Par Jean-Pierre Mbelu
Supposons que ‘’Joseph Kabila’’ soit le 4ème Président de la RDC ‘’prophétisé’’ par Kimbangu. Comment faire de cette ‘’légitimité prophétisée’’ une légitimité politique porteuse d’une politique légitime ? Une pareille question mérite d’être débattue. Elle en soulève bien d’autres : « Qui est Kimbangu ? Quelle cause a-t-il servi ? Qui est Kabila ? Quelle cause sert-il ? Pourquoi une prophétie kimbanguiste devrait-elle jouer un rôle quelconque dans un pays où le kimbanguisme n’est pas une religion majoritaire ? La politique relève-t-elle d’un consensus issu de l’usage égal et libre du langage ou de la foi du charbonnier dans les prophéties quelles qu’elles soient ? Ces prophéties servent-elles d’ ‘’éléments du langage’’ nécessaires à la propagande médiatique pour ‘’la kabilie’’ et ‘’le chaos constructeur’’ auquel elle contribue ou pour les Congolais(es) conçu(e)s comme des ‘’sujets autonomes’’ ? Répondre à toutes ces questions demande que l’espace public soit déverrouillé et qu’un débat contradictoire soit possible. Malheureusement, dans un ‘’Etat raté’’, un débat sérieux et serein est impossible. Diomi, Kuthino, Ewanga et Mbata, etc. en savent quelque chose.
Le verrouillage de l’espace public congolais orchestré par les élites compradores et les autres ‘’proxies’’ des commanditaires de la guerre de basse intensité au Congo-Kinshasa constitue un sérieux frein à un débat serein sur certaines questions essentielles face auxquelles le pays est confronté.
Au fur et à mesure que la date du début de la guerre de l’AFDL s’éloigne (ou s’efface) de la mémoire collective, les objectifs qu’elle avait poursuivis et qu’elle poursuit encore tombent petit à petit dans l’oubli. Rappelons que cette guerre reconduit un double vieux objectif des ‘’maîtres du monde’’ : la balkanisation et l’implosion du pays[1]. Elle tient aussi à faire main basse sur les ressources minérales stratégiques de ce pays et à recoloniser sa population.
Produire un ‘’Etat raté’’: L’objectif majeur de la guerre imposée aux congolais
Cette guerre menée par l’Etat profond anglo-saxon au travers des ‘’proxies’’ interposés a permis la mise sous tutelle onusienne du Congo-Kinshasa avec le soutien d’une panoplie de ‘’seigneurs de la guerre’’ dont les efforts de reconversion en ‘’hommes politiques’’ ou ‘’en hommes d’Etat’’ sont en train de marquer leurs limites.
L’objectif majeur de cette guerre de basse intensité anglo-saxonne était de produire un ‘’Etat raté’’ (ou ‘’manqué’’). Qu’est-ce qu’un ‘’Etat raté’’ ? Edward S. Herman, Professeur Emérite de l’Université de Pennsylvanie, s’est penché sur cette question. « Par Etat raté, j’entends, écrit-il, un Etat qui, après avoir été écrasé militairement ou rendu ingérable au moyen d’une déstabilisation économique ou politique et du chaos qui en résulte, a presque définitivement perdu la capacité (ou le droit) de se reconstruire et de répondre aux attentes légitimes de ses citoyens. »[2] (Disons déjà qu’un Etat légitime est celui qui répond, à partir de ce qu’il produit souverainement, aux attentes légitimes de ses citoyens en matière de libertés fondamentales, d’éducation, de santé, d’habitat, d’emploi, de routes et d’autoroutes de communication et de télécommunication, etc. Nous y reviendrons.)
Pourquoi le Congo-Kinshasa est-il en permanence écrasé malgré les apparences ? Pour que l’Etat profond anglo-saxon contrôle ses ressources stratégiques afin qu’elles ne passent pas dans des mains concurrentes à même de les utiliser aux dépens de l’hégémonie mondiale US[3]. Cet objectif stratégique est au cœur de plusieurs guerres qu’il mène. D’où la conviction cultivée par cet Etat profond depuis qu’il a utilisé l’uranium de Shinkolobwe pour détruire Hiroshima et Nagasaki : ‘’Le Congo est un intérêt permanent pour nous’’[4]. Déstabiliser ce pays participe de sa politique du ‘’chaos constructeur’’ qu’il sait gérer avec l’aide de ses ‘’proxies’’, de ‘’Seigneurs de la guerre’’ infiltrées dans ‘’les institutions formelles’’ du pays (souffrant d’un déficit démocratique criant au niveau de leur contenu), de ses multiples ‘’Instituts pour la démocratie et le développement’’, véritables supplétifs de la CIA, de services de sécurité noyautés par ces ‘’proxies’’ et ces ‘’Seigneur de la guerre’’, etc. Disons que l’objectif stratégique susmentionné guide, en grande partie, la politique étrangère US. Il n’a presque pas changé depuis la nuit des temps. Au Congo-Kinshasa, depuis la guerre de l’AFDL, il s’est caché derrière ‘’une façade démocratique’’ vide de contenu réel.
Dans ce ‘’chaos constructeur’’, comment se pose la question de la légitimité politique ? Comment, à partir d’ ‘’une façade démocratique’’, répondre à la question de la légitimité politique ?
Rompre avec ‘’le chaos’’ pour créer un Etat national et social
Elle se pose en termes de rupture. Il faut rompre avec ‘’le chaos’’ pour créer un Etat national et social. Si nous considérons la légitimité politique comme une réponse d’un Etat légitime aux attentes légitimes de ses citoyens de manière souveraine et participative, c’est-à-dire en considérant ces derniers comme des ‘’sujets autonomes’’ moralement, il est impossible que ceux qui participent du ‘’chaos constructeur’’ dans un ‘’Etat raté’’ produisent un Etat national, social et de droit.
Dans ce contexte, le consentement truqué des citoyens aux élections ou au référendum ‘’pièges à cons’’ ne peut pas être perçu comme un critère raisonnable de la légitimité politique. Il arrive que ce trucage passe par ‘’les éléments de langage’’ qui participent de la fabrication du consentement en se servant de la propagande médiatique[5]. Ces ‘’éléments de langage’’ peuvent être mis au service de ceux que le Professeur Mbata nomme ‘’les constitutionnalistes du ventre’’, ‘’les philosophes du ventre’’ ou ‘’les politologues du ventre’’ afin qu’ils édictent ou promeuvent des normes servant la cause du ‘’chaos constructeur’’.
Au Congo-Kinshasa, un certain nombre de ‘’journalistes et pasteurs du ventre’’ est en train d’allonger la listes de ce ‘’élites compradores’’ en faisant de la politique ‘’une question prophétique’’ de survie. Ces ‘’journalistes et pasteurs du ventre’’ tiennent à faire de la légitimité des acteurs politiques dans ce pays une question de prédiction prophétique. En d’autres termes, ils veulent éviter que les citoyens congolais soient reconnus comme des ‘’sujets autonomes’’ et que la légitimité politique soit pour eux un acte de foi sans plus.
Ils soutiennent par exemple que ‘’Joseph Kabila’’ est le 4ème Président de la RDC ‘’prophétisé’’ par Kimbangu. Ceci étant, il peut ou ne pas respecter ‘’la normativité du droit et de la justice’’ ; il peut, avec sa MP, déverrouiller les articles de la Constitution qu’il a juré de respecter et de faire respecter, ce n’est pas grave du moment que Kimbangu a dit que c’est lui qui sera le 4ème Président de la RDC. Qui a été Kimbangu ? Quelle cause a-t-il servi ? Qui est Joseph Kabila ? Quelle cause sert-il depuis la guerre de l’AFDL ? Le débat n’est pas permis sur ces questions. L’espace public est quasi verrouillé. Il ne peut être ouvert qu’à ceux et celles qui acceptent cette ‘’profession de foi’’ sans débat : « Joseph Kabila est le 4ème Président prophétisé par Simon Kimbangu ; amen ».
‘’La kabilie’’ est un service télécommandé et téléguidé par l’Etat profond anglo-saxon
Or, « la normativité du droit et de la justice ne peut naître que de l’autonomie morale des citoyens eux-mêmes, de la coopération et de la discussion entre eux dans des conditions de liberté et d’égalité, de telle sorte qu’ils fassent un usage de leurs droits de communication qui soit orienté vers le bien public. »[6]
Forcer tous les Congolais et toutes les Congolaises à professer ‘’une foi de charbonnier’’ en politique, voilà ce à quoi les élites congolaises compradores, toutes catégories confondues, seraient en train de conduire nos populations. Elles veulent en faire des moutons de panurge sans plus. Il y a là comme un déni et de l’humanité et de la socialité des Congolais(es) dans cette démarche de ‘’légitimité politique prophétisée’’.
‘’La kabilie’’ est en train de nier aux masses critiques congolaises l’usage de ce qui en fait des humains et des êtres sociaux à part entière : l’usage égal et libre du langage qui sort de l’atomicité. Elle s’efforce de ne pas prendre en compte le fait que « la politique légitime est celle qui permet à chacun d’affirmer au mieux son individualité singulière en devenir, en développant ses capabilités, sa puissance d’être et d’agir sans nuire à celle des autres, dans la perspective d’une égale liberté. » Elle exclut de son champ d’action tout ‘’principe d’opposition maîtrisée’’ et opte pour des spiritualités imbécilisantes. Pouvait-il en être autrement ? Non.
‘’La kabilie’’ est un service télécommandé et téléguidé par l’Etat profond anglo-saxon et ses alliés. Malgré les apparences ! Créer un Etat national, social et de droit est encore du domaine de la lutte pour les masses critiques en formation et tenant à la récupération congolaise et panafricaine de l’initiative historique. Cela prend du temps. C’est vrai.
Mbelu Babanya Kabudi
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[1] Lire J. KANKWENDA MBAYA et F. MUKOKA NSENDA (sous la direction de), La République Démocratique du Congo face au complot de balkanisation et d’implosion, Kinshasa, Le Potentiel, 2013.
[2] http://www.michelcollon.info/Produire-des-Etats-Rates.html?lang=fr
[3] Dans un article intitulé ‘’Le sommet de l’OTAN : guerre sur deux fronts’’, Manlio Dinucci note ceci : Simultanément, sous conduite US, l’Otan étend sa stratégie à l’Afrique du Nord et au Moyen-Orient, et au-delà, jusque sur les montagnes afghanes et dans la région Asie/Pacifique. Le but stratégique reste celui énoncé dans le DEFENSEPlanning Guidance : « Notre premier objectif est d’empêcher qu’une quelconque puissance domine une région dont les ressources seraient suffisantes à engendrer une puissance mondiale ». Cet article peut être lu sur ce lien :http://www.voltairenet.org/article185197.html
[4] Lire R. CUSTERS, Chasseurs de matières premières, Bruxelles, Investig’Action, 2013.
[5] Lire, N. CHOMSKY et H. HERMAN, La fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie, Marseille, Agone, 2009.
[6] R. ROCHLITZ (coordonné par), Habermas. L’usage public de la raison, Paris, P.U.F., 2002, p.96.