts que l’un ou l’autre fournit pour décrier les pratiques liberticides du pouvoir (os) sortant. Mais le déni de la liberté ne devrait tout de même pas contribuer au déni de la vérité historique et à la falsification de notre histoire collective.
Lentement mais sûrement, plusieurs documents historiques ont jeté une grande lumière sur la tragédie que connaît la région de l’Afrique Centrale depuis les années 1990. Les témoins vivants existent et sont même disposés à partager leur part de vérité avec des juges impartiaux de cette tragédie. Rester à leur écoute nous tournerait beaucoup plus vers la récolte des preuves supplémentaires que vers une écriture insensée de notre commune histoire collective.
Pour rappel, Théogène Rudasingwa publie, le 01 octobre 2011, un an après la publication du Rapport Mapping, un texte intitulé ‘La vérité enfin’. Bien que tardive, cette « vérité » venait confirmer des hypothèses assez étoffées de Pierre Péan, de Charles Onana, d’Honoré Ngbanda et d’autres artisans de paix et de justice ayant travaillé sur la tragédie de notre région. Depuis lors, Théogène Rudasingwa et certains autres membres dissidents du FPR n’hésitent pas à dire ce qu’ils savent de notre commune tragédie.
Au Congo dit démocratique, l’affaire Ntaganda est venue davantage éclairer le projet du FPR et de ses parrains sur les pays dits des Grands Lacs. Un projet que décrit clairement le documentaire intitulé ‘Le conflit au Congo. La vérité dévoilée’.
Poursuivre la réécriture de notre histoire en mettant entre parenthèses toutes ces révélations équivaut à mener une action de suicide collectif.
Cela étant, nous ne sommes pas sûrs que les médias kinois en tiendront compte : ils doivent survivre et ‘ils ne mangent pas la vérité historique’. Néanmoins, à défaut de ne pas « la manger », ils pourraient la respecter sous peine d’être qualifiés demain de « médias collabos » et d’être destiné à la vindicte populaire.
Bref, l’histoire de notre commune tragédie est déjà bien résumée dans certains documents suffisamment étoffés. (Le dernier numéro de Rencontre et Paix intitulé ‘Spécial Afrique Centrale’ du mois d’Avril 2012 peut être ajouté à ces documents.) Il appartient aux médias alternatifs, à nos minorités organisées et agissantes de se saisir de ces documents, de les étudier et de les approfondir pour mieux planifier leurs actions à impact visible au Congo, dans les pays des Grands Lacs et dans toute l’Afrique. Les médias alternatifs et les minorités organisées devront comprendre que la véritable réécriture de notre histoire ne se fera pas avec les acteurs faisant partie du réseau transnational de la prédation de notre pays. Quoi qu’ils disent, ils devraient d’abord répondre de leur responsabilité dans notre commune tragédie. « Cinq chantiers, révolution de la modernité », tout ça, ce n’est que de la poudre aux yeux…Il n’y aura pas de « révolution de la modernité » sans justice et vérité sur notre histoire collective.
J.-P. Mbelu