Par le Professeur Gérard PILI PILI. Publié à Bruxelles, le 20 mai 1990. Source : Aprodec ASBL
Etablir la paix entre le Congo-Zaïre et la Belgique. Mettre un terme à l’état de guerre qui subsiste entre les deux pays, depuis 110 années (1880-1990), c’est-à-dire depuis le début de l’occupation de l’un par l’autre. Négocier et signer un traité de paix en bonne et due forme. Trois manières de désigner la tâche prioritaire que, sans délai, la République du CONGO-ZAIRE aura à accomplir. Car, de la réalisation de cette tâche dépendant en définitive, au CONGO-ZAIRE, l’exercice normal de la démocratie, le respect des droits de l’homme et le développement économique et social.
En l’absence d’une réelle pacification des relations Belgo-Congolaises, on ne pourrait, en effet éviter que la Belgique ne participe à la déstabilisation de notre pays, en apportant son assistance à des groupes et à des pouvoirs non-démocratiques. Pour établir une paix juste et durable entre la République du Congo-Zaïre et le Royaume de Belgique, je propose que soient pris en considération les quatre points et questions suivantes :
1. La République du Congo-Zaïre est le successeur naturel des anciens Etats, Peuples et Nations autochtones souverains de l’actuel Congo-Zaïre.
2. Quelle distinction existe-il historiquement entre l’occupation et la colonisation de Congo-Zaïre par la Belgique ? Quelles conséquences tirer de l’une et de l’autre ?
3. D’un point de vue Congo-Zaïre, en quoi consiste le « Contentieux Belgo-Congo-Zaïre » ?
4. Une union économique entre le Congo-Zaïre, la Belgique et les Etats-Unis d’Amérique est-elle possible et souhaitable ?
I. La République du Congo-Zaïre , indépendant depuis 1960 est le successeur naturel des anciens Etats, peuples et nations autochtones souverains de l’actuel Congo-Zaïre
L’actuelle République du Congo-Zaïre, terre de nos Ancêtres (MBOKA YA BANKOKO), est constituée de nos anciens Etats, peuple et nations autochtones souverains. L’occupation belge de notre territoire pendant quatre-vingts ans et ses séquelles ont privé nos anciens Etats peuples et nations de l’exercice de leurs droits souverains. De la destruction qui en a résulté, la République du Congo-Zaïre porte aujourd’hui les charges dont le sous-développement économique, politique, social et culturel ne constitue ni l’unique, ni la moindre. La question relative à la « succession d’Etats » fut soulevée en 1960. La Belgique, force occupante d’alors, a défini la règle unilatéralement à son exclusif avantage. Elle applique, en effet la thèse selon laquelle l’Etat Congo-Zaïre succédait aux « droits et aux obligations de la colonie du Congo-Belge »
Quand on se souvient que la Colonie du Congo-Belge ne possédait pas des droits propres, comment pouvait-elle, dès lors en transmettre ? La planification durable à laquelle nous aspirons, vous et nous, dans les relations entre les deux Etats n’interviendra jamais, à moins que ne soit équitablement et définitivement réparée la nouvelle injustice commise en 1960 par la Belgique à l’égard du Congo-Zaïre ?
Quand la Belgique a entrepris en 1880 l’occupation de notre pays, il existait des Etats, peuples et nations souverains autochtones. Et, pour preuve, s’il en fallait, les émissaires de la Belgique prétendent avoir signé avec l’un ou l’autre souverain local de soi-disant « traités de cession de souveraineté.» Les Etats, peuples et nations autochtones auraient-ils pu céder une souveraineté qu’ils n’avaient pas ? On se souviendra, du reste que même les anciens Etats, peuples et nations souverains de l’actuel Congo-Zaire, qui n’ont jamais signé ces fameux “traités de cession de souveraineté » furent néanmoins victimes de l’occupation belge. Sans doute, faut-il, à ce stade, rappeler brièvement la distinction entre l’occupation et la colonisation du Congo-Zaïre par la Belgique.
II. Occupation et Colonisation du Congo-Zaïre par la Belgique
L’occupation constitue un acte de guerre par lequel un Etat s’empare par la force ou par la ruse d’un autre Etat, peuple ou nation et s’y maintient, en privant ces derniers de l’exercice normal de leurs droits souverains. L’occupation commence donc par une conquête généralement violente. La colonisation, elle, en tant que mise en valeur du territoire conquis, constitue une conséquence et une des phases de l’occupation.
C’est pourquoi, comme conséquence de l’occupation, la colonisation reste également un acte de guerre. Comme phase de l’occupation, la colonisation devient impossible sans l’occupation. En d’autres termes, on ne pourrait coloniser qu’un territoire que l’on occupe, c’est-à-dire, le territoire vis- à vis duquel on entretient un état de guerre.
Il devient, en ce sens, inexact de dire : « Le Congo-Zaïre sous la Colonisation belge.» Historiquement, il s’avère plus correct de dire, hélas : « Le Congo-Zaïre sous l’occupation de la Belgique de 1880 à 1960.»
Un mot sur ces dates. Je retiens ici la chronologie qui a été reconnue par le Roi des Belges lui-même, Sa Majesté le Roi Baudouin Ier, déclarant, le 30 juin 1960, devant les parlementaires Congo-Zaïre réunis à Kinshasa : « La Belgique a envoyé sur votre sol les meilleurs de ses fils.» La déclaration royale, outre sa précision chronologique, nous apporte deux éléments supplémentaires.
Primo, en reconnaissant que, pendant quatre-vingts ans, c’est-à-dire depuis 1880, la Belgique a envoyé les meilleurs de ses fils sur notre sol, le Roi Baudouin écarte la distinction factice entre l’Etat Indépendant du Congo-Zaïre et le Congo-Belge. La Belgique assume la responsabilité sur la période de 1880 à 1960.
Secundo, en désignant le Congo-Zaïre par l’expression « votre sol », le Roi reconnaît notre droit de propriété. L’expression « Congo des Belges » devient sans doute une simple figure de style signifiant une réalité tragique.
L’occupation du Congo-Zaïre par la Belgique et la colonisation qui en était la conséquence, de 1880 à 1960, constituent un acte de guerre auquel il est devenu urgent de mettre un terme, si nous voulons pacifier de manière durable les relations Belgo-Zaïroises. La Belgique déclara, le 30 juin 1960, mettre fin à sa présence sur notre sol, mais elle ne procéda pas alors à la liquidation de l’occupation belge au Congo-Zaïre pendant quatre-vingt ans.
L’absence jusqu’à ce jour du règlement de cette question cause de sérieux préjudices à mon pays, le Congo-Zaïre. Aussi longtemps que persistera cette situation, il restera à craindre que les relations entre la République du Congo-Zaïre et le Royaume de Belgique ne connaissent pas la sérénité nécessaire à une existence harmonieuse et pacifique. Dans cet ordre d’idée, on examinera en quoi consiste donc, d’un point de vue Congo-Zaïrois, le contentieux Belgo-Congolaise-Zaïrois.
III. Le contentieux Belgo-Congolais d’un point de vue Congolaise-Zaïroise
Entre le Congo-Zaïre et la Belgique, il existe depuis 1880, soit depuis 110 ans, un litige qui porte sur le droit de propriété du territoire de l’actuel Congo-Zaïre. S’étant attribuée pendant quatre-vingts ans l’exercice de ce droit, la Belgique a fini par croire qu’elle était propriétaire du Congo-Zaïre, notamment quand elle l’appelait encore « Etat Indépendant du Congo » ou « Congo-Belge.» Dans ces circonstances, le « Congo des Belges » devient l’expression d’un grave excès, commis au détriment de la République du Congo-Zaïre.
La question de la fin de l’occupation du Congo-Zaïre par la Belgique fut examinée en 1960, et, on l’a rappelé, résolue unilatéralement par la Belgique, force occupante d’alors, sur la base selon laquelle elle nous transmettait un legs. On aurait pu, pourtant, comprendre aisément que la République du Congo-Zaïre, successeur naturelle de nos anciens Etats, peuples et nations autochtones souverains, retrouvait simplement le droit d’exercer la souveraineté dont elle avait été momentanément (80 ans) privée par l’occupant étranger.
Afin de réparer les méfaits et les séquelles d’une occupation abusive, pendant 80 ans, et tenant compte d’exemples historiques antérieurs, notamment celui de la liquidation de l’occupation Allemande de la Belgique en 1914-1918 et de 1940-1945, la République du Congo-Zaïre pourra réclamer au Royaume de Belgique la somme de 500.000 Milliards $US (Cinq cent mille milliards de dollars américains), répartie en compensation des faits suivants :
1. Occupation abusive du territoire Congolais avec une superficie de 2.345.000 Km2 pendant 80 ans :……………………100.000 Milliards $US.
2. Destruction sociale, économique, politique et culturelle des anciens Etats, peuples et nations autochtones : ……………………100.000 Milliards $US.
3. Impositions illégales et arbitraires : ………………………………………75.000 Milliards $US.
4. Massacres, mutilations (mains coupées..), tortures pour un total d’environ 10.000.000 à 15.000.000 des morts selon les historiens : …………75.000 Milliards $US.
5. Recrutements forcés, déportation, relégations :………………………75.000 Milliards $US.
6. Efforts de guerre(1914-18, 1940-45) :…………………………………… 50.000 Milliards $US.
7. Déstabilisations : fausse succession d’Etat, invasion, sécessions des groupes et pouvoirs non-démocratiques(1960-1990):………………………………………25.000Milliards $US.
Total : 500.000 Milliards $US .
Comment la République du Congo-Zaïre pourrait-elle assurer son développement économique et social, si l’occupation étrangère, dont elle est la victime pendant 80 ans, n’est pas définitivement et équitablement liquidée ? Les « accords d’assistance technique et de coopération au développement », imaginés par la Belgique dans les années soixante, n’ont pas conduit le Congo-Zaïre au développement économique et social escompté. Le pouvaient-ils, tout compte fait ? Ces accords n’ont-ils pas plutôt servi à retarder l’examen du problème de la liquidation de l’occupation belge du Congo-Zaïre ? Comment expliquerait-on autrement l’empressement de la Belgique, force occupante d’alors, à préparer une interminable loi fondamentale et à en doter la République du Congo-Zaïre en refusant à cette dernière les moyens financiers nécessaires à la mise en œuvre de cette Loi ?
Pourquoi, en effet, la loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo n’était-elle pas accompagnée d’au moins une loi budgétaire précisant les voies et moyens pour le fonctionnement des institutions de l’Etat, au niveau central et provincial ? Essayer de régler le contentieux Belgo-Congolais en signant des « accords d’assistance technique et de coopération au développement » reste une illusion, que l’histoire récente des relations entre la République du Congo-Zaïre et le Royaume de Belgique a démontré à maintes reprises.
IV. Union économique entre le Congo-Zaïre, la Belgique et les Etats-Unis d’Amérique
L’histoire récente montre que la République du Congo-Zaïre ne pourra s’assurer aucun développement économique et social aussi longtemps que resteront troublées ses relations avec le Royaume de Belgique. Pour aboutir à cette nécessaire pacification des relations Belgo-Congolaise-Zaïroises, la République du Congo-Zaïre doit comprendre qu’elle devra, sans délai inutile, conclure avec la Belgique au moins deux actes internationaux initiaux. Le premier de ces actes consistera en un traité de paix, qui assurera notamment la liquidation de 80 années d’occupation Belge au Congo-Zaïre et de ses séquelles. On se souviendra, à cet égard que le traité général d’amitié, d’assistance et de coopération, signé à Kinshasa le 29 juin 1960, ne se proposait pas de réaliser cet objectif.
Le deuxième acte sera la signature d’un traité international portant création et fonctionnement d’une union économique entre le Royaume de Belgique et la République du Congo-Zaïre, sous la garantie des Nations-Unis. Etablir la paix entre la Belgique et le Congo-Zaïre reste un devoir impérieux et urgent auquel la République du Congo-Zaïre ne pourrait se dérober sous-peine d’une mort certaine. Dès la table ronde politique de Bruxelles, réunissant en janvier-Février 1960, des leaders congolais avec des membres du gouvernement et du parlement belge, ces prétentions apparaissent, créant tantôt le doute, tantôt la suspicion, mais toujours le malentendu et la sourde-oreille. Les leaders du Congo-Zaïre obtiennent alors que l’indépendance de leur pays soit proclamée le 30 juin 1960 et refusent de donner suite à l’examen du dossier sur les dettes de l’Etat Indépendant du Congo(1880 -1908) et du Congo-Belge(1908-1960) que la Belgique se propose de leur léguer.
Mais les leaders congolais avaient assorti leur refus d’une condition : ils étaient prêts à examiner le dossier des dettes de l’administration belge au Congo-Zaïre avant l’indépendance, pourvu que la Belgique fournisse un rapport complet de sa gestion du pays de 1880 à 1960. A ma connaissance, la Belgique n’a jamais fourni ce rapport. Le 29 juin 1960, soit un jour avant la proclamation de l’indépendance du Congo, le Gouvernement belge de l’époque, dirigé par Mr. Gaston Eskens, a fait signer à Patrice Lumumba, alors Premier Ministre désigné du futur Etat Indépendant, un traité d’amitié, de coopération et d’assistance technique ce « traité d’amitié » a été violé par le Gouvernement Eyskens moins d’une semaine plus tard. Pour diverses raisons que je ne rappelle pas maintenant, le Gouvernement Lumumba, moins de quinze jours après son entrée en fonction, rompait les relations diplomatiques avec la Belgique.
Lumumba et son Gouvernement ont été les premières victimes de cette machine infernale mise en place à travers l’organisation des Nations Unis et à laquelle collaborèrent malheureusement la Belgique, les Etats-Unis d’Amérique et la France. Le discours de Patrice Lumumba le jour de la proclamation de l’indépendance du Congo le 30 juin 1960, signera son arrêt de mort et celui de son Gouvernement, suite à sa volonté affichée de demander l’examen du dossier sur les dettes de l’Etat Indépendant du Congo(1880-1908) et du Congo-Belge(1908-1960).
De la part d’un défenseur acharné de l’Unité du Congo-Zaïre (RDCongo) dans la liberté, la vie ou la mort, nous vaincrons.
Professeur Gérard PILI PILI
Bruxelles, le 20 mai 1990