Source: La Libre Belgique.
La construction du plus grand barrage du monde vient de recevoir le feu vert. Mais sa puissance pourrait être atténuée par le changement climatique.
Lors du “Sommet sur l’énergie durable pour tous”, du 16 avril dernier organisé à Bruxelles par l’UE et l’Onu, le vice-président de la Banque africaine de développement pour les Infrastructures, Gilbert Mbesherubusa a annoncé la décision de construire par étapes le barrage de Grand Inga, sur le fleuve Congo. Prochain épisode : le lancement prochain d’une étude de faisabilité. En novembre 2011, en présence des Présidents Joseph Kabila du Congo et Jacob Zuma d’Afrique du Sud, les ministres de l’Énergie des deux pays avaient déjà posé les jalons en signant un protocole d’accord à cet effet. Restent à trouver les financements.
D’une capacité de 39000 mégawatts, ce monstre de béton et les ouvrages associés (1) devraient générer une puissance supérieure à celle combinée des deux plus grands barrages existants : celui des Trois Gorges sur le Yangtzé (22,4 GW) et celui d’Itaipu (14 GW), sur le rio Paraná, à la frontière du Brésil et du Paraguay. Un projet pharaonique : le coût du barrage et des “autoroutes de l’énergie”, les lignes à très haute tension censées acheminer le courant d’Inga aux quatre coins du continent, voire en Europe et au Moyen Orient, est estimé à plus de 80 milliards de dollars Un des plus chauds partisans du projet est Kandeh Yumkella, directeur général de l’Organisation des nations unies pour le développement industriel dans le cadre de la stratégie visant à atteindre l’objectif de l’accès universel à l’électricité à l’horizon 2030, dans un continent où plus de 600 millions de personnes en sont privées.
Mais par-delà les polémiques entre partisans du projet et détracteurs inquiets de voir le Congo replonger dans la spirale de l’endettement enclenchée par la construction des barrages existants (Inga I et Inga II), et par la crainte qu’à nouveau les Congolais restent dans l’obscurité aux pieds des pylônes des lignes exportant ailleurs l’électricité d’Inga, une hypothèque pèse sur le projet : celle du changement climatique.
Des indices concordants font craindre en effet que le potentiel de Grand Inga ne soit affecté par le phénomène. Durant la décennie écoulée, Inga a été affecté plusieurs fois par la sécheresse. Le débit relevé en juillet 2011 par la Régie des Voies fluviales (RVF) au niveau de Kinshasa-Brazzaville a été de 23000 mètres cubes par seconde contre 36000 m3/sec entre le 14 et le 15 juillet 2010, à peine plus que le minimum historique de 22350 m3/s enregistré en 1905. Du vivant des Congolais des deux rives, on n’avait jamais vu cela. Les bancs de sable et des rochers émergés étaient visibles sur plusieurs kilomètres entre Kinshasa et Brazzaville. Côté Brazzaville, l’eau s’était retirée sur plusieurs dizaines de mètres, racontent les riverains.
Selon les analyses du débit du Congo menées de 1902 à 2006 par le Bureau français d’études industrielle, sur les énergies renouvelables et environnementales, après une première partie du XXe siècle stable du débit moyen entre 1902 et 1959, puis une période très “humide”, on est entré dans une période “sèche”, depuis le début des années 1980. “Les causes profondes de cette situation qui est provoquée par un déficit prolongé de précipitations sur l’ensemble des sous-bassins du Congo, sont à rechercher dans le fonctionnement général du climat ou encore dans la circulation atmosphérique régionale”, analyse le bulletin de la Commission internationale du Bassin Congo-Oubangui-Sangha (Cicos) basé à Kinshasa. qui réunit des scientifiques des deux Congo et de la République centrafricaine. Le directeur des ressources hydrauliques du Cicos, Georges Gulemvuga, dans une présentation faite en septembre 2010 à Kinshasa, avait déjà signalé l’augmentation du nombre de jours d’arrêt de la navigation sur la rivière Oubangui, principal affluent du Congo, de quatre par an pour la période 1935 -1971, à 40 (1972-1982), à 107 (1983-1989) et à plus de 200 depuis 2002 ! Il évoque même “une désertification aux deux bordures du Bassin du Congo”, parlant d’une “avancée de l’onde de la sahélisation vers le nord du bassin” et une “kalaharisation dans le sud”.
D’autres symptômes ont été relevés, ailleurs dans le Bassin. Le Pole Institute de Goma tirait la sonnette d’alarme le 12 août 2005 face à la “baisse continue de la production électrique des centrales de Ruzizi I et Ruzizi II”, situées sur la rivière éponyme qui achemine les eaux du lac Kivu vers le lac Tanganyika qui alimente lui-même la Lualaba, le cours supérieur du Congo. Selon le Pole Institute, “le niveau du lac Kivu baisse d’un centimètre par jour depuis trois ans”, constatait-il alors.
La baisse des eaux affecte également le plus grand réservoir d’eau douce du Bassin du Congo, le Lac Tanganyika. Selon Hudson H. Nkotagu, coordinateur national du Programme du Lac Tanganyika de l’Autorité du Lac Tanganyika, les données relevées dans la capitale burundaise Bujumbura et dans le port tanzanien de Kigoma, font état d’un déclin de 0,8 mètre au cours des dix dernières années. À Ujiji, sur la rive tanzanienne, lieu de la rencontre historique en 1871 de l’explorateur écossais David Livingstone et du journaliste britannique Henry Morton Stanley, le lac a reculé de 400 mètres. Depuis le début de ce millénaire, le niveau n’a plus cessé de baisser. La profondeur du bassin du port de Bujumbura est passée de 10 à 4 mètres constatait en 2005 Jean-Marie Rwemera, directeur technique de l’exploitation du port de Bujumbura.
Pour Hudson Nkotagu, ce phénomène est aussi lié au réchauffement de la température des eaux du lac, constaté en 2010, par le département des Sciences de la Terre de l’Université d’Arizona. Et comme si cela ne suffisait pas, le potentiel d’Inga risque en outre d’être affecté par un projet controversé de transfert d’une partie des eaux de l’Oubangui vers le Tchad (voir encadré).
A l’origine, selon le plan directeur de la Société nationale de l’électricité congolaise (SNEL), l’aménagement de Grand Inga prévoit en amont la construction d’un premier barrage long de 630 mètres et haut de 140 mètres, censé détourner le cours du fleuve vers la vallée asséchée de la Mbundi, d’un second le barrage de Sikila (850 mètres de long et 70 mètres de haut), d’une digue, longue de 550 mètres et haute de 45 mètres. Enfin, la construction du barrage en enrochement de la Mbundi (1600 mètres de long et 160 m de haut), où seraient localisées les 52 turbines de 750 MW.