Par Jean-Pierre Mbelu
Soutenir que notre pays n’est pas une île, c’est l’approcher en ayant un regard largement ouvert sur le monde et l’histoire. C’est organiser sa résistance contre le néolibéralisme en croyant fermement que quelle que soit la longueur de sa nuit, son jour finira par poindre à l’horizon. Le secret : lutter sur le temps et passer le relais.
Quand nous traitons des questions se rapportant à notre pays, il nous paraît important de le situer dans le contexte beaucoup plus large de l’évolution du monde et dans l’histoire. Notre pays n’est pas une île. Depuis 1996, il est en proie à une guerre de basse intensité orchestrée par « les grandes puissances » et les différents accords signés pour y mettre fin ont conduit à sa mise sous tutelle par l’ONU. Ses partenaires traditionnels de « la communauté internationale » se plaisent à le maintenir dans cet état : il leur permet de tirer des dividendes économico-financières par leurs marionnettes et les multinationales interposées.
En effet, la guerre de basse intensité imposée à notre pays a accru les effets nocifs du néolibéralisme que N. Chomsky définit simplement comme étant « le transfert du pouvoir des citoyens à des entités privées. » (N. CHOMSKY, Deux heures de lucidité. Entretiens avec Denis Robert et Weronika Zarachowicz, Paris, les arènes, 2001, p45). Chez nous, ce transfert passe par ce que les économistes néolibéraux nomment l’amélioration du climat des affaires et la mise en pratique des programmes d’ajustement structurels imposés par le FMI.
Si nous soutenons que notre pays n’est pas une île, c’est parce qu’il n’est pas le seul à se retrouver dans cette situation. Plusieurs pays du Nord sont en train d’être victimes des mesures d’austérités prônées par le FMI et l’UE au profit des banquiers : la Grèce , l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Roumanie , etc. voient leurs populations descendre dans la rue pour protester contre cette injustice politique, sociale et économique. Il y a une indignation généralisée qui, aujourd’hui, secoue le monde. En prendre conscience est important pour les patriotes-Résistants Congolais. Cela peut ouvrir la voie vers des alliances, vers une solidarité entre les victimes non-consentantes du système néolibéral. D’où aussi l’importance de revoir les catégories à partir desquelles nous lisons le présent et l’avenir du monde. La lutte n’est peut-être plus à situer au niveau des continents, mais au niveau des classes : l’élite prédatrice est transnationale ; elle travaille en réseau contre les valeurs de la liberté, de l’égalité, de la fraternité et de la solidarité. Les victimes non-consentantes de cette guerre de prédation devraient, elles aussi, organiser des réseaux transnationaux à dimension locale, nationale, sous-régionale et internationale.
Les pays de l’Amérique Latine constituent, au jour d’aujourd’hui, une référence à imiter dans la résistance contre le néolibéralisme : ils ont rompu avec les instruments du néolibéralisme dont ses IFI et ont créé des organisations régionales et sous-régionales intégrant cette résistance. Les exemples de l’ALBA (Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique créée en 2001) et la CELAC ( la Communauté des Etats latino-américains et des Caraïbes créée en 2011) sont éloquents. Ces organisations sont des lieux de l’institutionnalisation de la résistance mais aussi de la solidarité, de la coopération et de la fraternité latino-américaine et caraïbéenne. Pour durer, la résistance a besoin d’être institutionnalisée et portée dans la solidarité.
Comme nous, ces pays ont souffert de l’esclavage et la colonisation. Mais de plus en plus, ils réussissent à se tirer d’affaires et à se mettre au service de leurs populations en privilégiant d’autres relations géopolitiques et géostratégiques que celles entretenues avec « les ex- maîtres du monde ».
Soutenir que le Congo n’est pas une île, c’est aussi l’inciter (au travers de ses dignes filles et fils) à regarder ailleurs au lieu de rester éternellement la vache laitière d’une « troïka » vampire. Regarder ailleurs avec intelligence et sagesse. Et non pas pour signer des contrats léonins et vendre nos entreprises publiques aux industries fictives des Iles Vierges Britanniques au seul profit des « nouveaux prédateurs ».
Les pays latino-américains réussissent à institutionnaliser leur résistance en redevenant souverains et en nationalisant leurs entreprises productrices des richesses qu’ils redistribuent à leurs populations. Ces richesses sont mises, tant bien que mal, au service de l’alphabétisation, de l’éducation, de la sante, de la création des emplois, etc.
Au même moment qu’ils organisent la solidarité et la coopération à grande échelle, ils essaient, tant bien que mal, de promouvoir, localement, la démocratie participative. Citons l’exemple du Président Bolivien. « A une époque où un organisme comme la Banque Centrale Européenne défait et fait des gouvernements en Grèce, en Italie et au Portugal, Evo affronte les défis de son gouvernement en approfondissant la démocratie, facilitant le dialogue horizontal entre gouvernants et gouvernés, et faisant vérité la maxime zapatiste de “commander en obéissant”. Cette saine inclination de s’unir avec son peuple, de se tonifier en écoutant ses critiques et ses propositions est une des raisons fondamentales de sa popularité. » (A. BORON, Pour Evo Morales il faut démocratiser pour approfondir le changement (Rebellion), sur le site Le Grand Soir)
Les pays latino-américains de l’ALBA et de la CELAC ont compris que la souveraineté ne marche pas de pair avec la mendicité, la dette et l’amnésie. Leur résistance s’enracine dans une double mémoire : « une mémoire longue » des luttes de la résistance du bolivarisme et « une mémoire moyenne » de celles contre l’impérialisme. (Sur ces questions, le livre de Michel Collon intitulé Les 7 péchés d’Hugo Chavez, Bruxelles, 2009 est une mine d’informations utiles.)
Soutenir que notre pays n’est pas une île, c’est apprendre à prendre distance de tous ces journalistes « dominants » ou coupagistes estimant que le soutien des « ex-grandes puissances » aux gouvernants sortants du Congo dit RD serait un signal fort attestant que « les fraudeurs et les tricheurs » sont des démocrates. Cette hypothèse fantaisiste est un déni de la réalité : combien des « démocraties » ces « ex-grandes puissances » qui sont, en réalité, des « Etats manqués » ont-ils déjà promu à travers le monde et l’histoire ? Au contraire, au nom du marché et de la cupidité, ils attaquent militairement des pays souverains. Ils les détruisent et les pillent. Ils tuent cyniquement leurs populations en arguant hypocritement qu’ils luttent pour « la démocratie » et « les droits de l’homme ».
Soutenir que notre pays n’est pas une île, c’est dire qu’il n’est pas soumis à une quelconque fatalité. Que nous pouvons, comme les autres peuples et avec eux, organiser notre résistance contre le néolibéralisme et ses chiens de garde et nous tirer d’affaires en promouvant un journalisme alternatif, de nouvelles élites patriotes, nos « Hugo Chavez, Evo Morales ou Rafael Correa », en subvertissant notre approche du « commandement », en relançant le panafricanisme des peuples, etc. tout en restant enracinés dans notre propre « mémoire longue » (avec Kimpa Vita, Kimbangu, Mukenge, Mwamba Mputu, etc.) et dans notre propre « mémoire moyenne » (avec Patrice Emery Lumumba, Mgr Munzihirwa, Floribert Chebeya, Etienne Tshisekedi, etc.)
Jean-Pierre Mbelu