L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu revient sur le débat entre la Conférence Episcopale du Congo et le gouvernement fantôche de Kinshasa autour de la révision de la constitution congolaise, souligne le caractère futile et inutile de ce débat comme celui autour du processus électoral, rappelle les enjeux réels du Congo et explique pourquoi s’il y a lutte pour le pouvoir au Congo, c’est une lutte pour le pouvoir du statu quo.
Sur la Conférence Episcopale du Congo (CENCO) et la protection de la constitution
Nos évêques devraient pouvoir tenir l’orientation qu’ils voudraient donner à la protection de la nation. Il est important que dans une question engageant un débat public, les membres de la CENCO prennent une position claire et nette.
En 2011, la CENCO avait délégué plus ou moins 30000 observateurs, dans les bureaux électoraux. Mais après, quand il y a eu cette question de fraudes, trucages et vols de voix, à l’issue des élections, nous n’avons pas vu les observateurs de notre Eglise mettre sur la place publique, les résultats que eux avaient récolté. Et quand le cardinal Monsengwo est intervenu pour dire que les résultats, tels qu’ils étaient présentés, n’étaient conformes, ni à la justice, ni à la vérité, nous n’avons pas vu les responsables hiérarchiques soutenir cette position là.
On peut se demander si la question de la révision de la constitution n’est pas en train de devenir une distraction. N’y aurait-il pas quelque chose de plus sérieux qui se tramerait en coulisse, et le débat sur la révision constitutionnelle servirait d’appât pour que les congolais puissent être branchés sur cette question là et ne pas voir ce qui se passerait en coulisse ?
En 2011, pendant que tous les regards étaient tournés vers les élections, une alliance public-privé était signée entre le gouvernement fantôche de Kinshasa et les Etats-Unis, une alliance engageant au moins 21 entreprises multinationales et menaçant l’intégrité de notre territoire. Au nom de cette alliance, nous risquons de perdre maintenant l’Ituri, les deux Kivus, le Katanga. Les enjeux réels des élections au Congo se jouent ailleurs, et cela est indispensable à savoir.
Sur les déclarations de Lambert Mende en réaction à la prise de position de la CENCO sur la question de la révision constitutionnelle
Il s’agit d’un débat, Lambert donne le point de vue, supposé être celui du gouvernement auquel il appartient.
Le message de la CENCO, loin de violer la constitution, a l’avantage de pouvoir resituer le débat dans le contexte historique dans lequel cette constitution a été rédigée. Ce message a l’avantage de rappeler les bévues historiques que le constituant voudrait éviter au pays. Après avoir connu la dictature de Mobutu, on ne peut pas accepter que quelqu’un vienne après Mobutu et s’éternise au pouvoir. Aujourd’hui, que ce soit d’un côté l’opposition, ou de l’autre, le pouvoir os de Kinshasa, les deux donnent l’impression d’être les membres du statu quo qui n’ont aucune intention de vouloir réaliser une refondation systémique de l’Etat congolais.
Contrairement à ce que dit Lambert Mende, il n’y a pas de procès d’intention de la part de la CENCO. Cette constitution a déjà été modifiée au cours du jeu électoral de 2011, en passant de 2 à 1 tour pour la présidentielle. Les évêques jouent le rôle de lanceurs d’alerte et se disent, qui a bu boira.
Sur l’absence de consultation des populations dans ce débat autour de la révision de la constitution
L’absence de consultation des populations congolais fait que ce débat sent mauvais. Ce débat aurait été intéressant si nous voyions, peut-être qu’ils le font, nos acteurs politiques ou ceux qui en font office, allaient dans nos cités et villages les plus reculés pour échanger avec nos populations. C’est de cette manière qu’une conscience des intérêts partagés, entre ces politiciens et nos masses populaires se crée. Il y a certes une lutte pour le pouvoir au Congo, mais pour le pouvoir du statu quo.
Nos évêques ont-ils le moyen de peser sur les acteurs politiques pour qu’ils ne s’adonnent pas au tripatouillage de la constitution ? Oui, les moyens dont ils disposent sont, entre autres, l’éducation civique à partir des communautés de base de façon que nos masses puissent être éveillés à ces questions et disent non à toute révision constitutionnelle.
Ce qui peut leur échapper est le fait qu’ils ne pourront peut-être pas peser sur les décisions de l’assemblée nationale qui est une caisse de résonance de la majorité dite présidentielle.
Sur le processus électoral au Congo
Le processus électoral conçu au Congo depuis 2006, jusqu’à ce jour, a un côté faux très prononcé. Il nous engage dans des débats futiles et inutiles. Comment voulez-vous que dans ce théâtre, ceux qui sont au Congo, au gouvernement ou dans les tribunaux, qui sont informés de là où vient la mission de Malu Malu, aillent jouer contre lui ?
Et pendant ce temps, nos terres sont vendus, nos villages sont dépeuplés..
Ou l’opposition ne semble pas comprendre les enjeux. Ou elle comprend les enjeux et participe du théâtre conçu de l’extérieur.
Le problème peut-être résumé ainsi : Ceux qui ont décidé de faire main basse sur les ressources du sol et du sous-sol congolais nous font passer par des processus qu’ils maîtrisent et que nous ne maîtrisons pas parce qu’ils veulent demeurer éternellement les maîtres du jeu. Comme ils savent que nous avons l’art de nous battre pour des futilités, ils nous jettent un os, les élections.
La France a eu des élections récemment, est-elle pourtant sortie du système néolibéral ? Non. Et nos politiciens, pour en revenir à eux, n’abordent pas les questions essentielles : comment faire pour que le Congo ne soit pas un marché ouvert à n’importe qui et à n’importe quel moment, comment faire pour que les matières premières du Congo ne puissent pas être pillés, comment faire pour que le Congo soit contrôlé par ces dignes filles et fils ?
Sur la lecture de la mémoire Lumumba par Martin Kobler
Il y a deux monuments de Lumumba en Allemagne (Leipzig et Berlin). Kobler a raison de penser que Lumumba est un héros. Mais rendre hommage aujourd’hui à Lumumba, est-ce déposer une gerbe de fleurs à son monument ou travailler à laisser les congolais gérer leur pays eux-mêmes ?
Est-ce que nous avons eu, depuis la mort de Lumumba, des partenaires extérieurs qui sont venus dire au Congo, cette terre congolaise vous appartient, tachez de la gérer vous-même dans la justice et le droit ? Est-ce le travail que fait la MONUSCO aujourd’hui ? Non, pas du tout. Au contraire, la MONUSCO participe du dépeuplement de nos terres et de nos villages, de l’extermination de nos populations. Kobler travaille dans un organisme qui participe à la mort du Congo. Lumumba a été assassiné par les membres de la communauté occidentale. Est-ce lui rendre hommage que de poursuivre la néocolonisation et néolibéralisation du Congo ?
Sur le bradage des terres arables et des ressources en RDC
Il faut faire la part des choses. Il ne faut pas oublier que la rébellion de Nkunda avait été suscitée par le pays auquel appartient Al Gore, qui voulait chasser la chine du Congo. Nkunda aborde la signature de contrats léonins, entre Kinshasa et certains industriels chinois. Mais avec les déclarations de Al Gore nous avons l’indice de la guerre qui est en train de se mener à travers le monde, entre la Chine et les USA. Pourquoi Al Gore parle de ces contrats et de ces terres maintenant, alors qu’eux les américains sont chez nous depuis si longtemps ?
Ce sont les multinationales qui achètent ces terres arables, qui dit multinationales dit aussi, ces pays où les multinationales sont originaires et majoritaires, c’est-à-dire les Etats-Unis.
Cela dit, qu’Al Gore le dise ou pas, le fait est que nos terres sont bradées et vendues à vil prix. Mais est-ce la faute de certains pays de chercher à avoir des terres arables au Congo? Est-ce la faute de multinationales de chercher à avoir des terres arables au Congo? Non, c’est la faute de la direction du Congo.
Au congo, les multinationales qui viennent travailler sur nos terres, ou les pays qui viennent acheter nos terres arables, se prennent la part du lion et les congolais n’ont rien. Le peu qu’ils refilent à l’Etat manqué du Congo va dans les poches de personnes privées. On ne construit pas d’infrastructures dignes de ce nom. Quand eux-mêmes sont malades, ils vont se soigner à l’étranger. On ne construit pas d’universités contrairement à ce qui avait été dit. Il n’y a même pas rétrocession de ce qui est produit. Il avait été prévu qu’on rétrocède au moins 40% de la production du pays aux provinces. Il y a là une élite comprador qui s’accapare le fruit du commerce inégal entre le Congo et les multinationales, entre le Congo et les pays en quête de nos ressources. Il y a une confiscation de ce fruit par les élites compradores qui « gèrent » le pays pour le bien des partenaires extérieurs.