• IDEES & RESSOURCES POUR REINVENTER LE CONGO

La force africaine neutre sous mandat de la Monusco

La force africaine neutre sous mandat de la Monusco

La force africaine neutre sous mandat de la Monusco IN

Par Jean-Pierre Mbelu

Souvent, placés face à la peste et au choléra, nous avons tendance à choisir « la moindre maladie » en méconnaissance de cause. Des patriotes fiers de leur dignité ne choisissent pas entre deux maladies : ils acceptent de mourir debout. Revisiter notre histoire peut nous permettre de questionner la pertinence des interventions de ces acteurs africains et internationaux dans notre pays pendant que « les meneurs secrets » de la guerre de basse intensité qui sévit chez nous évitent de dialoguer.

Selon les informations données par Xinhuanet du 25 janvier 2013, les chefs d’Etat –major des pays de l’Afrique australe et des Grands Lacs réunis le week-end passé recommandaient le remplacement de la Monusco par les forces africaines. Ce jeudi, 29 janvier 2013, le journal Le Potentiel publie un article intitulé « la force neutre à déployer à l’est de la RDC placée sous mandat de la Monusco ». Cette option semble être un rejet de la recommandation des chefs d’Etat-major des pays de l’Afrique australe et des Grands Lacs ou plutôt une solution médiane. A quoi peut-elle servir ? Y a-t-il déjà eu une solution semblable au Congo ? Nous doutons fort que cette force réponde aux attentes fondamentales des Congolais(es) : elle ne va pas s’interposer entre les Congolais(es) et leurs véritables agresseurs.

Relisons notre histoire. Il est important de rappeler que pour lutter contre l’agression extérieure subie par notre pays sept jour après son accession à l’indépendance, notre premier ministre, Patrice-Emery Lumumba avait dû faire appel à l’intervention de l’ONU. Et cette instance internationale avait pu utiliser, entre autres, des casques bleus venus d’un pays ami au nôtre, le Ghana.

Dans un article publié dans Afrique-Action, numéro 19, du 29 février 1961, Frantz Fanon met cet appel sur le compte des erreurs commises par Patrice-Emery Lumumba. A son avis, « il fallait bien sûr envoyer des troupes à Lumumba, mais pas dans le cadre de l’ONU. Directement. De pays ami à pays ami. »[1] Pour n’avoir pas fait cette option, Lumumba ne verra pas les fruits de cette « intervention internationale » : la désagrégation du Congo qui va s’en suivre sera lue par Frantz Fanon comme « une défaite morale historique » des troupes africaines au Congo. « L’arme au pied, elles ont assisté sans réagir (parce que troupes de l’ONU) à la désagrégation d’un Etat et d’une nation que l’Afrique entière avait salués et chantés. Une honte. [2]» A lire Frantz Fanon, il ressort que les questions essentielles posées par l’agression extérieure du Congo et les sécessions intérieures ainsi que par « la faiblesse de l’ONU » à les mater n’avaient pas étaient étudiées en profondeur. Lumumba constituait une menace pour les intérêts des capitalistes Belges et pour les autres colonialistes occidentaux. « Dans leur tâche, les Belges étaient aidés par les autorités de la Fédération Rhodésie-Nyassaland. On sait aujourd’hui, et M. Hammarskjoeld mieux que quiconque, qu’avant le 30 juin 1960, un pont aérien Salisbury-Elizabethville alimentait le Katanga en armes. Lumumba avait certain jour proclamé que la libération du Congo serait la première phase de la complète indépendance de l’Afrique centrale et méridionale et il avait très précisément fixé ses prochains objectifs : soutien des mouvements nationalistes en Rhodésie, en Angola, en Afrique du Sud. [3]» Etre courageux et avoir une approche lucide de ses objectifs faisait de Lumumba un danger permanent pour les capitalistes et les impérialistes. Mais aussi pour les gouvernements africains fantoches.

Dans ce contexte, appeler l’ONU au secours fut une erreur fatale. Pourquoi ? « Il ne fallait pas faire appel à l’ONU, écrit Frantz Fanon. L’ONU n’a jamais été capable de régler valablement un seul des problèmes posés à la conscience de l’homme et chaque fois qu’elle est intervenue, c’était pour venir concrètement au secours de la puissance colonialiste du pays oppresseur.[4] »

La situation aurait-elle changé plusieurs décennies après l’assassinat de Patrice-Emery Lumumba ? Pas beaucoup. Il est un fait que ses experts ont permis que notre pays soit doté de plusieurs rapports sur « le génocide silencieux » qu’il connaît et sur les multinationales qui y sont impliquées. Mais elle n’est pas encore devenue « une incarnation de ce que la force peut être jugulée par le droit ? Y croire serait nous faire illusion. Aux yeux de Tzevetan Todorov, « il faudrait d’abord, pour renoncer à cette illusion, se rappeler qu’à la base de l’ONU se trouve un choix que ne fonde aucun droit, à savoir l’octroi du « droit de veto » aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité. [5]» Ce droit de veto les mets au-dessus de la mêlée au point de ne pas sentir peser sur eux les obligations imposées aux autres par cet organisme. Or, il se trouve, qu’au moins deux de ces membres permanents du Conseil de sécurité sont les « meneurs secrets » de la guerre de basse intensité sévissant au Congo (RD). « Loin, donc, de restreindre l’hégémonie des grandes puissances, l’organisation mondiale la consacre.[6] » Du point de vue du droit, en 1961, Frantz Fanon disait déjà mieux les choses quand l’ONU donnait l’impression d’avoir échoué à chasser les agresseurs de notre pays. Pour lui, « il n’est pas vrai de dire que l’ONU échoue parce que les causes sont difficiles. En réalité, l’ONU est la carte juridique qu’utilisent les intérêts impérialistes quand la carte de la force brute échoue. Les partages, les commissions mixtes contrôlées, les mises sous tutelle sont des moyens légaux internationaux de torturer, de briser la volonté d’indépendance, des progrès, de cultiver l’anarchie, le banditisme et la misère.[7] » Mettre la force africaine neutre à l’est de notre pays – encore faudrait-il prouver cette neutralité- sous le mandat de la Monusco nous semble être une façon de rééditer « la défaite morale historique » des années 60.

Que faire alors ? Répondre positivement à la recommandation des chefs d’Etat-major des pays de l’Afrique Australe et de ceux des Grands-Lacs, c’est sombrer dans l’amnésie en faisant comme si les armées et les entreprises multinationales opérant à partir de ces pays n’intervenaient pas dans le pillage de nos matières premières stratégiques. Et puis, la mission qui leur est confiée est floue : combattre toutes « les forces négatives » opérant à l’est de notre pays. Cette mission exclut le fait qu’il y ait, à l’est de notre pays, des Congolais résistant au « nouveau désordre mondial » entretenu par l’impérialisme et le néocolonialisme avec leurs moyens du bord. Si elle réussit, elle va légitimer « un pouvoir fantoche » de Kinshasa issu des élections chaotiques de novembre et décembre 2011.

Que faire ? Poursuivre différemment la lutte en restant attentifs à l’application des solutions proposées. Que signifie poursuivre la lutte autrement ? C’est sortir patriotiquement des chemins battus par les impérialistes et les néocolonialistes et leurs hommes et femmes liges pour tracer notre propre voie en marchant. Comment ? Il appartient à nos masses populaires, aux minorités organisées et agissantes de créer, d’imaginer et d’inventer, au quotidien, les modalités pratiques de cette lutte en capitalisant les options citoyennes ayant déjà fait leurs preuves dans l’histoire que nous essayons de réécrire avec notre sueur et notre sang.

Souvent, placés face à la peste et au choléra, nous avons tendance à choisir « la moindre maladie » en méconnaissance de cause. Des patriotes fiers de leur dignité ne choisissent pas entre deux maladies : ils acceptent de mourir debout. Revisiter notre histoire peut nous permettre de questionner la pertinence des interventions de ces acteurs africains et internationaux dans notre pays. L’ONU dans sa structure actuelle n’a plus de crédibilité. A la suite d’Hubert Védrine, nous estimons que dans un monde de plus en plus polycentré, il est indispensable de « concevoir une réforme de l’ONU qui redonnerait à l’organisation légitimité, crédibilité et efficacité [8]» ; elle doit s’ouvrir au multilatéralisme.

Et l’Afrique dans tout ça ? Elle est encore très faible. Elle n’a pas encore réussi à effectuer des changements institutionnels allant dans le sens du panafricanisme des peuples et pouvant lui permettre de parler d’une seule voix face aux acteurs pléniers soufflant le chaud et le froid dans notre pays. Les USA ont installé sur notre continent l’Africom afin qu’il leur permette de contrôler l’accès aux matières premières stratégiques. La France s’y maintient avec ses bases militaires et sa guerre françafricaine du Mali (après la Libye et la Côte d’Ivoire). Sans une unité panafricaine efficace et capable de protéger la souveraineté politique, économique et culturelle des pays qui le compose, il lui sera très difficile de compter dans le concert des continents demain.

L’Amérique Latine, sous l’instigation d’Hugo Chavez, a mis sur pied une Celac (Communauté des Etats Latino-Américaines et des Caraïbes) considérée aujourd’hui comme partenaire de dialogue de l’UE. (Elles ont eu un sommet le samedi 26 janvier 2013.) Elle y est arrivée sans l’aide des USA et du Canada. Nous aussi, nous pouvons y arriver. Oui, nous pouvons y arriver. Pourvu que nous puissions avoir nos « Hugo Chavez » …

 

Mbelu Babanya Kabudi


[1] F. FANON, Œuvres, Paris, La Découverte, p. 877.

[2] Ibidem

[3] Ibidem, 875.

[4] Ibidem

[5] T. TODOROV, Le nouveau désordre mondial. Réflexions d’un Européen, Paris, Robert Laffont, 2003, p. 67.

[6] Ibidem.

[7] F. FANON, O. C.

[8] H. VEDRINE, Le temps des chimères. Articles, préfaces et conférences ( 2003-2009), Paris, Fayard, 2009.

 

INGETA.

REINVENTONS

LE CONGO

Informer. Inspirer. Impacter.

Notre travail consiste à :
Développer un laboratoire d’idées sur le passé, présent et futur du Congo-Kinshasa.

Proposer un lieu unique de décryptage, de discussion et de diffusion des réalités et perspectives du Congo-Kinshasa.

Aiguiser l’esprit critique et vulgariser les informations sur les enjeux du Congo, à travers une variété de supports et de contenus (analyses, entretiens, vidéos, verbatims, campagnes, livres, journal).