Par Jean-Pierre Mbelu
Lutter efficacement pour l’émancipation politique d’un peuple exige une sage et intelligente identification de son adversaire. Lumumba, une personnalité charismatique et forte, a suffisamment réussi cette identification. Et sa brève lutte a créé la peur et dans le camp des vainqueurs et dans ceux des vaincus. Le véritable adversaire a pris le chemin de l’ombre. A partir de cette ombre, il a créé des sécessions en agitant ses ‘’nègres de service’’ ; il a imposé les programmes d’ajustements structurels en mobilisant ‘’les petites mains du capital’’. Il a décapité ‘’la tête du Congo’’ au point de faire du problème de ‘’la direction’’, d’un leadership collectif courageux, persévérant et visionnaire une question essentielle. De son ombre, le véritable adversaire (extérieur) du Congo a créé la peur. Celle-ci tétanise la classe politique congolaise depuis l’assassinat de Lumumba jusqu’à ce jour. A quelques exceptions près.
Patrice Lumumba est l’un des rares Congolais à avoir suffisamment identifié les véritables adversaires de son pays et les questions sérieuses face auxquelles celui-ci était placé. L’impérialisme américain et le néocolonialisme incarnés par ‘’leurs petites mains’’ occidentales et leurs ‘’nègres de service’’ ont été les cibles de ses différents discours. La question de la terre congolaise est aussi prise en compte dans sa lutte politique. L’élite anglo-saxonne dominante (et ses alliés occidentaux) soucieuse de faire main basse[1] sur les matières premières stratégiques du Congo finit par signer son arrêt de mort en le taxant de ‘’communiste’’. (Lui-même, luttant pour la liberté et la dignité de l’homme noir, se définit comme ‘’un nationaliste qui aime son pays.)
L’assassinat de Lumumba signe celui de la démocratie naissante au Congo
L’assassinat de Lumumba signe celui de la démocratie naissante au Congo. Agent des services secrets extérieurs, Mobutu devient ‘’l’ami’’ des impérialistes et des néocolonialistes dans ‘’leur guerre froide’’ contre ‘’le communisme’’ ; c’est-à-dire contre la possibilité qu’une autre idéologie ne puisse émerger sur l’échiquier mondial en marge du capitalisme ‘’sauvage’’. Les sécessions katangaise et kasaïenne, la dictature mobutienne et les programmes d’ajustement structurels des mis sur pied par les IFI vers les années 1980 vont détruire en profondeur les structures socio-économiques et culturelles ; ils vont détruire l’homme et la femme congolais. Ils ont détruit une bonne part de l’humain dans l’homme et la femme congolaise dans son immense majorité. La Conférence Nationale Souveraine aurait pu être un moment de sa renaissance. Il n’en sera rien.
La montée du ‘’capitalisme du désastre’’ après la chute du mût de Berlin va anéantir tous les efforts conjugués par les minorités congolaises éprises du désir de voir enfin naître un Etat de droit au cœur de l’Afrique. La guerre de prédation et de basse intensité menée contre le Congo-Zaïre va, vers les années 1996, conduire au ‘’génocide silencieux’’ des compatriotes de Patrice Emery Lumumba. Traite négrière, colonisation, dictature, programmes d’ajustements structurels, guerre de prédation et de basse intensité, ‘’génocide silencieux’’, tel est le lot du Congo de Lumumba depuis plus de 100 ans. (C’est beaucoup !)
La traite négrière, la colonisation, l’assassinat de Lumumba et le soutien offert à Mobutu par les impérialistes et les néocolonialistes ont créé, à quelques exceptions près, ‘’la mentalité des vaincus’’ et des ‘’soumis au diktat occidental’’. La peur de se démarquer de ce ‘’diktat’’ a fini par habité l’imaginaire de plusieurs compatriotes de Lumumba et cela de génération en génération. Plusieurs d’entre eux, surtout les politiciens, ont fini par vivre d’un imaginaire violé et convaincus, dans leurs cœurs et leurs esprits, qu’il est impossible de gouverner le Congo sans l’aval des ‘’petites mains du capitalisme sauvage’’ (dont plusieurs exercent hypocritement la fonction ‘’visible’’ des chefs d’Etat au Nord du monde.)
Quand Laurent-Désiré Kabila viendra, plus de trois décennies après la mort de Lumumba, dans les rangs des proxys des ‘’nègres de service’’ des ‘’petites mains du capital’’ pour ‘’libérer le Congo’’, il fera comme si ces derniers étaient des enfants de chœur. Son revirement pour devenir ‘’le soldat du peuple’’ lui coûtera la vie le 16 janvier 2001.
Quand “partenaires extérieurs” se traduit par “petits mains du capital” occidental
Cet assassinat va en rajouter à la peur des politiciens congolais ; ils vont se convaincre qu’ils ne pourront jamais gouverner le Congo sans l’aval des ‘’partenaires extérieurs’’. Pour eux, qui dit ‘’partenaires extérieurs’’ dit ‘’petites mains du capital’’ occidental. Avant la mascarade électorale de 2011, Etienne Tshisekedi, l’un des rares politiciens à avoir soulevé derrière lui des masses considérables pour soutenir sa candidature, effectuera un voyage en Occident pour ‘’rassurer’’ ‘’les partenaires extérieurs’’. Sans succès. Les tricheries et les résultats truqués de cette mascarade électorale et l’article d’Arnaud Zajtman intitulé ‘’Il est minuit moins une à Kinshasa’’ en témoignent. (C’est comme si la peur d’être désavoué de l’extérieur avait miné toute la confiance que les hommes politiques congolais peuvent avoir dans leurs masses populaires transformées en peuple et devenues souveraines. Pourtant, il semble que cette reconversion des masses populaires qui peut, comme une bombe, renverser les rapports de force. Plusieurs pays latino-américains sont en train de le prouver.)
Depuis l’assassinat de Lumumba jusqu’aux élections de 2011, la peur de fréquenter ‘’le monde communiste’’ (la Russie et la Chine) a sérieusement tétanisé la majeure partie de la classe politique congolaise. En marge des échanges commerciaux profitant au 1% de vieux dinosaures mobutistes et de nouveaux prédateurs de la kabilie, il est rare d’entendre les acteurs politiques congolais parler des Russes et des Chinois comme partenaires politiques. Tous leurs voyages ‘’diplomatiques’’ précédant les élections se limitent à l’Europe et aux USA. Cela les rend quand même suspects auprès des populations qu’ils sont censés servir après les échéances électorales.
Le courage de faire les choses autrement en allant vers des partenaires stratégiques de l’acabit de la Chine ou de la Russie manque jusqu’à ce jour au Congo de Lumumba. Tout se passe comme si le mur de Berlin ne s’était pas écroulé. Mobutu, à une certaine période de sa dictature, a visité la Chine de Mao et a donné l’impression de copier ‘’sa révolution culturelle’’. Malheureusement, la politique de l’authenticité et la zaïrianisation qui l’a accompagnée furent un terrible gâchis.
L’Afrique du Sud, en intégrant le BRICS, aurait-elle mieux compris l’évolution du monde que le Congo de Lumumba ? Dans un monde de plus en plus pluricentré, les Congolais(es) finiront-ils par comprendre qu’il y a un axe stratégique important à investir? L’axe sino-russe ; tout en restant vigilants sur son orientation capitaliste ‘’sauvage’’ ? L’Argentine est en train de s’engager sur cette voie. La Syrie et l’Iran ont sur tenir le coup dans les conflits les opposant au bloc occidental grâce à leur partenariat avec l’axe susmentionné.
Rompre avec le larbinisme suicidaire
La déclaration signée dernièrement par Vladimir Poutine et Xi Jinping devrait, en principe, pousser ‘’la nouvelle classe politique congolaise’’ à rompre avec la peur et à avoir le courage de diversifier son partenariat et d’approcher, en conscience, l’axe sino-russe. Que dit cette déclaration? « Moscou et Pékin conjuguent leurs efforts pour lutter contre les tentatives de certains Etats et blocs de s’ingérer dans les affaires internes des pays tiers. »[2] (Cette déclaration pourrait être une conséquence de l’inaction et/ou de la complicité de l’ONU dans les dernières ‘’guerres humanitaires’’).
Approcher l’axe sino-russe n’implique pas nécessaire une conversion à ses idéologies politico-économiques. Cela d’autant plus qu’il ne l’exige pas. Plusieurs pays latino-américains très proches de Moscou et de Pékin poursuivent leur conquête de la démocratie participative. Le Venezuela en est déjà à ‘’la démocratie par la rue’’ et à ‘’la démocratie communale’’.
Après une histoire du déni de l’humanité à l’homme noir, une histoire au cours de laquelle la traite négrière, la colonisation, les coups d’Etat, les guerres de basse intensité, les programmes d’ajustements structurels et la mort de l’Afrique ont été régulièrement programmés par le bloc occidental, lui rester fidèle en tant qu’unique partenaire politique et économique par simple larbinisme serait suicidaire pour le continent.
Rompre avec ce larbinisme suicidaire exige une thérapie collective contre la peur et d’autres adversaires internes aux peuples africains et congolais : l’égoïsme et l’individualisme. Cette thérapie collective peut produire un imaginaire alternatif sur le moyen terme si elle est portée par des structures sociales, économiques, culturelles et politiques fondées sur la coopération, la solidarité et la protection citoyenne. Cette thérapie collective doit être portée par un leadership collectif responsable indiquant ‘’la voie’’, ‘’la direction’’ à suivre sans atermoiement.