Par Jean-Pierre Mbelu
La guerre de basse intensité menée contre la RDC peut revêtir plusieurs formes. Elle peut prendre, à certains moments, la forme des accords rédigés derrière le dos de nos populations et avalisés par « les négriers des temps modernes ». L’accord-cadre signé à Addis-Abeba le 24 février 2013 pose un certain nombre de questions. Elle vient, en quelque sorte, falsifier l’histoire de la sous-région de Grands Lacs et confirmer le viol permanent du droit humanitaire international. Quelques criminels de grand chemin l’ont signé. C’est très grave.
Est-il possible de signer un accord sans l’avoir négocié ? Est-ce du ressort de la communauté internationale (occidentale) de proposer aux présidents africains et aux autres « nègres de service » de signer des textes non soumis au débat (populaire) ? Un accord suppose quand même que les parties en présence « s’accordent » en fonction des charges qu’elles assument et qu’ils jouissent du mandat de ceux qu’ils sont supposés représenter !
Et puis, qui a rédigé l’accord-cadre signé à Addis-Abeba le 24 février 2013 ? Est-ce normal qu’à l’aube du XXIe siècle, il y ait encore « des esclaves » et « des négriers » ne sachant ni lire ni écrire et à qui « les maîtres » imposent de parapher des textes qu’ils ont demandés à « leurs experts de rédiger » ? Pour rappel, quand les esclaves achetés en Afrique arrivaient par exemple aux USA, « leurs maîtres » étaient tenus de ne pas leur apprendre à lire ou à écrire. Et quand le roi Léopold envoyait ses émissaires signer « les traités » avec les chefs indigènes du Congo ne sachant ni lire ni écrire, il leur demandait d’imposer à ces derniers d’apposer un « X » au bout du document. D’ailleurs, note Adam Hochschild, « le mot « traité » était un euphémisme, car de nombreux chefs n’avaient aucune idée claire de ce qu’ils signaient. Rares étaient ceux qui avaient vu auparavant un mot écrit et on leur demandait d’apposer un X sur un document en langue étrangère et rédigé dans un jargon de juristes.[1] » La signature de l’accord-cadre d’Addis-Abeba constitue une grave régression dans les relations de l’Afrique avec la communauté internationale (occidentale). Elle est un témoignage de racisme et de mépris à l’endroit des peuples africains en général et de ceux de l’Afrique des Grands Lacs et Australe en particulier. Quelques « négriers des temps modernes », habillés en costume-cravate comme « leurs maîtres », ont apposé « un X » au bout d’un texte compromettant pour l’avenir collectif des peuples africains.
Pour rappel, les autres accords ayant précédé celui d’Addis-Abeba, comme celui de Lusaka[2], n’ont jamais été rédigés et débattus par leurs signataires. Et les conséquences en ont été désastreuses pour notre pays et pour la sous-région des Grands Lacs.
Aussi l’accord-cadre d’Addis-Abeba veut-il faire d’une pierre plusieurs coups. Il veut mettre fin au débat congolo-congolais sur la vérité des urnes et la légitimité politique du pouvoir usurpateur en place au Congo en considérant Joseph Kabila, « nègre de service », comme président du Congo. (Cela malgré les tricheries et les fraudes et tout le débat entre Ngoy Mulunda, ex-président de la CENI, et les Baluba-Kat.) Il veut innocenter les véritables acteurs pléniers de la guerre de basse intensité sévissant en RDC en en faisant les membres du « comité de suivi ». Il veut faire de cette guerre une simple question de « violence, de viol et de graves violations des droits de l’homme » alors qu’elle est une atteinte grave au droit humanitaire international. Et par des mécanismes subtils, cet accord reconduit les propositions d’Herman Cohen et de Nicolas Sarkozy invitant le Congo à partager ses richesses avec les pays voisins, sous-traitants par excellence des multinationales.
L’accord d’Addis-Abeba est, dans une certaine mesure, une relecture falsifiée et une réorientation néocoloniale de notre histoire collective en fonction des intérêts de « nouveaux leaders » de la « Nouvelle Afrique » (Museveni, Kagame et Kabila) et de leurs parrains.
Il faut lire le texte pour s’en convaincre. Cet accord ne fait aucune allusion aux millions des morts congolais et aux rapports des experts de l’ONU qui en ont indiqué une partie de responsables. Et, il vient régler un différend ayant été entaché des relations au cœur de « la troïka » (USA, France, Belgique) après la chute du Mur de Berlin et « le génocide rwandais ».
En effet, les USA, vainqueurs de la guerre froide ( ?), tenaient à régner sur le monde et sur l’Afrique centrale sans partage. Ils voulaient mettre fin à l’influence de la Belgique et de la France dans cette partie du continent africain. Dans cet accord-cadre, que remarquons-nous ? Dans le « mécanisme de suivi » de 11+ 4, les Etats-Unis d’Amérique, la France et la Belgique sont nommément cités. Ils vont, selon cet accord, régler leur différend sur le dos du « grand Congo ». Cela prouve que contrairement aux accords de principe et aux apparences, tous ces pays sont en guerre et de manière permanente. Sur cette question, Michel Collon a raison quand il écrit : « Les trois grands (ex-)blocs (Etats-Unis, Europe, Japon) mènent la guerre chaude, froide ou tiède, contre les peuples du tiers-monde. Mais ils se font aussi la guerre entre eux pour savoir qui va dominer le monde et ses richesses. La guerre économique bien sûr. Mais aussi la guerre politique et, dans certaines conditions, militaires. Quand le rapport de forces change entre les grandes puissances, quand une superpuissance veut en remplacer une autre, ou simplement la priver de l’accès à certaines matières stratégiques, cela se règle aussi par la violence. Soit directement, soit indirectement par l’intermédiaire d’Etats ou de mouvements contrôlés. [3]» Par le Rwanda et l’APR/FPR, la Belgique et la France ont été chassées de la sous-région des Grands-Lacs par les USA, la Grande-Bretagne et Israël. Leurs diplomaties ont dû batailler durement pour que le différend soit réglé. Elles pourraient revenir officiellement moyennant cet accord.
Il est quand même étonnant que tous ces pays dont les politiques économiques sont en train de conduire leurs populations à la ruine soient ceux que l’ONU propose comme « guides » dans le mécanisme de suivi. Bon sang ! Que vont-ils apporter au Congo ? Un supplément de mesures d’austérité par l’entremise des IFI ? Nous avons là une preuve suffisante de l’incapacité de l’ONU à se départir de sa prise en otage par les pays membres du Conseil de sécurité et vainqueurs de la seconde guerre mondiale.
Et pourtant, un pays comme le Congo aurait besoin d’être accompagné par d’autres pays que ceux qui sont devenus les esclaves de la démocratie du marché financiarisé.
Et certains de ces pays étaient au sommet à Malabo le 22 février 2013. Il y avait le Brésil, le Venezuela, la Bolivie, l’Equateur, le Ghana etc. Disons que le Congo aurait tout intérêt à s’inspirer du socialisme (latino-américain) du XXIe siècle que la démocratie du marché, soubassement de l’impérialisme et du néocolonialisme occidental. Y arriver à un prix préalable à payer : apprendre à lire et à écrire pour rompre avec l’esclavage des temps modernes. Mais aussi, mettre hors d’état d’agir les « négriers des temps modernes » et leurs clans, constituer de grands mouvements de masses emprunts de civisme et de patriotisme devrait figurer en permanence à l’agenda des minorités congolaises organisées et agissantes. De toutes les façons, elles ne sont pas liées par un accord-cadre signé par un « nègre de service » derrière le dos de nos populations.
Mbelu Babanya Kabudi
[1] A. HOCHSHILD, Les fantômes du roi Léopold. La terreur coloniale dans l’Etat du Congo, 1884-1908, tr. de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Claude Elsen et Frank Strashitz, Paris, Tailandier, 2007, p. 126.
[2] Lire P. PEAN, Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Paris, Fayard, 2010, p. 398.
[3] M. COLLON, Bush, le cyclon, Bruxelles, Oser dire, 2005, p.20-21.