Par Chantal Faida Mulenga-byuma
En République démocratique du Congo (RDC), il ne se passe pas un jour sans qu’on entende parler de révision constitutionnelle. Et dans toutes les couches de la société, des gens crient : “touche pas à ma constitution”. Chantal Faida a interrogé directement la concernée.
Chantal Faida : Constitution, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Constitution : Je suis une loi fondamentale qui régit l’ensemble des rapports entre gouvernants et gouvernés au sein de l’État. Je protège les droits et libertés des citoyens contre les abus de pouvoir de la part des titulaires des pouvoirs (article 11). Je suis née en Occident, mais étant donné que les Congolais croient que seuls les autres sont meilleurs, on m’a déportée en terre de Lumumba sans modifier grand-chose dans mon fond. Juste la forme a été retouchée. C’est ainsi que grâce à moi, vous êtes passés de la monarchie à la démocratie sans aucune maîtrise de son essence. Désormais, vous confondez souveraineté et coopération, république et royaume, citoyens et sujets, biens publics et biens privés, etc. Un étonnant cocktail. Je stipule que tout pouvoir émane du peuple, auquel appartient la souveraineté nationale (article 5). J’ai envie de dire, au regard de tout ce qui se passe dans votre pays, que je ne suis pas dans ma peau.
Si vous n’êtes pas dans votre peau chez nous, quel est votre fondement ? Pensez-vous vraiment que nous ayons besoin de vous ? Tout ce qui nous tient à cœur, c’est notre quiétude…
Sans vous couper la parole, je vous signale que vos propos argumentent plausiblement ce que je suis ailleurs qu’en RDC. Je suis le symbole du maintien de l’équilibre social, le berceau des valeurs nationales et le guide des actions gouvernementales pour le bien-être de tous, sans distinction d’âge, de tribu, de sexe, d’appartenance politique ou de religion (article 14). Je suis incontournable pour la stabilité de votre pays. Je vous rappelle que mon objectif premier dans votre pays qui a vécu deux décennies de crises de légitimité chroniques, était la mise en place d’un nouvel ordre politique par l’organisation d’élections libres, pluralistes, démocratiques, transparentes et crédibles par le peuple, pour le peuple et avec le peuple, et ce, via la loi référendaire de 2005.
C’est très impressionnant cette matière que vous renfermez. Mais il semble que le régime en place a l’intention de changer votre teint. Du clair au sombre. Qu’en dites-vous ?
Non seulement je suis contre, mais je dénonce la violation dont je suis victime depuis près de 13 ans en RDC. En vue de la consolidation de l’unité nationale d’une part, et d’autre part dans le but de créer des centres d’impulsion et de développement à la base, une partie de mon corps dit clairement que l’État congolais sera structuré en 25 nouvelles provinces dotées d’une personnalité juridique et exerçant des compétences de proximité (article 2). En sus de ces compétences, les provinces en exercent d’autres concurremment avec le pouvoir central et se partagent les recettes nationales avec ce dernier respectivement à raison de 40 et de 60 % (exposé des motifs). Mais de tout ceci, rien n’est mis en œuvre. Qu’on me coupe la main si je mens.
Très ambitieux comme programme, n’est-ce pas là un leitmotiv qui sous-tend le régime à faire quelques retouches à certaines parties de votre corps pour le bien être de la population ? Voyez la misère indicible, l’insécurité, les crimes abjects, la déperdition scolaire… Bref, les moyens manquent à la République pour la matérialisation de tous vos desseins.
La richesse première de toute nation, c’est sa population. Vouloir c’est pouvoir. L’exercice des libertés (article 23, 33, 24, 25, 26). Avec tant de ressources dont regorge votre sol (article 9), il est inadmissible de vivre tout ce que vous vivez. Juste un peu de tact de la part de vos décideurs et du courage de la part des chefs du peuple, et c’est parti. Je ne veux pas qu’on modifie mon teint clair. Surtout quand on exhibe l’intérêt privé et personnel au détriment de l’intérêt général.
Pour un fonctionnement harmonieux des institutions de l’État, l’on doit : éviter les conflits ; instaurer un État de droit ; contrer toute tentative de dérive dictatoriale ; garantir la bonne gouvernance ; lutter contre l’impunité ; assurer l’alternance démocratique (article 220). C’est pourquoi, non seulement le mandat du président de la République n’est renouvelable qu’une seule fois, mais aussi, il exerce ses prérogatives de garant de la Constitution, de l’indépendance nationale, de l’intégrité territoriale, de la souveraineté nationale, du respect des accords et traités internationaux ainsi que celles de régulateur et d’arbitre du fonctionnement normal des institutions de la République avec l’implication du gouvernement sous le contrôle du Parlement (exposé des motifs).
Face à toutes ces tares que vous décriez si clairement, quelle proposition faites-vous pour que cessent ces violations et que soit restaurée à jamais votre dignité pour le bonheur de tous ?
Un engagement, une implication et une mobilisation de toute la population pour faire échec à toute tentative de ma modification. Prenez votre destin en main. Le bonheur d’un peuple ne se marchande pas entre politiques mais il se construit avec le concours de toutes les forces vives. J’en ai marre d’être opérée pour des pathologies montées de toute pièce. Ces révisions intempestives et abrutissantes me font râler. Si vous n’y prenez pas garde, la RDC va sombrer dans une situation plus catastrophique encore que celle d’aujourd’hui. Il n y a pas honte d’avoir peur. Vous pouvez vaincre vos peurs et en faire vos forces.
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Chantal Faida Mulenga-byuma habite à Goma, dans la province du Nord-Kivu, en RDC. Vous pouvez aussi la suivre sur Twitter (@ChantalFaida) et la lire sur son blog.