Alors que les massacres et les violences se poursuivent au Congo, l’analyste politique Jean-Pierre Mbelu décrypte le fonctionnement de la guerre en réseau, telle qu’elle se déroule au Congo, expose l’inutilité du débat autour des accords de Nairobi et explique pourquoi les congolais doivent «s’organiser en conscience ».
Sur le débat autour des accords de Nairobi avec le M23
Ce débat a un côté distrayant très prononcé. Il n’y a pas de M23, il s’agit d’une milice ougando-rwandaise qui agresse le Congo avec la complicité de certains membres de ce qu’on appelle la majorité présidentielle. Et il n’est pas étonnant que certains membres de cette majorité présidentielle essaient de défendre cet « accord de la honte ». De l’AFDL au M23, c’est la même stratégie utilisée par Museveni et Kagame. Ils créent des milices qu’ils envoient tuer et piller au Congo avec la complicité de leurs parrains, et eux s’enrichissent. Si nous poursuivons ce débat sur cet accord cela peut constituer un gaspillage de temps et d’énergie.
Sur le rôle de l’opposition politique au Congo
Qu’il arrive à cette opposition de contester ce qui se passe, elle est dans son rôle. Mais cette fameuse opposition fait partie du système qui avilie le Congo et précipite son implosion et sa balkanisation. Il y a des exceptions ici ou là, mais une bonne majorité de cette opposition fait le jeu des parrains de l’Ouganda et du Rwanda.
Sur la récente tournée de Kabila dans l’Est du Congo
Nos populations n’ont pas toujours la bonne information. Elles sont souvent désinformées et doivent faire face à des rhétoriques à fortes doses de propagande imbécilisante. Le pays n’est pas en paix, l’Est n’est pas en paix du tout. Il y a des informations viables qui montrent que nos populations y sont toujours victimes de massacres et assassinats perpétrés par les collaborateurs des milices rwando-ougandaises qui se sont retirés dans leurs pays respectifs.
Prêter trop d’attention à ce qui se passe à Kinshasa, c’est oublier, entre autres, que le porte-parole de ce gouvernement là vient d’un groupe créé par le Rwanda, qui s’appelle RCD. Mais comme nous tombons dans l’amnésie rapidement, nous croyons pouvoir faire œuvre utile en écoutant les balivernes que raconte ce monsieur là.
Kabila n’a aucun bénéfice politique à tirer de cette « victoire sur le M23 ». Il ne dirige pas le pays, il est dans un rôle de bouffon. C’est l’ONU avec M. Kobler qui dirigent le pays.
Sur le rôle des multinationales au Congo
Dans l’initiative public-privé signé à Kinshasa en novembre 2011, il y a environ 21 entreprises multinationales qui sont impliquées dans l’exploitation des ressources naturelles du Congo, au Katanga, les deux Kivu et en Ituri. Pour pouvoir exploiter au maximum ces ressources naturelles, Ces multinationales ont besoin de travailler avec Museveni, Kagamé et leurs alliés à Kinshasa pour que le Congo soit déstructuré, pour que les identités culturelles congolaises soient détruites, pour que le Congo devienne un Etat fantôme (qu’il est déjà devenu), pour que le Congo s’affaiblisse davantage de l’intérieur, pour que les divisions entre congolais et la haine entre congolais soient exacerbées. Ainsi, ces élites et leurs milices ougando-rwandaises peuvent poursuivre leur petit bonhomme de chemin.
Sur ce qui se passe au Congo
Ce qui se passe au Congo, c’est une prédation organisée par des élites néolibérales. Les élites néolibérales ne peuvent prospérer que là où elles sèment la mort, la violence et la désolation. Maintenant qu’elles sont en train d’appliquer des mesures d’austérité dans certains pays occidentaux, la situation est en train de devenir aussi pire qu’au Congo. Le même système qui a été appliqué longtemps dans notre pays est en train d’être appliqué aussi au Nord.
Le système sur lequel fonctionne notre pays aujourd’hui, comme il ne permet pas l’égalité des chances, comme il ne crée pas un pluralisme politique, ni un pluralisme médiatique, est un système violent qui ne peut que tuer et déplorer nos morts. Malheureusement nous nous limitons souvent dans nos analyses aux épiphénomènes, nous refusons d’aller au fond des choses pour questionner le système mis en place dans notre pays.
Il n’y a plus d’Etat au Congo. La guerre permanente entretenue au Congo a cassé l’Etat. Nous n’avons qu’un Etat fantôme.
Sur le rôle des minorités organisées
Le peuple doit pouvoir se dire qu’il faut qu’il prenne son destin en main. le peuple doit plaide lui-même sa cause, avec des minorités qui sont en train de monter. Ces minorités doivent s’organiser en conscience. Si on ne s’organise pas en conscience, si on ne donne pas de continuité à ses actions, si on ne planifie pas ce que l’on fait, on risque de tourner en rond.
Il est plus que temps, pour les minorités congolaises organisées en conscience, travaillent avec nos masses populaires, avec les médias alternatifs pour pouvoir remettre sur pied, un autre système.
Souvent, nous nous mentons à nous-mêmes quand nous estimons qu’il suffira demain de chasser ceux qui sont au pouvoir fantôche aujourd’hui pour que les choses changent. Nous devons nous insérer dans des processus qui promeuvent le changement sur le court, moyen et long terme. Et nous devons nous attacher à enrichir ces processus là. Si nous ne sortons pas du système de la mort actuel, pur pouvoir créer une autre matrice organisationnelle de notre société, nous n’irons pas de l’avant. Nous avons beau crier et vociférer, si le système ne change pas, rien ne bougera. Il y a un travail de fond à faire et ce travail doit être étendu au milieu de la culture, comme l’Ecole, comme les Eglises, comme les universités, comme les familles, comme les communautés de base de nos populations. Il faut éveiller la conscience de la prise en charge par nos populations par elles-mêmes.
Sur les guerres en réseau
Lorsque les élites dominantes mènent des guerres en réseau, elles nous font croire souvent qu’elles sont des guerres civiles, des guerres interéthniques, alors qu’il s’agit d”événements profonds, c’est à dire des événements fabriqués de toutes pièces impliquant la collaboration de certains gouvernements, leurs services secrets, leurs polices, leurs armées, leurs multinationales et ceux que l’on considère habituellement comme des criminels. C’est ce qui se passe dans notre pays.
Si nous n’analysons pas ce qui se passe autour de nous, nous rentrons dans le jeu de l’exacerbation de la haine entre nous, nous commençons à nous voir comme les autres nous voient, à force d’avoir des identités culturelles détruites, nous commençons à croire que nous ne valons plus rien et nous perdons jusqu’à la fierté d’être nous-mêmes. Nous tombons dans la résignation et la fatalité, et pourtant en étudiant ces guerres comme étant des événements profonds, on se rend compte que le pouvoir occulte et parallèle engagé dans ces guerres là tombe régulièrement dans le délire. Il lui arrive de confondre le désir de puissance et la réalité sur le terrain. Ainsi, si nous n’avons pas la maîtrise de ce mode opératoire, il nous sera difficile de lui proposer une contre-organisation.
Sur l’annulation du concert de JB Mpiana à Paris et sa résonance dans les diasporas congolaises
Les autorités françaises se sont rendus compte qu’il y a une force congolaise qui existe à l’extérieur du Congo et qui agit régulièrement en fonction des objectifs qu’elle se fixe. Ensuite, la résistance congolaise incarnée par les combattants semble être associée facilement au terrorisme. Il y a donc comme un effort déployé pour criminaliser les combattants et les résistants congolais. Le terrorisme devient un mot fourre-tout et tous les résistants contre les systèmes d’oppression et d’exploitation sont facilement associés au terrorisme.
C’est par le chant que le Congo a aussi réussi à mettre fin à al deuxième guerre du Rwanda et de l’Ouganda chez nous, après le début de la guerre du 2 août 1998. Il y a eu ce chant « Tokufa pona Congo ». Ceux qui se sont rendus compte à ce moment là que le chant était mobilisateur, ont essayé d’attirer plusieurs artistes musiciens congolais dans leur traquenard pour que leurs chants servent beaucoup plus à distraire les congolais qu’à les mobiliser pour une cause.
Sur Diomi Ndongala, Kutino et les autres prisonniers politiques
On ne met jamais fin aux jours des grands messieurs. Ils peuvent toujours rebondir. Ce sont des combattants de la liberté et on ne laisse pas les combattants de la liberté se pavaner dans les rues comme si de rien n’était. Les véritables politiciens ne courent pas les rues à Kinshasa. S’il en avait, on ne les laisserait pas prendre la parole en public comme certains essaient de nous le faire croire.