L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu apporte un éclairage sur la tragédie humanitaire que les congolais refoulés de Brazza vivent, décrypte le lien entre le système néolibéral et l’extermination des congolais, et explique pourquoi ce qui se passe actuellement au Congo est un signe de la déstabilisation de l’Afrique.
Sur la tragédie humanitaire des congolais venant du Congo-Brazzaville
On dirait que nos compatriotes demandent au gouvernement fantôche de Kinshasa de poser des gestes qui ne rentrent pas dans sa mission d’extermination des congolais. De ce point de vue, nous nous trompons et nous risquons de payer un lourd tribut en laissant traîner nos compatriotes et d’autres infiltrés qui sont parmi eux, dans des conditions inhumaines, si certains d’entre nous ne prennent pas l’initiative de s’occuper de cette catastrophe là. Peut-être alors que le gouvernement fantôche de Kinshasa cherchera à se rattraper ou se faire de la publicité en répondant aux appels des ONG, mais cette mission de protection des congolais est exclue de sa feuille de route.
Sous d’autres cieux, si le Congo était réellement un pays démocratique, le ministre de l’intérieur devrait déjà avoir démissionné. Or nous avons un gouvernement fantôche et un état manqué.
Si nous sommes plusieurs à comprendre que ces gens là ne représentent pas le peuple congolais dans son immense majorité, nous n’irons pas leur demander ce qu’ils ne peuvent pas nous offrir.
Sur le lien entre système néolibéral et l’extermination des congolais
Le système dans lequel le Congo se retrouve aujourd’hui a déjà classifié certains de ses filles et certains de ses fils parmi les populations inutilisables. On a déjà éliminé plus de 8 millions de Congolais, qu’on en élimine, encore 300 ou 400 000, cela importe peu à ceux qui ont monté ce système qui a classifié certains compatriotes parmi les populations inutiles. Nous n’allons pas jusqu’à sonder le fonctionnement du système néolibéral et néocolonial qui s’est installé au Congo depuis les années 1960. Nous sommes dans un système qui n’a rien à voir avec la protection des vies humaines.
Sur l’opposition congolaise à Kinshasa
Le danger avec les opposants au Congo, c’est qu’ils opèrent dans le même système que ceux qu’ils critiquent. Et puis leurs critiques, à un certain moment, ne vont pas jusqu’aux questions fondamentales. C’est bien de remettre en cause le gouvernement fantôche de Kinshasa, mais nous aurions voulu entendre ces opposants nous dire comment ils peuvent faire, avec 400 partis politiques, pour passer de l’hégémonie libérale à l’hégémonie démocratique. Nous aurions voulu qu’ils nous disent comment ils peuvent faire pour que le Congo cesse d’être un Etat failli, néolibéral et néocolonial, pour qu’il devienne un Etat souverain et national.
Ils n’abordent jamais ces questions. C’est comme si ils avaient peur de rompre avec le rôle que plusieurs d’entre eux jouent, à savoir celui de capitas médaillés du système néolibéral et néocolonial.
Sur la déstabilisation de l’Afrique, à partir du cas du Congo
Ce qui se passe, avec les congolais, au Congo-Brazzaville, ce qui se passe, avec les congolais, en Centrafrique, ce qui s’est passé, avec les congolais en Angola, sont des signes avant-coureurs d’une déstabilisation profonde de l’Afrique…
Cette procédure de déstabilisation de l’Afrique, qui est en marche, est soutenue par les mêmes qui ont fait de nous, hier, des colonisés, et avant-hier des esclaves. Il ne s’agit pas de faits hasardeux. Pourquoi maintenant ? Pourquoi la France s’est installé au Mali et en Centrafrique ? Qu’est-ce qui fait que les USA cherchent où placer AFRICOM ?
N’oubliez pas que ces signes interviennent au moment où les économies des pays du Nord sont fauchées. Il y a là encore des mécanismes d’assujettissement de l’Afrique, avec la complicité d’un certain nombre d’africains.
Il y a une main noire qui utilise les filles et les fils de l’Afrique des Grands Lacs et du Congo pour pouvoir avilir, déshumaniser et tuer le peuple congolais.
Sur le traitement inhumain que subissent les congolais
On peut se poser la question : Qu’avons-nous fait pour être traités comme des moins que rien, des moins que des humains ?
On répond souvent, c’est parce que notre pays est immensément riche. L’Angola est immensément riche, on ne traite pas les angolais comme nous. Il y a un problème fondamental, c’est le problème de la direction. Le Congo n’est pas dirigé. Ce qui sauve encore le Congo, ce sont ses minorités organisées et éveillées, qui essaient, aujourd’hui encore, de se battre sur plusieurs fronts pour que ce pays là ne disparaisse pas de la carte de l’Afrique.
Sur le viol de l’imaginaire congolais
Il y a un viol de l’imaginaire qui a été opéré dans le chef de plusieurs d’entre nous, et dont nous peinons à pouvoir en guérir.
Nous avons encore des compatriotes qui n’ont pas encore compris que c’est à eux qu’il appartient de forger le destin de leur pays. Du point de vue de leur imaginaire, le salut du Congo viendra de ceux qu’ils appellent abusivement les partenaires extérieurs.
Or, en restant un peu attentif à ce qui se passe, à travers le monde aujourd’hui, nous ne voyons pas où ces partenaires extérieurs sont en train d’aider X ou Y pays à retrouver sa souveraineté et son autonomie. On dirait qu’une bonne partie des politiciens congolais vit coupée du monde réel.
Peut-être parce qu’il n’y a pas de courant à Kinshasa, peut-être parce que l’accès aux livres est difficile au Congo, mais que nos compatriotes parlent du passage de tel ou tel diplomate de passage au Congo, comme si nous avions affaire à des Pères Noëls, c’est révoltant.
Il y a un travail de mémoire à mener. Mais il y a aussi une réécriture de l’histoire qui doit pouvoir se faire au niveau de certaines institutions qui façonnent la femme et l’homme congolais : L’université, l’école, l’Eglise.
Sur la création de la Commission d’intégrité et de médiation électorale (CIME) par les chefs religieux à Kinshasa
Quand dans un pays comme le Congo, il y a des conflits récurrents, mettre sur pied une institution de médiation pour pouvoir gérer ces conflits n’est pas une mauvaise chose. Il y avait une commission vérité et réconciliation qui avait été prévue à l’issue des pourparlers de Sun City ou de Lusaka. Il fallait qu’il y ait cette commission pour guérir les cœurs et les esprits.
Mais sans revenir à la question de la justice transitionnelle, sans fonder cette question sur une éthique de responsabilité tournée vers le passé, et une éthique reconstructive tournée vers l’avenir, on n’ira nulle part.
On ne peut pas corriger un processus électoral, biaisé dès le départ, le long de son parcours.
Le problème auquel le Congo doit faire aujourd’hui n’est pas simplement celui du processus électoral. Le Congo est placé dans une procédure mensongère dont les racines se trouvent dans la guerre de l’AFDL menée par les élites dominantes anglo-saxonnes et par les proxys interposés. Il n’y a pas eu ce travail de la justice transitionnelle, il n’y a pas eu le travail de la commission vérité et réconciliation. La CIME risque de mettre entre parenthèse toute une partie de notre histoire qui, demain, va peut-être nous sauter à la figure. On pourrait faire les choses de manière ordonnée. Dans le rapport mapping, il y avait la proposition de juridiction mixte qui n’a jamais été suivie. Commençons par là : Est-ce qu’il n’y a pas moyen de revenir à la question de la justice transitionnelle. Est-ce qu’il n’y a pas moyen de revenir à la question de la commission vérité et réconciliation. Pourquoi ? La méfiance et la haine entre plusieurs compatriotes congolais ont atteint des proportions très dangereuses. Nous risquons de prêter flanc à ceux qui sautent sur les petits conflits inter-étatiques pour pouvoir faire main basse sur les matières premières des pays qu’ils envient. Il faut aussi être attentif à cette dimension là.
Sur l’occupation par les combattants congolais de l’ambassade de la RDC à Paris (Voir la vidéo)
L’activisme citoyen est toujours important pour un peuple qui cherche à atteindre des changements profonds dans son pays. Même si les actions sont sporadiques, l’important est que les compatriotes comprennent le message.
Ils se disent de plus en plus que c’est aux congolais qu’il appartient de prendre son destin en main, que X, Y ou Z peut être de passage au Congo et dire ceci ou cela, il n’appartient pas à ces gens là de pouvoir décider de ce que le Congo de demain doit devenir.
Il faudrait que les activistes congolais adoptent de plus en plus une synergie entre les différents fronts de lutte pour pouvoir nous retrouver autour d’un certain nombre de défis qui pourraient nous mobiliser, non de manière sporadique, mais sur le court, moyen et long terme. Nous devrions pouvoir nous assigner des objectifs à atteindre.