Dans une intervention ferme et déterminée, John Kerry renvoie le Rwanda et le Congo dos à dos et appelle tous les acteurs de la région au respect de l’accord-cadre.
Aux uns, il invite toute cessation au soutien aux groupes rebelles (M23) et au respect de l’intégrité territoriale du Congo. Aux autres, il invite à la non collaboration avec les forces négatives (FDLR), la lutte contre l’impunité face aux violations des droits de l’homme et la poursuite des réformes des services de sécurité. Un message équilibré où chaque pays a eu pour son compte et est à la fois gagnant et perdant selon les interprétations des uns et des autres.
Comme on peut le constater à la première analyse de cette intervention très attendue, l’accord-cadre d’Addis-Abeba reste la balise de la nouvelle feuille de route de la diplomatie régionale des Etats-Unis. La question que se posent les analystes est de savoir comment Washington pense-t-elle faire naître une dose suffisante de volonté politique auprès des acteurs concernés pour concrétiser les engagements auxquels ils ont souscrit en signant l’accord-cadre. De plus, par quelles stratégies (coercitives, diplomatiques, incitatives ou autres) la Maison blanche pense-t-elle déclamer concrètement ces engagements pour les rendre effectifs sur le terrain au moment où la violence sur le terrain commence à atteindre des proportions préoccupantes en termes de dégâts humanitaires.
Analysée du point de vue des attentes des congolais, outre le ton sévère, le message de Kerry n’apporte rien de nouveau, c’est du déjà entendu d’autant que ce dernier n’a pas cité nommément le Rwanda comme étant le soutien principal à la rébellion du M23.
Analysée du point de vue du M23, cela constitue une demie victoire. En perte de vitesse sur le plan militaire suite aux revers subis aux contre-offensives des FARDC, le M23 s’est efforcée ces derniers jours à déployer un arsenal diplomatique sans précédent (nous l’avons analysé dans les différents canaux de communication exploité par cette rébellion) pour discréditer l’attitude des FARDC : violations des droits de l’homme, profanation et exactions contre les combattants du M23 capturés et morts, collaboration avec les FDLR… Une stratégie qui semble payer provisoirement et risque de lui donner un peu de répit.
Il appartient dès lors aux FARDC de ne pas baisser la pression militaire sur le M23 et aux autorités congolaises de lancer une contre-offensive diplomatique foudroyante comme arme d’appui aux succès militaires engrangés sur le champ de bataille afin de renverser une fois pour toutes le rapport de forces en leur faveur en profitant de la conjoncture favorable sur le terrain. Rien n’est gagné ni perdu d’avance dans cet épisode de la guerre débutée en 2012 car il serait malsain de crier la victoire avant d’avoir complètement délogé le M23 de tous les territoires qu’il occupe au Nord-Kivu. Les succès remportés ne doivent pas mener les autorités congolaises à une attitude jubilatoire effrénée et émotionnelle du fait accompli car le plus dur reste encore devant eux. Et rien ne dit que, même apparemment affaibli, le M23 joue à la manœuvre de la retraite stratégique qui consiste pour un belligérant d’accepter stratégiquement de perdre une immense étendue de territoire tout en parvenant à replier ses forces en bon ordre et à conserver sa cohésion et l’essentiel de sa capacité de combat. Ainsi, il développera une prolongation de la résistance pour provoquer une dislocation de la force adverse (FARDC), une lassitude de l’adversaire devant l’inciter à ouvrir es lignes et disperser ses forces jusqu’à être dissociées au point de modérer ses exigences de départ.
J’invite les FARDC et leurs chefs, mais aussi les populations congolaises à la prudence. Il faut rester concentré sur tous les fronts (militaires, médiatiques, diplomatiques et soutiens populaires aux troupes) et ne pas se laisser distraire uniquement par les premiers succès car le chemin vers la victoire finale est encore longue et peut nous réserver des surprises si on reste naïfs comme on l’a été lors du vote de la résolution 2098.
Il doit être compris par tous qu’en stratégie et dans tous les cas, on ne peut désigner le vainqueur d’une confrontation militaire qu’en considérant les fins, positives ou négatives, de la guerre ou de la campagne. La méconnaissance de cette règle peut mener à des succès tactiques qui peuvent être en même temps des échecs stratégiques. Ainsi, les stratégistes se focalisent moins sur l’éclat des batailles que sur leurs suites à longs termes. Le but fondamental de la stratégie est la défaite de l’ennemi. Cette proposition, qui n’est en elle-même guère discutée, pose un problème de délimitation. Quand peut-on dire que la victoire est acquise, que l’ennemi est défait ? Quand il se reconnait vaincu. Sans doute mais on ne fait que reporter le problème et j’y reviendrai dans une analyse prochaine. La défaite de l’un des camps en présence est consommée lorsqu’il ne peut plus raisonnablement espérer de la continuation de la lutte un redressement politico-militaire.
Enfin, sur le plan diplomatique, notre diplomatie peut encore se racheter lors du sommet des chefs d’Etat de la CIRGL prévu ce 29 juillet 2013 à Luanda.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Analyste des questions politiques et sécuritaires de la RD Congo
Lire toutes ses analyses sur desc-wondo.org