Par Jean-Pierre Mbelu
Après plus de trois décennies de dictature, plus de deux décennies de guerre de prédation et d’usure, les inégalités et les exclusions ont explosé en RDC. L’appauvrissement des masses populaires et l’enrichissement sans cause des vieux dinosaures et des nouveaux prédateurs ont fait de ce pays une jungle. L’appauvrissement des masses a été accompagné du non-respect de leurs droits socio-économiques, politiques et culturels. L’une des conséquences de cet état des choses est le phénomène « kuluna ». La police politique des « kuluna-cravatés » croit pouvoir l’éradiquer en tuant les “kuluna-non-cravatés” et/ou en les livrant à sa justice injuste.
Nous apprenons depuis hier, le 26 novembre 2013, que la police a lancé une « opération coup de poing » à Kinshasa. Cette opération consiste à traquer « les kuluna », « les voyous » et à les déférer devant la justice et/ou à les tuer. Certains kinois rapportent qu’ils ont vu la police tuer ces « voyous » devant leurs domiciles. Ce que réfute l’un des responsables de la police : il met cela sur le compte des dérapages liés à l’opération susmentionnée.
Quelques petits rappels historiques. Ceux et celles d’entre nous qui ont encore un peu de mémoire savent qu’après les élections-pièges-à-con de 2006, « une répression massive s’est abattu sur les membres du MLC de Jean-Pierre Bemba » comme en témoigne un document publié par la FIDH[1]. Plusieurs militaires et civiles de la province de l’Equateur avaient été pris pour cibles. Plus tard, aux environs des élections-pièges-à-con de 2011 et plus précisément le 26 novembre, plusieurs partisans de l’UDPS ont été tués aux environs de l’aéroport de Ndjili. Pour quel crime ? Ils s’étaient organisés pour aller accueillir leur leader, Etienne Tshisekedi, revenant d’un voyage. Certains jeunes ont été abattus dans certains quartiers de Kinshasa aux environs de cette date par la police politique de Kinshasa. La justice aux ordres de nouveaux prédateurs n’a jamais fait la lumière sur ces meurtres et assassinats politiques. Que visaient-ils ? Semer la psychose dans « la ville frondeuse », casser toute forme de résistance populaire contre un « conglomérat d’aventuriers » ayant usurpé le pouvoir par la volonté d’un réseau maffieux transnational de prédation, pousser cette ville à reconnaître ces nouveaux prédateurs comme « hommes d’Etat », etc. Ce sont donc ces « kuluna » en costume et cravate ayant neutralisé une bonne partie des institutions congolaises qui, depuis la guerre dite de libération (de l’AFDL), essaient de transformer la RDC en une jungle où règne la loi de la guerre de tous contre tous.
Et voilà qu’ils récidivent après « les victoires ambiguës des FARDC » sur le M23, membre de la majorité dite présidentielle ! Jusqu’au 15 février 2014, la police politique de Kinshasa va traquer « les faux-vrais-kuluna-sans- cravate » sous l’instigation des nouveaux prédateurs ! Et une partie de nos populations désabusée est tombée dans le larbinisme : elle applaudit ses bourreaux ; les bourreaux des « sans-voix » et des dissidents politiques.
Il y a là une tragédie ! Elle va en rajouter aux plus de 8 millions des morts Congolais(es) ! Cela, dans un pays où le 1% de « kuluna-en-costume-cravate » a confisqué les 99% de revenus des ressources du sol et du sous-sol aux dépens des 99% de nos masses populaires (se partageant le 1% et) d’où naissent et grandissent « nos kuluna » abandonnés à leur triste sort, sans éducation, sans formation à un métier, sans un revenu minimum d’intégration, sans famille, etc.
Après avoir mené une guerre de prédation pendant plus de deux décennies, les nouveaux prédateurs se sont enrichis sans cause. Ils ont creusé les inégalités et fabriqué l’exclusion ; ils ont craché sur les droits socio-économiques, culturels et politiques de nos masses populaires avec l’appui des Institutions Financières Internationales. Ils ont créé la pauvreté, la misère et la violence. Sans aucune boussole éthique et adeptes des méthodes de l’élite néolibérale, ils ont été incapables de promouvoir un minimum d’égalité de chances. Tel est le fond du problème ; tel est le vivier du « kulunisme » qu’ils refusent d’analyser en profondeur par mauvaise foi, cynisme ou voyoucratie. Et au lieu de s’en prendre à eux-mêmes, ils trouvent des boucs émissaires : des « kuluna-sans-cravate ». Et les cravatés cités par les rapports des commissions Lutundula et Bakandeja, où sont-ils passés ? Et les cravatés cités par les différents rapports des experts de l’ONU, où sont-ils passés ? Pendant que leur police politique traque nos enfants qu’ils ont abrutis et à qui ils ont volés toute leur jeunesse, ils s’apprêtent à négocier un accord avec « les kuluna-cravatés » du Rwanda et de l’Ouganda sous la supervision de leurs « kuluna de parrains » pour qu’ils intègrent les institutions congolaises et poursuivent leur « kulunisation » au grand dam d’une bonne partie de nos populations impuissantée par l’ignorance, la sous-information, la propagande mensongère, la guerre d’usure, la religiosité imbecillisante, etc.
Hélas ! Qu’ils le veuillent ou pas, leur œuvre est vouée à l’échec. « Tant que ne s’élimine pas l’exclusion sociale et la disparité sociale, dans la société et entre les peuples, il sera impossible d’éradiquer la violence, soutient le Pape François. On accuse les pauvres (…) de violence, mais, sans égalité de chances, les différentes formes d’agression et de guerre trouveront un terrain fertile qui tôt ou tard provoquera l’explosion. » (Lire Evangelii Gaudium).
C’est vrai. Avec leurs parrains, ils ont réussi à créer, dans les cœurs et les esprits de plusieurs compatriotes, « une nouvelle culture », celle de « la tolérance à la violence et au meurtre ». Et c’est bien dommage ! Il faudra, aux pacifistes congolais et aux autres réseaux d’hommes et de femmes de bonne volonté, une mobilisation sur le court, moyen et long terme pour désarmer cette « culture », lieu d’épanouissement du capitalisme du désastre ou de « la destruction créatrice » du nouveau désordre mondial. Un jour, en RDC, il faudra qu’une justice juste soit rendue à toutes les victimes des « kuluna-en-costume-cravate », ces nouveaux prédateurs occupant le pays de Lumumba depuis la guerre de l’AFDL.
Mbelu Babanya Kabudi
[1] Lire République Démocratique du Congo. La dérive autoritaire du régime, FIDH, 2009.