Par Jean-Pierre Mbelu
Nous avons attendu les images de Washington pour nous faire une idée sur les débats organisés par le NED et réunissant à une même table les acteurs politiques et ceux de la société civile congolaise. En consultant ces images, une référence (sur laquelle nous reviendrons dans un prochain article) nous est passée par la tête : la table ronde politique de Bruxelles. Elle a précédé la table ronde économique dont la qualité laissa à désirer. Espérons que la table ronde de Washington sera suivie d’une autre économique de meilleure qualité. Mais pourquoi nos acteurs politiques et sociaux ont-ils accepté d’aller se parler en ‘’gentlemen’’ trop loin de Kinshasa ? Ont-ils abordé des questions de fond ? Sous peine de nous tromper, en écoutant les uns et les autres, nous ne le pensons pas. Ils nous semblent avoir donné un mauvais signal. L’histoire pourra peut-être un jour démentir cette impression.
Il est un peu curieux que, pour que ‘’l’opposition politique, les forces sociales et la majorité présidentielle congolaises’’ puissent s’asseoir à une même table et discuter, il y ait Agence et un instrument de sédition « made in USA » pour jouer les médiations. Qu’est-ce que cela peut signifier ? Un besoin d’un arbitre impartial ou d’une tutelle permanente ? Un syndrome du larbin poussé à son extrême ? Un infantilisme qui ne peut se satisfaire que de l’intervention du ‘’pyromane-pompier’’ : ou tout cela à la fois ?
L’histoire pourra peut-être nous aider à répondre un jour à toutes ces questions. Il ne serait pas exclu que ‘’la classe politique et sociale’’ congolaise coachée par les Agences et instruments de sédition « made in USA » participe de la stratégie du ‘’chaos constructeur’’ anglo-saxon et de théâtraliser cela comme étant de la politique. Pour preuve. Il n’a presque pas été question de politique au Sommet USA-Afrique. Il y a été prioritairement question du business et de la guerre contre le terrorisme. Les USA ont soutenu qu’ils voudraient investir 37 milliards de dollars en Afrique. Quelle rigolade ? Divisons cette somme par le nombre de pays africains ayant participé à ce sommet. Rappelons que l’Afrique compte 54 pays (si nous y ajoutons le Sud-Soudan). 37 milliards divisés par 54 égalent combien ? De la poudre aux yeux !
Une Amérique en déclin et dangereuse
Il est aussi curieux qu’Obama qui, à travers son discours en Ghana, avait juré de travailler avec ‘’les institutions fortes ‘’ en Afrique et non ‘’avec les hommes forts’’, en ait accueillis et se soit fait photographier tout souriant avec eux ! Il y a là une preuve que les discours de bonne intention américains n’engagent que ceux qui y croient ! Même s’il n’appartient pas à Obama de créer des ‘’institutions fortes’’ en Afrique à la place des ‘’hommes forts’’. Hélas ! Cette Afrique, victime de la traite négrière et de la colonisation ‘’civilisatrice’’, a du connaître, à partir de la crise de sa dette des années 1980, les programmes d’ajustement structurel imposés par la Banque mondiale et le FMI, ces ‘’tueurs à gage économique made in USA’’ pour rembourser, plusieurs fois, une dette gravement odieuse, contractée par ‘’les hommes forts’’, amis de Washington ou partisans de la françafrique !
C’est-à-dire que pendant toute cette période incluse dans ‘’la guerre froide’’, des injonctions faites par le FMI et la Banque mondiale et les diktats de la France ont conduit à faire de l’Afrique la chasse gardée de ‘’la communauté occidentale’’ au point de la pousser à payer plusieurs fois sa dette odieuse extérieure. Les efforts de certains de ses fils et de certaines de ses filles pour demander des comptes aux dinosaures jouissant du soutien de ‘’la communauté occidentale’’ à travers ‘’les conférences nationales souveraines’’ ont été anéantis par ‘’la fin de l’histoire’’. A la chute du mur de Berlin, ‘’la communauté occidentale’’, aidée par ses têtes pensantes dont Francis Fukuyama, à décréter ‘’la fin de l’histoire’’ ; c’est-à-dire la fin du monde bipolaire et le règne sans partage de ‘’la démocratie libérale’’. Ce ‘’nouveau désordre mondial’’[1] a produit plusieurs guerres.
Toujours au nom de la démocratie et de la liberté ! Au nom de la démocratie et de la liberté, ‘’une seule guerre est menée sur tous les continents’’[2]. Et ‘’la communauté occidentale’’ est soumise à un seule et même acteur majeur sur le déclin ! Et se sachant à son crépuscule, il devient très dangereux. Il est prêt à tous les coups pourvu qu’il diffère de quelques mois ou de quelques années ce déclin. Dans ce contexte, il estime qu’il peut, sous ‘’fausse bannière’’, rouler toute l’Afrique dans la farine avec ses 37 milliards et sa guerre contre ‘’le terrorisme’’ !
Le cas du Congo nous semble gravissime
Finalement, qu’est-ce que cela signifie profondément ? L’Afrique va davantage servir de réservoir de matières premières à ‘’la communauté occidentale’’ avec la complicité de ses fils et filles, ‘’les jeunes leaders de l’Afrique de demain formés à Washington et aînés opérant à partir du continent et coptés par le NED, le NDI, l’USAID, l’Open Society, etc. Ces négriers de service recrutés par ces Agences et instruments de sédition « made in USA » vont, à leur retour dans leurs pays respectifs, à quelques exceptions près, soutenir la guerre contre ‘’le terrorisme’’. Ils vont faire semblant d’oublier que ‘’ces terroristes’’ sont nourris et armés par ‘’la communauté occidentale’’ qui a détruit l’Irak, l’Afghanistan, la Syrie, la Libye, la Somalie et diviser le Soudan. Au nom de la guerre contre ‘’le terrorisme’’, ils vont soutenir le ‘’chaos constructeur’’. C’est-à-dire ‘’la destruction créatrice’’ du ‘’nouveau désordre africain’’ moyennant quelques postes de ‘’pouvoir’’. Ils seront des Présidents, des Ministres et des Députés des Institutions tournant à vide. En d’autres mots, ils seront de simples commissionnaires de ‘’chasseurs de matières premières’’.
Le cas du Congo nous semble gravissime. De Malumalu jusqu’aux derniers politiciens et acteurs de la société civile qui sont passés dernièrement à Washington, tous ont été encadrés par le NED travaillant en collaboration avec le NDI et l’USAID, des supplétifs de la CIA. Nous pouvons nous tromper. Néanmoins, ‘’le théâtre’’ organisé durant ces derniers jours par le NED semble nous convaincre davantage qu’il n’y a pas grand-chose à attendre de ces compatriotes. Leur retour au pays va assurer la suite de ce ‘’théâtre’’ : convaincre faussement les Congolais(es) qu’ils sont à leur service.
Faux ! A quelques rares exceptions, plusieurs sont au service de ‘’la communauté occidentale’’ dont ‘’le mythe fondateur est la barbarie raciste’’[3]. (Nous ne confondons pas ‘’la communauté occidentale et les peuples habitants les pays européens et américains. ‘’L’Occident’’ est ici synonyme du 1% d’oligarques d’argent arrogant et niant l’humanité des autres races.)
Fort de ce mythe fondateur ce 1% détruit les pays, les peuples et leurs cultures. Il soutient le sionisme sa guerre d’extermination des Palestiniens comme il a soutenu Museveni et Kagame dans la destruction des ‘’bantous’’ en Afrique des Grands Lacs.
Un projet de création d’un ‘’Etat anglo-saxon off shore’’ en Afrique de l’Est
Tenez. Ce n’est pas un hasard que Louise Mushikiwabo ait rendu visite à Israël pendant qu’il travaillait à l’effacement de l’humanité des Palestiniens. Louis Mushikiwabo comme Paul Kagame et Kaguta Museveni participent du projet de la création d’un ‘’Etat anglo-saxon off shore’’ en Afrique de l’Est. Un livre publié il y a quelques mois en témoigne. Il s’agit du livre de Noël Ndanyuzwe intitulé ‘’La guerre mondiale africaine : la conspiration anglo-américaine pour un génocide au Rwanda. Enquête dans les archives secrètes de l’armée nationale ougandaise’’. Cette enquête révèle que Museveni a accepté de jouer le rôle d’Hitler dans cette guerre d’épuration raciste pour la conquête des ‘’mines du roi Salomon’’ se situant dans ‘’le scandale géologique’’. Il a servi et sert encore l’idéologie de la judaïsation des tutsis pour des intérêts purement et simplement économico-financiers : faire main basse sur les richesses stratégiques des pays des Grands Lacs et de toute l’Afrique de l’Est; arriver à contrôler l’Océan Indien.
C’est symptomatique qu’un petit pays de la corne de l’Afrique, l’Erythrée, essayant de résister à ce projet, soit sous les feux croisés anglo-saxons. Mais cela ne l’a pas empêché de comprendre, après 30 ans de résistance, qu’il est possible d’assurer sa souveraineté politique et économique sans l’Occident.
Le livre susmentionné peut être approfondi à la lecture d’un article récent retraçant l’histoire de la naissance d’Israël et des USA[4]. Il révèle entre autre qu’avant de choisir de l’implanter en Palestine, les créateurs d’Israël avaient pensé à le faire en Ouganda ou Argentine. Ce dernier pays appartenait à ‘’l’arrière-cour’’ US selon la doctrine Monroé.
Petit à petit, avec ses gouvernements progressistes, l’Amérique latine est en train de rompre avec cette doctrine. Certaines pays asiatiques sur lequel ‘’l’empire global’’ finissant comptait pour l’expansion de son ‘’Grand Domaine’’ se rapprochent de plus en plus de la Chine et de la Russie à travers l’Organisation de la Coopération du Shanghai. L’Inde, le Pakistan, l’Iran et la Mongolie ont été dernièrement acceptés comme observateurs de cette Organisation. Ils tiennent à défendre leurs intérêts et leur souveraineté en échappant à la dureté de la politique néolibérale atlantiste. L’ONU dominée par les intérêts US et ceux des multinationales n’arrive presque pas à imposer le respect du droit international. Ses casques bleus assurent ‘’la stabilité’’ des zones où les intérêts de ceux qui les paient sont en jeu. La Chine a compris le jeu et essaie d’envoyer ses propres soldats pour qu’ils soient des casques bleus dans ces zones au point de conduire certains analystes politiques à parler d’une nouvelle ‘’guerre froide’’ entre ‘’l’empire du milieu’’ et le pays de l’Oncle Sam en Afrique[5].
En quelque sorte, en dehors de l’Europe, cette politique n’a plus que l’Afrique dans sa ligne de mire. Avoir un ‘’Etat Off shore’’ anglo-saxon ferait son affaire.
Là où l’ Erythrée a réussi, la RDC peut aussi réussir
A nos yeux, donc, la visite de Louise Mushikiwabo en Israël est à prendre au sérieux pour la suite des évènements en RDC. Déjà, ‘’les experts rwandais et congolais’’ s’y rencontrent pour plancher sur la révision des frontières héritées de la colonisation. La Banque mondiale est prête à y financer les travaux d’électrification. Et le dernier passage des acteurs politiques et sociaux à Washington n’est pas de nature à apaiser les esprits. Du moins, le nôtre.
Il ne serait pas exclu que la guerre contre les FDLR ou le Boko Haram (qui est déjà au Cameroun) relance les hostilités en vue d’éradiquer ‘’le terrorisme’’. C’est-à-dire de créer un chaos permettant la poursuite de la prédation transnationale des ressources stratégiques du pays et de toute la région.
Avoir tous ces scénarios en tête pourrait aider à passer au crible de la critique le discours des acteurs politiques et sociaux actuels au pays. A Washington, ils se sont parlé en ‘’amis’’ ; ils se sont rencontrés dans les couloirs du bâtiment du NED. Ils ont présenté un front commun des agents du statu quo. Ils sont d’accord sur l’alternance au pouvoir. Ils veulent qu’il y ait un changement cosmétique de certains acteurs institutionnels dans un même système néolibéral géré par les élites dominantes anglo-saxonnes et leurs négriers des temps modernes. Sous peine de nous tromper, nous n’avons pas senti, dans les propos des uns et des autres, un véritable désir de lutter pour l’émancipation politique et la souveraineté du Congo. Il est possible qu’ils aient réservé ces questions-ci au débat public au pays. Qui vivra verra. Au vu de ce spectacle, il serait intéressant qu’un grand mouvement unifiant et résistant pouvant présenter une alternative sociale, politique, économique, culturelle, spirituelle et environnementale pense à se mettre d’urgence en place en RDC. Par mesure de prudence. Cela étant, nous ne devrions pas tomber dans la paranoïa.
Si ‘’l’empire global’’ sur le déclin a perdu son ‘’arrière-cour’’ en Amérique latine ; s’il est en train de perdre quelques pays asiatiques et même africains, c’est signe que se soumettre à son expansion n’est pas une fatalité. L’Erythrée résiste[6]. Sa résistance a pris plus ou moins 30 ans. Comme si, ce petit pays avait compris après Mao qu’il pouvait aller de ‘’défaite en défaite jusqu’à la victoire finale’’ ! C’est vrai ! Il n’y a pas de fatalité. Une bonne et sérieuse analyse des causes de la misère anthropologique congolaise menée par des ‘’minorités organisées et agissantes’’ en union avec des masses populaires peut conduire à la mise sur pied de ce grand mouvement unifiant et résistant. Sur le moyen terme. Un mouvement unifiant et résistant ayant une matrice organisationnelle sociale (fondée sur la coopération et la solidarité), luttant contre toute forme de haine donnant le blanc seing à la politique du ‘’diviser pour régner’’ et ayant quelques mots d’ordre tels que la protection des terres congolaises, la souveraineté politique et économique, le panafricanisme des peuples, le respect de la dignité humaine, etc. Là où l’ Erythrée a réussi, la RDC peut aussi réussir.