L’analyste politique jean-Pierre Mbelu décrypte le système au sein duquel opère l’abbé Malu Malu, désigné à nouveau à la tête de la Commission Electorale Nationale indépendante, analyse le parallélisme entre la guerre en Syrie et la guerre au Congo, explique pourquoi notre salut ne viendra ni de la communauté internationale, ni d’une orientation néolibérale de l’économie congolaise. Et incite à lutter contre l’amnésie et la résignation.
Sur la nomination par le parlement congolais de l’abbé Malu Malu à la tête de la CENI
Il ne faut pas centrer ses analyses sur les individus. C’est le système au sein duquel opère Malu Malu qu’il faut analyser. N’oubliez que quand ce même Apollinaire Malu Malu est désigné comme président de la Commission Eléctorale Nationale Indépendante pour les élections de 2006, il va venir avaliser un choix fait au préalable comme on peut le lire dans le livre de Charles Onana (« Europe, crimes et censures au Congo : Les documents qui accusent »).
Malu Malu a joué la carte de Kabila pour garantir les intérêts de l’Union Européenne et les intérêts anglo-saxons au Congo. Souvent, nous tombons dans l’amnésie et nous oublions l’histoire. Si aujourd’hui, on nous dit qu’il revient, c’est-à-dire que les maîtres qui l’avaient choisi en 2006 sont en train de voir comment ils peuvent poursuivre ce qu’ils ont initié en 2006, à savoir : travailler à la garantie de leurs intérêts.
C’est un système qui connaît les fragilités de l’Eglise que Malu Malu sert. Vous imaginez, travailler à la gloire de Dieu et ne rien gagner, et être coopté par un gouvernement qui sait vous donner suffisamment de moyens matériels, il s’est laissé tenter. Il a goûté à la chose, et voilà. Il y a, par ailleurs, dans le cas du comportement de l’abbé Malu Malu, une interpellation de l’église catholique congolaise sur les conditions dans lesquelles vivent ses prêtres, conditions qui facilitent la corruption de ces prêtres pour qu’ils puissent se mettre au service du plus offrant.
Il faut rompre avec toute naïveté, nous devons nous battre sérieusement pour garder notre mémoire intacte. Quand on ne lit pas, quand on tombe dans l’amnésie sur notre histoire, on tombe dans le colportage et nos peuples comme des moutons vont aller à ces élections bidons, et encore les moutons ne choisissent pas leurs bouchers.
Sur le M23, la brigade d’intervention de l’ONU et la communauté internationale
Comme ceux qui nous font la guerre savent que nous n’avons pas de suivi dans nos histoires et que nous tombons facilement dans l’amnésie, ils savent aussi qu’ils peuvent nous proposer n’importe quoi. L’ONU avait classifié le M23 parmi les forces négatives, avec preuves à l’appui. Des rapports ont été établis sur les crimes du M23 perpétrés avec le soutien du Rwanda et de l’Ouganda. Aujourd’hui, on considère que la force négative d’hier, le M23, étant un partenaire de dialogue du gouvernement fantôche de Kinshasa, ne n’est plus aujourd’hui. Cela devrait nous convaincre que notre salut ne viendra pas de la communauté internationale parce que c’est la communauté internationale qui nous occupe. Cette communauté internationale fait partie du problème. Et c’est elle qui, à travers les membres influents du conseil de sécurité, nous fait la guerre.
Au fur et à mesure que les années passent, nous oublions ces vérités simples et nous croyons que cette communauté internationale va se réveiller un matin et nous dire cette guerre est terminée, il faut que les congolais recouvrent leur souveraineté. Non, cela ne se passera pas comme cela. Quand nous nous serons battus, comme nous le faisons déjà mains nues, que nous récupérerons notre pays et notre souveraineté.
Sur le parallélisme entre la Syrie et le Congo
En Syrie, comme au Congo, c’est une même guerre de prédation par procuration. Et vous ne mettez pas fin à ce type de guerre en vous adressant aux fantôches et aux marionnettes. La Syrie, avec l’appui de la Russie et de la Chine, a forcé le pays qui l’attaquait, indirectement, par procuration, c’est-à-dire les USA et leurs alliés de l’OTAN via différents rebelles, à aller négocier avec la Russie. Parce que la guerre par procuration faite contre la Syrie était une guerre contre la Russie pour pouvoir la contenir dans un espace qui ne lui permette pas de contrôler les terres et les mers en ayant des alliés sûrs comme l’Iran ou la Syrie.
La guerre qui est menée contre le Congo par procuration est une guerre qui vise à éteindre une fois pour toute notre envie d’être souverain. C’est une guerre qui nous est menée depuis l’assassinat de Patrice Emery Lumumba. Cette guerre nous est aussi menée par l’entremise des institutions financières internationales, comme le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale qui nous imposent des dettes odieuses. Cette guerre nous est aussi menée par certains de nos compatriotes qui collaborent avec toutes ces forces extérieures et qui combattent nos populations.
C’est une guerre d’extermination de nos populations. Si la RDC était la Syrie, elle aurait pu peser dans la balance des relations géostratégiques en se servant de partenaires de poids comme la Chine et la Russie pour sauvegarder sa souveraineté comme la Syrie est en train de le faire. Malheureusement, nous avons sur notre dos, une coalition mondiale contre nous. Voilà pourquoi nous avons beaucoup de difficultés à pouvoir sortir de l’impasse. La Syrie, au moins, est un Etat, ce qui n’est pas le cas du Congo. La Syrie a mené une lutte contre l’ignorance, l’inconscience mais aussi contre la résignation.
Sur la corruption au Congo
Le Congo est un Etat manqué. Et le Congo, cet Etat manqué, a dans son sein, des élites prédatrices. Il faut se souvenir, par exemple du rapport Kassem de 2002, pour cela, dans lequel il y a un chapitre sur les réseaux d’élites. Depuis que le Congo connaît la guerre et surtout depuis l’AFDL, il s’est constitué une élite prédatrice, qui opère en réseau et le rôle de cette élite est de pouvoir piller le plus possible. C’est ainsi que cette élite est l’orientation néolibérale de l’économie. Parce qu’elle se sert de l’argent de l’Etat pour s’enrichir et investir dans le privé. C’est une élite fondée sur des antivaleurs dont la corruption.
Sur la croissance économique au Congo
Le problème fondamental, au Congo, est celui de la refondation d’un Etat et du changement de système.
On se rend compte de Matata Ponyo parle de la croissance au Congo. C’est une aberration. Il utilise les mêmes expressions utilisées dans les économies néolibérales occidentales, en faillite. Et quand on nous parle de la compétitivité et de la croissance au Congo, on oublie de nous dire sur quels principes cette croissance et cette économie congolaise sont fondées. La trinité sur laquelle cette économie est fondée est, entre autre, la privatisation, déréglementation et libéralisation. Vous ne pouvez pas sauver un pays en appliquant les principes de l’économie néolibérale qui ont conduit à la faillite des économies occidentales.
Quand on vous dit que le Congo a une croissance de 7 ou 8%, on ne vous dit pas que cette croissance est liée à l’exploitation des matières premières dont les revenus ne reviennent ni dans nos banques ni au pays. Et cela fait que les droits sociaux, économiques, politiques et culturels de nos populations sont foulés au pied. Ainsi, cette économie ne peut prospérer que dans le contexte du capitalisme du désastre et de la violence. Matata Ponyo ne peut supporter qu’un Diomi Ndongala l’interpelle et lui demande les résultats palpables au niveau social de la croissance dont il parle. Ce sont des gens qui vivent constamment dans l’autosatisfaction. Parce qu’ils savent que le discours qu’ils tiennent plait à leurs parrains et maîtres et que ce discours ne peut pas être remis en question par les médias kinois, au royaume des aveugles, le borgne étant roi.