L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu attire notre attention sur l’ambiguïté de la CENCO (Conférence épiscopale nationale du Congo) dans son implication dans le processus électoral biaisé, souligne l’importance de la formation permanente pour les acteurs politiques et activistes de la société civile et explique pourquoi les partis politiques congolais doivent devenir des partis de masse, par opposition aux partis de bains de foule.
Sur la CENCO, l’Eglise et la mobilisation politique des chrétiens
Là où de la part de la hiérarchie, il n’y a pas suffisamment d’audace ni d’engagement fort, il est temps, après plus d’un siècle d’évangélisation de notre pays, qu’il y ait des chrétiens à même de s’assumer sans nécessairement chercher à reproduire certaines erreurs que pourraient commettre leurs pasteurs. Il ne faudrait pas qu’il n’y ait que des pasteurs qui éclairent les chrétiens. Les chrétiens peuvent aussi entre eux, au nom de leur foi, au nom de leur engagement chrétien, s’éclairer mutuellement. Cela d’autant plus qu’il y a des groupes de chrétiens organisés. Nous ne devons pas réduire l’Eglise à l’unique hiérarchie qui décide à partir de la CENCO.
Il y a une certaine ambiguïté que nos évêques n’arrivent pas à dépasser. Comment voulez-vous que ce processus électoral mal engagé puisse aboutir à des résultats escomptés ? Comment pouvez-vous demander aux pyromanes (de la CENI et du gouvernement) d’être en même temps les pompiers ?
Tout au long de son histoire, les grands changements de l’église catholique ont été initiés par la base. Les évêques devraient donc rester à l’écoute de la base, de tous ces chrétiens qui sont engagés dans le processus électoral biaisé et qui cherche à sauver, tant soit peu, les meubles.
Sur la coalition politique « sauvons le Congo »
Il semblerait qu’il s’agisse toujours des mêmes acteurs, faisant partie de la nomenklatura, qui essaient de s’agiter au sein d’un même système. Martin Fayulu prend cette initiative de « Sauvons le Congo », au sein d’un système qui corrompt les députés. Dans un pays où les salaires des enseignants ne sont pas versés, les députés comme Martin Fayulu touchent 13000 dollars par mois. C’est scandaleux.
Comment croire que ces députés, qui ne se soucient presque pas de ceux qu’ils prétendent être leurs bases, puissent s’engager dans une démarche qui aille dans le sens de rompre avec le système ?
Agir au sein d’un système qui ne prend jamais en considération les besoins des populations à base et croire pouvoir transformer ce système là à partir d’un processus électoral biaisé n’a pas vraiment de sens. Les pétitions vont-elles arrêter la machine ? Non…
Quelles sont donc les propositions alternatives qui conduiraient à la remise à plat de tout le processus tel qu’il est mené aujourd’hui au Congo pour refonder le pays sur des nouvelles bases?
On ne peut pas transformer ce système de l’intérieur.
Sur les relations entre les politiques et le peuple
On ne va vers le peuple que pour l’aider à signer des pétitions. Est-ce qu’il ne serait pas bon d’aller un peu plus loin ? C’est-à-dire, aller d’abord vers ce peuple pour entretenir des contacts permanent avec lui, connaître ses besoins, le transformer petit à petit, en une masse critique, capable de plaider elle-même.
Le système de représentation actuel semble dépassé. Ce sont ceux qui estiment être les représentants du peuple qui vont, avec une pétition, voir le peuple pour qu’il la signe. Quand le peuple a signé, que se passe-t-il par la suite ? Est-ce que le contact avec le peuple est maintenu ou est-ce que c’est un contact ponctuel ? On va vers le peuple parce que les élections pourraient avoir lieu en 2006. Après 2016, il n’y a plus de lieu de rencontres et d’échanges approfondies avec le peuple. On va attendre peut-être 2020, une année avant les prochaines élections pour pouvoir retourner vers ce peuple. Cet exercice est promoteur d’un régime représentatif déphasé qui ne tient pas compte de l’avancement de certains pays, qui par exemple ne jurent plus que par la démocratie participative. Une démocratie participe qui exigerait un va et vient permanent entre les représentants du peuple et la rue, mais aussi un va et vient qui conduisent à créer de masses populaires critiques capables d’orienter l’histoire, avec l’appui de leurs représentants.
Au lieu que les représentants du peuple puissent constituer une hiérarchie en marge du peuple, il faudrait que ces représentants se muent en élites organiques qui travaillent comme le levain dans la pâte du peuple.
Sur l’Etat manqué et les libertés fondamentales
Le Congo est un Etat manqué. Et l’une des caractéristiques d’un Etat manqué est d’avoir des structures formelles vides de contenus. C’est aussi d’avoir un double ou triple discours. Une autre caractéristique d’un Etat manqué est d’entretenir la violence et l’insécurité parce qu’il est incapable de protéger. Vous vous imaginez qu’on puisse bastonner les gens, lancer des bombes lacrymogènes et tirer sur des populations parce qu’elles commettent le péché d’aller accueillir leurs représentants. C’est une folie entretenue par ces pyromanes qui entretiennent l’Etat manqué au Congo.
Vouloir croire qu’avec ces pyromanes, on va créer une république, c’est perdre son temps inutilement.
Sur la différence entre un parti de masse et parti de bains de foule
La réflexion est indispensable à la marche de tous les groupes humains. Quand on est membre d’un parti politique, quand on est membre d’une organisation de la société civile, on doit pouvoir se former en permanence, parce que la connaissance aiguise la conscience.
Ensuite, les rencontres et les séminaires, c’est bien. Mais ces rencontres et séminaires doivent pouvoir se réaliser en synergie avec ceux qui sont au pays mais surtout avec les masses populaires. Les partis politiques congolais devraient comprendre qu’ils doivent de plus en plus devenir des partis de masse et non des partis de bains de foule.
Les partis de bains de foule sont ces partis qui attendent les moments cruciaux pour mobiliser leurs membres afin que ces derniers applaudissent les têtes d’affiche des partis. Mais les foules peuvent à tout moment se retourner contre vous, si, après avoir applaudi, vous n’apportez pas ce qu’ils attendent de vous. Or le parti de masse est celui qui a réussi par l’éducation, la conscientisation et la connaissance, la lutte contre l’ignorance et la méconnaissance, à intégrer dans les structures de son fonctionnement les besoins majeurs et essentiels des masses : Un parti qui a réussi, avec les masses, à se mettre debout, et à faire de ses représentants des élites organiques.
Ce qui est vrai pour les politiques, l’est aussi pour les organisations de la société civiles.
Il faut que nos populations, à partir de la base, aient une dignité. Une dignité que procure le travail, une dignité que procure la santé…
Sur la situation de la femme congolaise
Dans le documentaire, les larmes de guerre, le docteur Mukwege dit, entre autres, ceci : eux soignent les femmes à l’hôpital, mais la cause fondamentale qui fait que ces femmes puissent être violées et tuées est politique. Tous les beaux discours que nous entendons depuis 1996 n’ont servi à rien. Nous n’avons pas besoin d’entendre des incantations supplémentaires. Kabila et sa bande ont montré sur toute la ligne qu’ils ne sont pas venus aider la femme congolaise. Ils sont arrivés au Congo pour tuer la femme congolaise comme l’unique recours de l’homme congolais.
Avec les programmes d’ajustements structurels dans les années 1980, la femme congolaise était devenue la responsable de la famille. Et ceux qui ont décidé d’exterminer le peuple congolais ont utilisé le viol comme arme de guerre. Le viol s’est étendu sur tout notre territoire.
La femme congolaise a été tellement chosifié, sa pauvreté et sa misère ont atteint des proportions telles que la plupart d’entre elles ne savent plus à quel saint se vouer. Sans la fermeture de la parenthèse ouverte par la fausse guerre de libération de 1996, sans une justice réparatrice de tous les torts causés à la femme congolaise, il sera difficile de travailler à l’avènement de la dignité de la femme congolaise. Il faudrait que tous les violeurs et toutes les entreprises impliquées dans cette guerre qui se sert du viol comme arme soient traduits en justice et que les torts puissent être réparés.