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La résolution 2098 et l’effondrement du monopole de l’Etat Congolais

La résolution 2098 et l’effondrement du monopole de l’Etat Congolais

La résolution 2098 et l’effondrement du monopole de l’Etat Congolais IN

Par Jean-Jacques Wondo, analyste politique. (Partie I).

Cette analyse tente de cerner l’impact de la résolution 2098 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 28 mars 2013. Une résolution prise à la suite de l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo et la région, signé à Addis-Abeba le 24 février 2013 et auquel j’ai consacré précédemment une analyse détaillée.

L’armée en tant que détenteur du monopole de la violence légitime : Qu’est-ce à dire ?

Dans sa définition de l’Etat, le Brésilien Emilio Willems (Dictionnaire de sociologie, 1970) souligne que l’ « un des caractères principaux de l’État est l’exercice d’un contrôle coercitif sur ses propres membres ou dans ses rapports avec les autres sociétés ». La caractéristique de l’Etat réside dans sa capacité de disposer du monopole de la violence légitime. Une violence que l’Etat confère à ses forces armées nationales et non étrangères encore moins à des mercenaires ni aux milices pour assurer sa défense extérieure ; aux services de police pour assurer la sécurité intérieure, l’ordre public à l’intérieur de l’Etat et la recherche des auteurs d’infraction ; et à la justice pour réguler les processus sociaux et sanctionner les comportements jugés en décalage par rapport aux normes de la société (l’Etat). Il s’agit tout bonnement des domaines qui couvrent les pouvoirs régaliens d’un Etat de disposer de la puissance publique et qui forment ce que l’on appelle communément « impérium ».

De ce fait, la mission principale d’une armée est naturellement celle de défendre l’ordre constitutionnel fondateur et garant des institutions républicaines de l’Etat (sous sa forme Etat de droit). En tant que garant de l’ordre républicain, l’armée détient le monopole légitime de rétablir l’équilibre ou de défendre le pays par le recours à la violence chaque fois que le pays est menacé ou agressé. Ainsi, l’Etat n’a de sens et d’existence que dans la mesure où il possède les instruments performants capables de lui permettre d’exercer son monopole de la violence légitime. C’est-à-dire avec le choc de la guerre, l’Etat est obligé de montrer de quoi il est capable. Car sans armée efficace et capable d’exercer cette violence contre l’ennemi, c’est toute la substance constitutive même de l’Etat qui s’émascule. Cela arrive lorsqu’on a une armée incongrue soutenant un État-coquille vide et exposé à la merci du premier agresseur.

Dans le manuel de tactique de l’Ecole Royale Militaire en Belgique, on enseigne que chaque Etat dispose d’un certain nombre de facteurs qui constituent son pouvoir : milieu (espace), frontières, population, ressources… Sous l’angle juridique, la souveraineté d’un Etat est le droit exclusif d’exercer l’autorité politique sur une région géographique donnée. Ainsi, dans son fonctionnement interne et dans ses rapports aves les autres Etats, l’objectif principal d’un Etat sera de réaliser au maximum l’« intérêt national » (National Intrest) en faisant appel à son pouvoir, ce qui résultera évidemment en une forme de conflit entre les Etats (Struggle for power) qui sera résolu par la confrontation des pouvoirs, notamment par l’emploi des armes.

D’où le principe universel affirmé par Carl von Clausewitz : « La guerre est un acte de violence dont l’objectif est de contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté ». Pour cette raison, selon le sociologue Max Weber, l’Etat doit être protégé contre toute forme d’actions qui peuvent compromettre l’exercice du pouvoir et son existence. Aussi, doit-il exister des services publics chargés de permettre à l’Etat d’user de ses prérogatives du monopole de la violence légitime et d’assurer son autorité et sa puissance publique sur l’ensemble du territoire national.

L’absence du dyptique « Armée -Etat » provoque l’éclatement du monopole de l’Etat au Congo

Le rôle sociopolitique de l’armée comme fondateur de l’Etat n’est plus à démontrer. L’Etat juif en est une illustration parfaite. Dans ses travaux d’études des structures étatiques, le prussien Otto Hinze (1861-1940) a développé la thèse selon laquelle la guerre serait à l’origine du développement de l’Etat moderne. En effet, l’organisation de ce dernier est conçue de manière telle à lui conférer des capacités de maintenir une stabilité, de mener une guerre, d’affirmer ou imposer ses intérêts nationaux sur la scène internationale. Pour appuyer son assertion, l’historien met en avant notamment les origines militaires de la bureaucratie (organisation structurée en départements) des Etats modernes de sorte que la volonté de défendre les intérêts nationaux induit un renforcement continu des structures de l’Etat. (Jean-Jacques Wondo, Les armées au Congo-Kinshasa – Radioscopie de la Force publique aux FARDC, Avril 2013 – Version revue et augmentée).

Ce constat amena le sociologue américain Charles Tilly à affirmer que : « L’Etat fait la guerre et la guerre fait l’Etat ». En ce sens qu’Il y a un lien indéfectible entre la formation de l’Etat et le fait guerrier ou l’armée. Le professeur André Corvisier a quant à lui affirmé que « l’armée est bien cette « accoucheuse de l’Etat ». (Histoire militaire de la France , 1992).

Par ailleurs, depuis que les armées ont commencé à s’ériger en armées de masse, dès le XVIIème siècle, elles ont représenté un facteur intégrateur majeur dans la constitution et la structuration des identités nationales. Cela s’est clairement confirmé, par exemple, dans la Prusse du XVIIème siècle, au point de pousser Mirabeau à s’exclamer : « La Prusse n’est pas un Etat qui possède une armée, c’est une armée qui a conquis une nation.»

En observant le dépérissement des structures de l’Etat au Congo et en faisant le parallélisme avec ce qui est décrit ci-dessus, l’on se rend compte que les FARDC ne remplissent aujourd’hui aucun critère de fonctionnalité d’une armée fondatrice de l’Etat. Ce dernier étant défaillant par ce fait même. L’armée composite congolaise n’a de nom que d’armée mais toute la substance même de sa fonction et de sa mission est inexistante. Face à toutes les guerres imposées au Congo, l’armée nationale s’est montrée incapable de remplir ses missions régaliennes consistant à mener une guerre censée contraindre l’ennemi à la soumission et à défendre l’intégrité nationale. A sa place, ce sont les militaires venus d’ailleurs qui se substitueront à cette mission sacrée conférée à une armée appelée à être la garante de la souveraineté nationale.

Aujourd’hui, ce ne sont pas les FARDC qui défendent l’intégrité du Congo mais bien la Brigade d’intervention de l’ONU qui le fera à leur place. Cet effondrement du monopole de la violence de l’Etat conféré aux FARDC a été fièrement salué par le ministre des Affaires étrangères, M. Raymond Tshibanda, lorsqu’il a déclaré tout haut à qui veut l’entendre : La rébellion M23 doit « cesser d’exister comme un mouvement politico-militaire »… Sinon, « la Brigade [NDLR: d’intervention de la Monusco et non les FARDC!] s’occupera à mettre fin à son existence ».

Voilà une affirmation qui consacre la perte du monopole de la violence de l’Etat congolais, résigné à confier la tutelle de l’exercice de cette violence aux forces étrangères, notamment la Brigade internationale pour le cas qui nous concerne ici. Une déclaration qui frise l’infantilisme politique lorsque le ministre des Affaires Etrangères d’un Etat souverain s’enorgueillit du fait que son armée loyaliste forte d’environ 140.000 hommes est incapable de contenir une rébellion de moins de 5.000 hommes. Et que cette prérogative reviendra désormais à une brigade internationale, des pays frères d’Afrique de surcroît, qui ferait le travail à la place des FARDC dépéries et en lambeaux.

Il n’est dès lors pas étonnant de lire un observateur attentif de la vie sociopolitique congolaise, en la personne du politologue Dr Dieudonné Wamu, s’exclamer et s’indigner en ces termes :

« C’est vraiment triste quand on lit tous ces commentaires: le grand Congo, la grande RDC, qui espère être sauvée par des troupes des petits pays comme le Malawi, la Tanzanie…. C’est pourtant l’armée congolaise qui devrait pouvoir être déployée partout ailleurs en Afrique en cas de besoin ! Il ya encore beaucoup de travail à faire vraiment. Et quand le ministre Tshibanda se réjouit du mandat « offensif « confié à cette brigade, il fait un terrible et déshonorant aveu d’impuissance; car l’armée congolaise (FARDC) est déjà plus importante que les 2.500 éléments de la brigade annoncée, et elle est toujours déjà dotée de ce mandat offensif qu’elle devrait « mieux » exécuter pour chasser les prétendus « rebelles ». Tant que cette armée ne sera pas capable de faire son job, tous les supplétifs extérieurs, sous quelque mandat que ce soit, ne seront que des illusions meurtrières ! Croire qu’une brigade de 2.500 hommes va réussir là où une force onusienne de 17.000 hommes et une armée régulière de plus de 150.000 hommes ne réussissent pas… Bon, il faut attendre et voir !!! »

Une lecture on ne peut plus claire qui constate évidemment la perte du monopole de la violence de l’Etat congolais, élément constitutif d’un Etat. Et donc la faillite de l’Etat congolais car privé de sa colonne vertébrale. Un Etat incapable de doter son pays d’un outil militaire dissuasif auquel il doit assigner les buts de faire la guerre à l’instar du principe de base exprimé avec force par Von CLAUSEVITZ dès les premières pages de son manuel (De la Guerre) : « L’objectif politique, comme mobile initial de la guerre, fournira le but à atteindre par l’action militaire, autant que des efforts nécessaires »’ ».

En effet, c’est la politique qui fixe les buts de la guerre. Une idée-force qui aboutit à la célèbre ‘’Formule’’ universalisée, devenue désormais un classique dans le domaine stratégique mais constamment citée de façon tronquée, sans en comprendre l’essence : « La guerre est une simple continuation de la politique par d’autres moyens. La guerre n’est pas seulement un acte politique, mais un véritable instrument politique, une poursuite des relations (ou transactions) politiques, une réalisation de celles-ci par d’autres moyens. (Clausewitz, De la Guerre). Dès lors que l’Etat (Gouvernement) congolais ne sait plus mener une bataille armée, c’est toute sa stratégie de conduire la politique nationale et internationale qui s’ébranle. Dès cet instant, il n’est guère étonnant que d’autres viennent lui dicter la manière de faire la politique et la guerre en lui imposant des engagements à respecter (Accord-cadre) et une force multinationale pour palier sa défaillance régalienne.

Le principe de « la responsabilité de protéger » comme base juridique de la résolution 2098

La résolution 2098 se présente aujourd’hui comme une matérialisation de la nouvelle approche géopolitique des relations internationales qui consacre le principe de « transnationalité ». Il s’agit selon le camerounais Luc SINDJOUN, dans son ouvrage : « La Sociologie des relations internationales africaines » ni plus ni moins de légitimer la contestation du monopole étatique des relations internationales africaines par l’existence de « quasi-Etats » dont la souveraineté tiendrait plus de la fiction que de la réalité. Ce, du fait que l’Etat ‘africain’ aurait échoué dans son projet de recherche hégémonique et de totalisation de son espace. La transnationalisation des relations africaines est une conséquence de la faiblesse des Etats.

Cette transnationalisation des relations africaines a poussé la Communauté internationale à trouver une parade pour venir opérer au sein des Etats effondrés en inventant le concept de « la responsabilité de protéger ». Un concept qui a émergé en 2002 au Canada dans un contexte géopolitique d’une prolifération des guerres intraétatiques durant les années 1990 en Somalie, au Rwanda et dans les Balkans. Il se distingue du droit d’ingérence humanitaire cher à Bernard Kouchner et à Mario Bettati par l’affirmation d’un devoir d’intervention, et non plus seulement d’un droit, sous certaines conditions bien précises. Il s’agit ni plus ni moins d’une mutation de rhétorique diplomatique et académique : d’un discours centré sur l’individu fondant le droit à l’ingérence humanitaire, on passe à un discours centré sur l’Etat et fondant la responsabilité de protéger les individus. Alors que le «droit d’ingérence» insistait sur les engagements que devaient prendre les Etats à l’origine des interventions humanitaires pour justifier et légitimer leurs actions, la «responsabilité de protéger» a tendance à occulter cet aspect pour insister sur les revendications, les droits et les prérogatives des Etats intervenants potentiels (Rapport de la Commission internationale sur l’intervention et de la souveraineté des Etats (CIISE), Ottawa, 2001, p. 16).

Dans cette perspective, le Rapport explique précisément que «la souveraineté étatique consiste avant tout à assumer deux fonctions constitutives : à l’intérieur, vis-à-vis de sa population ; internationalement vis-à-vis de la communauté des Etats responsables» Comme l’ont relevé les co-présidents de la Commission, le glissement transforme «l’essence de la souveraineté, de la capacité de contrôle [de l’Etat] à la responsabilité» vis-à-vis de ses citoyens. (David Chandler, Comment lestate-building affaiblit les Etats :«La responsabilité de protéger» les Etats faillis incombant à la communauté internationale est un autre nom pour l’ingérence extérieure).

De la sorte, un État ne peut plus invoquer sa souveraineté pour refuser toute ingérence extérieure à l’intérieur de son territoire national et qu’il est de la responsabilité de la communauté internationale de protéger une population contre des catastrophes ou des violences lorsque l’État dont elle relève n’est pas disposé à le faire ou en est incapable.

Les Nations Unies ont adopté ce principe dans le document final du Sommet mondial de septembre 2005. Le 11 novembre 2009, la Conseil de sécurité (CS) a voté la résolution 1894 sur la protection des civils dans les conflits armés. Par cette résolution, le CS établit pour la première fois un lien entre son action en faveur de la protection des civils et sa responsabilité au titre de la responsabilité de protéger.

C’est sur cette base juridique qu’il faille désormais comprendre l’imposition faite au Gouvernement Congolais de respecter les six engagements de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, qui relèvent pourtant et exclusivement de sa politique intérieure souveraine. C’est ce qu’a d’ailleurs martelé l’envoyée spéciale du SG de l’ONU dans la Région des Grands Lacs, Mary Robinson, à son arrivée à Kinshasa le 28 avril 2013, exigeant l’engagement ferme des signataires. Ainsi, l’envoi de la Brigade internationale de l’ONU est une application du principe de « la responsabilité de protéger ». Un principe dont l’idée maîtresse est que si la souveraineté donne le droit à un État de « contrôler » ses affaires intérieures, elle lui confère également la « responsabilité » principale de protéger sa population à l’intérieur de ses frontières. De la sorte, au cas où un État ne protégerait pas sa population (comme c’est le cas aujourd’hui pour le gouvernement congolais et ses FARDC), que cette responsabilité soit confiée à l’ensemble de la communauté internationale. Cette « responsabilité » peut parfois consister dans une guerre officiellement motivée par le secours d’une population victime d’agressions des groupes armés.

La mission confiée à la Brigade internationale de l’ONU de mener la guerre contre les forces négatives au nombre desquelles se retrouve le M23 est donc une belle illustration de l’application effective de cette nouvelle doctrine géopolitique des nations unies.

Ainsi, comme le souligne Gauthier de Villers (in « Conjonctures Congolaises 2012″ ; L’harmattan, Paris, 2013), sans l’implication et la responsabilisation d’acteurs congolais, on ne peut espérer un changement substantiel des dynamiques sociales et politiques. Or les espoirs que l’on avait mis au Congo… sont aujourd’hui retombés. On s’est rendu compte que les ONG, les Eglises, les syndicats (NDLR et même la communauté internationale dont la MONUSCO) n’échappent pas en règle générale à la logique patrimoniale et clientéliste qui régit le système sociopolitique congolais.

La résolution 2098 n’est-pas une première dans les annales des Nations Unies au Congo

En lisant la presse spécialisée et bon nombre d’analystes, c’est surprenant de constater que d’aucuns ont qualifié la résolution 2098 de première dans les annales des Nations unies. Il s’agit de faire preuve d’une amnésie historique ou d’une ignorance da la question Congolaise depuis 1960. En fouillant la genèse du Congo indépendant, on constatera que cette résolution ne constitue pas vraiment une première car c’est plus ou moins un remake, dans sa version light, de ce qui s’est passé entre 1960 et 1961 par les résolutions 161 et 169 du CS des Nations Unies qui ont actionné l’application de l’article 42 du chapitre 7 de la Charte des Nations Unies.

En effet, pour rappel, la Résolution 161 du Conseil de Sécurité, motivée par la demande d’intervention des autorités congolaises en vue de faire cesser « l’agression de la Belgique », en mettant l’ANC (Armée nationale Congolaise) sous assistance militaire de l’ONU. Une autre Résolution 169 du CS du 24 novembre 1961, adoptée avec les abstentions de la France et du Royaume-Uni, motive la mise sous tutelle de l’Armée congolaise non plus sur la demande d’intervention des autorités congolaises mais par le besoin urgent d’assister le Gouvernement central dans la restauration et le maintien de l’autorité de l’Etat: « to assist the Central Government of the Congo in the restauration and maintenance of low and order.» Ces deux résolutions ont permis aux contingentsdes Nations Uniesde se substituer, comme aujourd’hui, devant l’inexistence de l’Armée congolaise, à l’Etat congolais dans le rétablissement de l’intégrité territoriale par de véritables affrontements armés au Katanga Sécessionniste économiquement.

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