Par Jean-Pierre Mbelu, analyste politique.
Il arrive que la réalité nous soumette à un difficile désapprentissage auxquels résistent des cœurs et des esprits « mangés » par certains dogmes et esclaves des « missionnaires » du capitalisme sauvage. Dans un monde de plus en plus polycentré, la résistance de l’ancien bloc de l’Ouest contre le multilatéralisme peut se cacher sous la rhétorique sur la francophonie, la défense des « valeurs démocratiques » et les droits de l’homme. Vigilance oblige !
Au mois de juin 2012, nous publiions un article intitulé « La RD Congo et la francophonie. La France d’un François à un autre ». Cet article commentait, entre autres, un extrait d’une interview de l’épouse de François Mitterrand accordée à Hernando Calvo Ospina, un journaliste colombien réfugié en France, le 28 octobre 2008. Dans cette interview intitulée « Danielle Mitterrand : La démocratie n’existe ni aux USA, ni en France », l’épouse de François Mitterrand confie ceci au journaliste : « Mai 1981 fut un mois de grande activité, car c’était la préparation de l’arrivée au pouvoir de François. J’essayais d’apporter tout ce qu’il y a de meilleur en moi, pour que ces rêves d’avoir une société socialiste, quoique à l’européenne, deviennent réalité. Mais bien vite, j’ai commencé à voir que cette France juste et équitable ne pouvait pas s’établir. Alors je lui demandais à François : Pourquoi maintenant que tu en as le pouvoir ne fais-tu pas ce que tu avais offert ? Il me répondait qu’il n’avait pas le pouvoir d’affronter la Banque mondiale, le capitalisme, le néolibéralisme. Qu’il avait gagné un gouvernement mais non pas le pouvoir. » Et voici ce que Danielle Mitterrand a appris du passage de son époux à la présidence française : « J’appris ainsi, dit-elle, que d’être le gouvernement, être président ne sert pas à grand-chose dans ces sociétés sujettes, soumises au capitalisme. » Dans notre article susmentionné, nous défendions l’hypothèse selon laquelle, d’un François Mitterrand à François Hollande, rien ou presque rien n’avait changé.
Notre hypothèse partait des faits de l’expérience quotidienne et de deux sources suffisamment documentées historiquement. Il s’agissait du livre de Christophe Deloire et Christophe Dubois intitulé « Circus politicus » (Paris, Albin Michel, 2012) et de celui du philosophe français Alain Badiou intitulé « Sarkozy : pire que prévu. Les autres : prévoir le pire » (Paris, Lignes, 2012). (De plus en plus, les Français déchantent après l’élection du « président normal ». Il va bientôt signer le traiter européen sur l’équilibre budgétaire. Il ne saura rien faire contre la troïka (la Banque centrele européenne, la Commission européenne et le FMI.)
Certains compatriotes ayant écouté le discours de campagne de François Hollande à l’élection présidentielle doivent avoir cru qu’une fois aux affaires, « le président normal » aura et le pouvoir et le gouvernement. Ainsi pourra-t-il défendre, à travers le monde, la démocratie et les droits de l’homme. Il pourra, chez nous, avant d’accepter que le sommet de la francophonie se tienne, exiger et obtenir que le procès de Chebeya soit mené de manière équitable et que la Commission Electorale Indépendante soit revue de fond en comble de façon que la suite du processus électoral se poursuive sans anicroche.
Il y a, dans cette façon de réfléchir, une bonne dose d’aliénation et une invitation à une violation flagrante du principe d’autonomie propre aux Etats souverains. Cette façon de réfléchir peut être un témoignage des dégâts causés dans les esprits de plusieurs d’entre nous par leur foi dans « les valeurs » dont « les vieilles démocraties occidentales » seraient les garantes. Ces compatriotes seraient, comme bien des occidentaux, victimes du « dogme de l’infaillibilité démocratique ». Ils seraient aveugles face à « l’instrumentalisation par l’Occident du terrorisme islamique à l’origine du chaos politique, économique, social et humanitaire » dans les pays comme la Libye et la Syrie. « D’après ce dogme, la démocratie occidentale ne peut jamais mal agir. Toutes ces actions sont empruntes d’une sorte de grâce qui transforme un crime en acte héroïque, une guerre de conquête des ressources naturelles d’un pays en une épopée pour la liberté, l’asservissement de population au libéralisme le plus dur en libération des peuples opprimés, un vote contrôlé en expression de la volonté populaire (Irak, Soudan, Libye). »
Le poids de l’ignorance et de l’hégémonie culturelle occidentale a fini par « manger » plusieurs cœurs et plusieurs esprits chez nous (comme en Occident) au point de les rendre esclaves de ce dogme (et de ses missionnaires) avec toutes les conséquences qui en découlent, dont l’incapacité de se laisser questionner par les faits de la réalité quotidienne.
En bon « missionnaire » du dogme de l’infaillibilité démocratique et en bonne « petite main du capital », François Hollande ira au Congo malgré le chaos qui y sévit. Pourquoi ? Parce que lui et ses alliés participent de la montée du capitalisme du désastre et ils ont intérêt à lui trouver des marchés dans les pays à Etat affaibli comme le Congo dit abusivement démocratique. « En effet, écrit Amar Djerrad, dans les désordres économiques et moraux actuels que traverse le monde et, plus particulièrement le Grand Capital, avec ses crises structurelles dues à la rapine et à la spéculation comme devant l’impasse à trouver des solutions adéquates (…), on croit avoir trouver une issue en faisant supporter ses crises, récurrentes et sauvages, aux pays faibles militairement mais riches en matières premières en s’employant à les spolier par la force des armes sinon en suscitant le désordre pour mieux recomposer et asseoir son hégémonie. » (A. DJERRAD, La Syrie, théâtre ‘décisif’ de lutte des Grands. Vers le fin de l’unilatéralisme par l’échec du stratagème « Nouveau Moyen-Orient » ?, dans www.legrandsoir.info du 07 août 2012)
Le sommet de la francophonie aura lieu à Kinshasa à une période très critique de notre histoire collective : l’infiltration de nos structures et institutions étatiques par les membres du réseau transnational de prédation les a terriblement affaiblies. Nous avons un besoin urgent de refonder l’Etat dans un espace vital où les rapports de force nous sont défavorables. La question de l’organisation de nos minorités pensantes et agissantes, de nos différents fronts de lutte et de résistance mérite une attention particulière. Tout comme celle de nous situer efficacement géopolitiquement et géostratégiquement. Des mémos à François Hollande et/ou à Barack Obama ne changeront rien à la dure réalité que nous connaissons. Nous sommes en plein dans un processus violent de recolonisation de l’Afrique par l’ancien bloc de l’Ouest dans un monde devenu polycentré. Nous pouvons travailler sur le temps et séduire la chance afin qu’avec d’autres pays africains, nous puissions opérer des ruptures salvatrices pour nos populations. Et les grandes ruptures adviennent au bout d’âpres et persévérantes luttes au cours desquelles coulent les larmes et le sang .
Mbelu Babanya Kabudi