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Des élucubrations “intellectuelles” des politicards kongolais et leurs raccourcis

Des élucubrations “intellectuelles” des politicards kongolais et leurs raccourcis

Des élucubrations “intellectuelles” des politicards kongolais et leurs raccourcis 1200 800 IN

Par Jean-Pierre Mbelu

“Même si tout n’est pas dans les livres, lire et archiver, cela est important. Le Kongo-Kinshasa semble, dans le chef de ses politicards et de ses gouvernants, avoir un problème sérieux de ce point de vue.” – B.K.

Mise en route

Il me semble que le débat kongolais gagnerait en qualité si plusieurs compatriotes qui y participent avaient le sens du livre, de la lecture et des archives. C’est vrai. Tout n’est pas dans les livres. Néanmoins, sur le Kongo-Kinshasa, l’attachement aux livres pourrait permettre, surtout aux politiciens, d’argumenter en respectant les faits, l’histoire et la géographie. Plusieurs politicards kongolais recourent à la stratégie de cacher l’histoire pour manipuler les masses populaires.

Tout n’est pas dans les livres. Néanmoins, sur le Kongo-Kinshasa, l’attachement aux livres pourrait permettre, surtout aux politiciens, d’argumenter en respectant les faits, l’histoire et la géographie. Plusieurs politicards kongolais recourent à la stratégie de cacher l’histoire pour manipuler les masses populaires.

Or, occulter l’histoire ou la géographie, note Michel Collon, c’est « priver les gens du contexte nécessaire à la compréhension des enjeux, afin d’imposer une version binaire tronquée.» Il y a plus grave. Des politicards kongolais s’habituent, comme le souligne Noam Chomsky, à faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion « Faire appel à l’émotionnel est une technique classique pour court-circuiter l’analyse rationnelle, et donc le sens critique des individus.

De plus, l’utilisation du registre émotionnel permet d’ouvrir la porte d’accès à l’inconscient pour y implanter des idées, des désirs, des peurs, des pulsions, ou des comportements… » Même si les humains (kongolais) ne sont pas toujours des êtres rationnels, ils ont besoin des échanges argumentés pour développer leur intelligence individuelle et collective.

Le débat actuel sur le changement et/ou la révision de “la meilleure constitution” du pays succombe au travers susmentionnés. L’améliorer est nécessaire pour le devenir collectif. Cela ne se fera pas sans un retour permanent au livre (et à la lecture), à l’histoire et à la géographie.

La simplification des questions existentielles et le temps long

Dans plusieurs milieux politicards kongolais, la simplification des questions existentielles étonne. Les courtes vues enferment le pays dans l’immédiatisme. Il y est rare qu’une question d’importance vitale y soit étudiée sur une période excédant cinq ou dix ans.

Voilà ce qui manque aux milieux politicards kongolais : fouiner dans l’histoire ! Non pas pour chercher des boucs émissaires, mais pour comprendre la marche réelle du monde et en connaître les acteurs pléniers.

En écoutant ces milieux politicards au sujet de “la fausse bonne question” du changement et/ ou de la révision d’une charte pour l’infiltration et l’occupation du Kongo dénommée “meilleure constitution”[1], il est surprenant de constater que le débat mentionne rarement la guerre raciste de basse intensité et de prédation imposée au pays depuis plus de trois décennies.

Se poser les questions du genre « Pourquoi cette guerre ? Quelles ont été les motivations profondes des globalistes apatrides l’ayant orchestrée ? Quel a été et quel est encore le rôle qu’y jouent leurs proxys externes et internes ainsi que les textes rédigés en leur faveur ? » semble être devenu un exercice impossible. Pourtant, il ne serait pas exagéré de soutenir que ce qui se passe au Kongo-Kinshasa actuellement ne peut mieux être compris sans une connaissance approfondi du mode opératoire de ceux qui, depuis 1885 et plus tard, pendant et après la deuxième guerre mondiale, ont décidé de s’en emparer sur le temps long.

Cette approche du temps long est exigeante. Elle demande un grand investissement dans le travail de la pensée et de l’intelligence. Annie Lacroix-Riz pourrait être d’un apport sérieux pour les Kongolais souhaitant en savoir plus. Apparemment, son livre intitulé “Les origines du plan Marshall. Le mythe de « l’aide » américaine” (Paris, Armand Collin, 2023) n’aurait rien à voir avec le Kongo-Kinshasa. Pourtant, le lire à partir de la page 52 jusqu’à la page 62 apporte une trop grande lumière sur les causes assez lointaines de ce que le Kongo-Kinshasa est en train de connaître aujourd’hui. Voilà ce qui manque aux milieux politicards kongolais : fouiner dans l’histoire ! (Non pas pour chercher des boucs émissaires, mais pour comprendre la marche réelle du monde et en connaître les acteurs pléniers.)

Si Annie Lacroix-Riz remonte très loin dans l’histoire mondiale, Edward Herman, lui, étudiant l’histoire à partir de la chute du mur de Berlin et de la fin de l’URSS énumère un certain nombre d’Etats programmés pour être transformés en « Etats ratés » par “l’impérialisme intelligent”. La République Démocratique du Congo en est un.

« Par État raté, écrit Edward Herman, j’entends un État qui, après avoir été écrasé militairement ou rendu ingérable au moyen d’une déstabilisation économique ou politique et du chaos qui en résulte, a presque définitivement perdu la capacité (ou le droit) de se reconstruire et de répondre aux attentes légitimes de ses citoyens »[2] Quel est le procédé suivi pour en arriver là ? Tout part de « l’émergence ou/et (de) la légitimation (ou la reconnaissance officielle) d’une rébellion ethnique armée qui se pose en victime, mène contre les autorités de son pays des actions terroristes visant parfois ouvertement à provoquer une réaction violente des forces gouvernementales, et qui appelle systématiquement les forces de l’Empire à lui venir en aide. Des mercenaires étrangers sont généralement amenés à pied d’oeuvre pour aider les rebelles ; rebelles indigènes et mercenaires étant généralement armés, entraînés et soutenus logistiquement par les puissances impériales. Ces dernières s’empressent bien sûr d’encourager et soutenir les initiatives des rebelles pour autant qu’elles leur paraissent propres à justifier la déstabilisation, le bombardement et finalement le renversement du régime cible. »[3]

Les Grands Lacs et le réseau délite transnational de prédation

Les Grands Lacs Africains, en général, et le Kongo-Kinshasa, en particulier se sont retrouvés dans cette situation depuis le coup d’Etat fait contre Milton Obote en Ouganda en 1986. Les attaques menées contre le Rwanda à partir des années 1990 et l’invasion du Kongo-Kinshasa par des rebelles et des mercenaires en 1996-1997[4] s’inscrivent dans la dynamique de la déstabilisation économique et politique et de l’entretien d’un chaos permanent. C’est dans ce contexte que “la charte pour l’infiltration et l’occupation du Kongo-Kinshasa” a été écrite afin qu’elle contribue à ladite dynamique. L’oubli de ces causes proches de ce que le pays est en train de vivre contribue à s’adonner à des élucubrations “intellectuelles” simplistes sans aucune assise historique.

Les attaques menées contre le Rwanda à partir des années 1990 et l’invasion du Kongo-Kinshasa par des rebelles et des mercenaires en 1996-1997[4] s’inscrivent dans la dynamique de la déstabilisation économique et politique et de l’entretien d’un chaos permanent. C’est dans ce contexte que “la charte pour l’infiltration et l’occupation du Kongo-Kinshasa” a été écrite afin qu’elle contribue à ladite dynamique. L’oubli de ces causes proches de ce que le pays est en train de vivre contribue à s’adonner à des élucubrations “intellectuelles” simplistes sans aucune assise historique.

En menant la guerre contre le Kongo-Kinshasa, les rebelles et les mercenaires jouant le rôle de proxys ont mis en place “un réseau d’élite de prédation” comme l’indique le rapport des experts de l’ONU de 2002 dénommé “rapport Kassem”. Donc, ce réseau transnational a eu, pendant très longtemps, comme activité principale le pillage du pays en vue de le rendre incapable de “se reconstruire et de répondre aux attentes légitimes de ses citoyens”. Ce n’est pas anodin.

En 2020, la Radio Okapi reportait un témoignage sur ce pillage en ces termes : « Selon Boniface Kabisa, spécialiste en criminologie et criminalistique, un cabinet spécialisé dans la mafia mine les institutions du pays. Il organise la corruption à grande échelle depuis plus de 18 ans. Il dispose de ses avocats, de ses juges, bref de tout. Kabisa corrige les propos de son ancien chef, le professeur Luzolo Bambi, d’après qui le pays perdait chaque année 15 milliards de dollars, plus que le budget national. Faux, rétorque Boniface Kabisa. L’ancien conseiller spécial s’était plutôt trompé. Pour le criminologue, c’est 27 milliards de dollars qui échappent jusqu’à ce jour au Trésor public. »[5]

Lorsque les politicards kongolais posent ces questions « Est-ce la constitution qui empêche que les routes soient construites ? Est-ce la constitution qui fait qu’il n’y ait pas de justice sociale, que les médecins soient payés ? », etc., ils empruntent des raccourcis ; ils font l’impasse sur l’histoire refusent d’examiner les enjeux et l’objectif majeur de la guerre de basse intensité dont souffre le pays depuis plusieurs années : produire un Etat raté et entretenir un réseau transnational de prédation. L’infiltration des institutions du pays par un cabinet spécialisé dans la mafia pendant plus de 20 ans l’a transformé en “Etat manqué”. C’est-à-dire un Etat dont les institutions apparentes sont vides de contenu.

Comment ces politicards pourraient-ils expliquer le fait que “la meilleure constitution” n’ait pas disposé et/ou appliqué des lois pouvant neutraliser cette mafia ? Au contraire, elle a favorisé la production des règles pouvant garantir l’impunité aux “nouveaux prédateurs”. Comment un pays dévalisé pendant plus de 18 ans (et voire même plus) peut, d’un coup , se relever ? Cela d’autant plus que toute cette mafia n’a pas été démantelée, elle se régénère et qu’elle opère encore jusqu’à ce jour. La pensée magique refuse de questionner les faits et l’histoire. Donc, de fausses rébellions soutenues par “les minorités” faites des proxys étrangers et kongolais sont, en majeure partie, des lieux de la régénérescence de la mafia décriée en vue de la perpétuation du “réseau d’élite de prédation” au coeur de l’Afrique.

Est-ce possible de démanteler cette mafia sans recréer un Etat digne de ce nom, géré par des principes patriotiques et souverainistes ? Je ne crois pas. Les mafieux vont-ils croiser les bras en attendant que cet Etat advienne. Je ne crois pas. Surtout pas sans un Etat fort où les élites intellectuelles, les ingénieurs et les techniciens jouent réellement le rôle de ”lumière” et d’accoucheurs d’une société collectivement humanisée.

Une petite conclusion : nécessité d’un Etat fort et d’une aide de la lecture

Quelque part, dans ce monde, un Homme a pu mettre hors d’état de nuire des oligarques prédateurs et instaurer un grand Etat pluriethnique. Son exemple peut-il inspirer le Kongo-Kinshasa ?

Sans un Etat fort assumant dignement ses fonctions régaliennes et des institutions fortes de leur contenu éthiquement, spirituellement et juridiquement responsable, toutes les élucubrations des politicards kongolais sur le changement et/ ou la révision de “la meilleure constitution du monde” ne serviront à rien.

Sans un Etat fort assumant dignement ses fonctions régaliennes et des institutions fortes de leur contenu éthiquement, spirituellement et juridiquement responsable, toutes les élucubrations des politicards kongolais sur le changement et/ ou la révision de “la meilleure constitution du monde” ne serviront à rien. Oui. L’Etat kongolais a été détruit.

Dans un pays où la culture du livre est marginalisée et l’abrutissement des masses adulée, haranguer les foules est l’activité préférée des politicards. Ils calmeraient un peu leurs ardeurs s’ils se référaient aux documents historiques et aux archives. Ils comprendraient par exemple les causes lointaines et proches de la guerre perpétuelle dont souffre le Kongo-Kinshasa et ses incidences sur les réponses à donner aux questions existentielles de leurs compatriotes.

Dans cet article, la lecture, entre autres, d’ Annie Lacroix-Riz et Edward Herman peut améliorer la qualité actuelle du débat kongolais.

 

Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961

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[1] Lire Une charte pour l’infiltration et l’occupation dénommée « meilleure constitution » au Kongo-Kinshasa – Ingeta
[2] Lire la note de l’éditeur de notre livre intitulé ”La fabrique d’un Etat raté. Essais sur la politique, la corruption morale & la gestion de la barbarie”, Patis, Congo Lobi Lelo, 2021.
[3] Produire des « Etats Ratés »
[4] Lire Robert Menendez dénude Paul Kagame. Muan’a Kongo Keba… – Ingeta
[5] Radio Okapi citée par J.-P. MBELU, O.C., p. 33.

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