L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu revient sur les raisons profondes de l’assassinat de Mamadou Ndala, tire les leçons des assassinats politiques dans la région des Grands Lacs, souligne le rôle de l’Eglise dans l’édification de la cité Congolaise. Et explique pourquoi nous devrions arrêter de croire dans la théâtralisation de la politique au Congo.
Sur l’affaire Mamadou Ndala
Pourquoi Mamadou Ndala a-t-il été assassiné ? Mamadou Ndala, dans sa fougue de jeunesse, est passé de la théâtralisation de la guerre entre les FARDC et le M23 à la prise au sérieux de cette guerre. Mamadou Ndala, avec sa fibre congolaise, ne s’était pas fait à l’idée que ce qui se passait entre les FARDC et le M23 était un théâtre destiné à infiltrer les institutions congolaises et surtout l’armée congolaise par les rwandais et ougandais composant le M23. Et lorsque Ndala a infligé une défaite au M23, il est devenu l’homme à abattre. Parce qu’il n’a pas compris la stratégie. Il a cru en un discours officiel qui prétendait qu’il y avait une guerre, or il n’en était pas question. Il a été éliminé par ceux qui veulent que le Congo demeure éternellement sous occupation et soit balkanisé par les proxies des maîtres du monde.
Quand son chauffeur essaie de revenir sur sa déposition pour dire que sa première déposition avait faite sous influence et qu’il avait une vérité à livrer à la justice, il est tué, le 2 octobre 2014. Cela rappelle ce qui s’est passé avec le rwandais Karegeya. Cela rappelle également ce qui s’est passé avec Chebeya qui avait des choses à dire à la justice au sujet du massacre de Bundu dia Kongo. Cela montre que ce sont les mêmes qui mènent la danse, et au Rwanda et au Burundi, et au Congo, qui ont procédé à l’élimination du chauffeur de Mamadou Ndala.
Sur la leçon à tirer des assassinats politiques en RDC
Ce que nous devons tirer comme leçon, c’est que nous devrions, pour une grande majorité d’entre nous, arrêter de croire dans la théâtralisation de la politique au Congo. Ces messieurs, qui sont venus dans les mallettes de Paul Kagamé et Yoweri Museveni, avec l’appui des forces anglo-saxonnes, ne font pas de la politique en RDC. Ils sont venus pour exterminer les congolais en commençant par les plus éveillés d’entre eux, balkaniser et piller le pays. D’ailleurs, une partie du pays vient d’être cédé officiellement au Rwanda. Rien ne se fait au Congo au hasard. Tout est bien planifié. Ce qui arrive est que certains projets planifiés de longue date prennent du temps à aboutir. Et si nous continuons majoritairement à accepter que les caniches des pouvoirs anglo-saxons poursuivent la gestion du Congo, le pays sera perdu. Nous n’aurons plus de pays et nous ne pourrons nous en prendre qu’à nous-mêmes. Nous ne pourrons pas dire que nous n’avons pas été avertis, nous ne pourrons pas dire que des livres n’ont pas été écrits sur cette tragédie.
Sur l’Eglise catholique et la politique au Congo
On a l’habitude de dire qu’il y a une séparation nette et étanche entre l’Eglise et le pouvoir politique. Mais c’est faux. Que veut dire (rendre) à César ce qui est à César, à Dieu, ce qui est à Dieu ?
Avant de pouvoir inviter Pierre à payer l’impôt dû à César, Jésus lui demande de lui montrer le denier, et lui dit de qui est cette effigie. Pierre répond : De César. Jésus lui dit : Rend à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Ce qui est à César, c’est l’argent. Ce qui est à Dieu, c’est l’homme. L’homme n’est pas la création de César. Tous les Césars du monde ne peuvent pas faire des hommes leurs créatures. L’homme est créé, par Dieu, à l’image et à la ressemblance de Dieu. Là où cette image et cette ressemblance sont malmenées, l’Eglise a le pouvoir, elle a le devoir de pouvoir dire une parole prophétique.
Souvent on accuse l’Eglise catholique de faire de la politique, mais la politique, c’est quoi ? La politique est l’art de contribuer, par la parole et l’action, à l’édification de la cité. L’Eglise ne peut pas être neutre quand la valeur et la dignité de l’homme sont piétinées. L’Eglise fait partie de la cité, elle ne peut pas ne pas faire de la politique.
Quand on parle de prophètes, on parle d’intellectuels subversifs capables de mettre des avis moraux sur le fonctionnement de leurs sociétés.
Au nom de la dignité humaine, au nom de la justice sociale, il est important qu’il y ait une alternative, que les congolais aient l’habitude de choisir leurs dirigeants, que les textes fondamentaux puissent être respectés sans qu’il y ait des révisions intempestives.
L’Eglise émet son point de vue et demande à ses membres de se sensibiliser entre eux mais si ces politiques sont forts, qu’ils passent outre les recommandations de l’Eglise. De quel droit se croient-ils qu’ils peuvent, eux parler, au cœur d’une cité qui appartient à tout le monde, et dire aux autres qu’ils ne peuvent pas s’exprimer parce qu’ils appartiennent à telle sphère.
Sur l’unanimité au sein de l’Eglise
Nous avons, chez nous, une vision idéaliste de l’unanimité. L’unanimité ce n’est pas de l’unanimisme. Quand j’entends des hommes d’Eglise, comme Mpundu, comme Mugaruka, parler, je me dis qu’il y a là du travail qui s’opère. Pourquoi l’Eglise doit-elle toujours tomber dans l’unanimisme en oubliant que les prophètes n’ont pas toujours été bien vus par les chefs politiques et les chefs religieux?
La cause pour laquelle l’Eglise se bat n’est pas (seulement) celle de la révision constitutionnelle. La cause est celle-ci : comment permettre aux congolaises et aux congolais, de vivre heureux, de vivre contents, de partager un vivre ensemble fondé sur des principes qui respectent leur dignité, la justice sociale et la commune dignité humaine des congolais. Voilà l’enjeu.
Sur l’appel de Martin Kobler à la non-violence des congolais
Le Congo est un pays occupé et sous la tutelle de l’ONU. C’est Martin Kobler qui assume la tutelle de l’ONU au Congo. Au nom de quoi Kobler peut-il donner des leçons aux congolais pendant que l’ONU est au Congo ?
Est-ce Kobler et les autres membres de l’ONU ont aidé le Congo à organiser sa justice de façon que l’impunité prenne fin et que les criminels impliqués dans les massacres de plus de 5 millions de Congolais avouent leurs forfaits et demandent pardon?
Il semble plus facile d’appeler à la non-violence que d’appeler les complices de l’ONU qui sont dans les institutions des pays des grands lacs à pouvoir avouer sur la place publique leurs forfaits ? L’ONU a toujours été l’instrument des puissances anglo-saxonnes qui sont en train de dominer le Monde et de le détruire.
Martin Kobler, en tant qu’individu, peut donner certaines leçons. Mais en tant que représentant de l’ONU, il n’a aucune leçon à donner aux congolais. Les congolais souffrent des faux coups que l’ONU leur assène depuis les années 1960.
Sur les congolais et les maîtres du monde
Quand les congolais auront réussi à identifier les acteurs majeurs de notre tragédie et les acteurs apparents, mais aussi les structures nationales et internationales de notre avilissement, de notre abrutissement politique, économique, culturel, etc., petit à petit, ils réussiront à concocter un projet de société participatif qui nous sortira de ce bourbier.
Les congolais ont des problèmes avec le monde, parce qu’ils sont têtus. On dit même qu’ils sont nationalistes dans la fibre de leur humanité, malgré quelques élites compradores. Si jamais il était donné aux congolais de s’organiser entre eux sans interférences extérieures, les congolais sauraient qui choisir. Pour une bonne majorité de congolais, ils savent qu’ils n’ont rien à attendre de l’extérieur.
Sur Diomi Ndongala et l’Etat congolais
Quand Diomi Ndongala décide de traduire l’Etat congolais en justice, ce n’est pas un acte de désespoir, c’est la continuation d’une lutte. Diomi est tombé victime de la théâtralisation de la politique. Plusieurs d’entre nous devons travailler pour faire la part des choses entre la politique théâtre, ce qui se joue chez nous depuis la guerre de l’AFDL, et la politique « politique », l’art de l’échange, du débat et du conflit maîtrisé pour un vivre ensemble partagé dans la paix. C’est à cela que nous devons tendre mais nous avons des difficultés. Parce que nous avons des proxies qui occupent le pays avec la complicité de l’ONU.
Si nous faisons pas la part des choses entre les élites compradores, qui opèrent à partir du Congo et qui font partie de l’ordre dominant, et les congolais qui aiment la politique politique, on risque de passer à côté de la plaque.
Vous qui, à travers le monde, pensez défendre le droit, la justice et la démocratie, je vous demande de dire si dire le droit aujourd’hui, dans un monde néolibéralisé organisant la guerre de tous contre tous, est encore possible. Tel est le sens de la requête de Diomi Ndongala.