L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu décrypte la visite et les déclarations de John Kerry à Kinshasa, analyse les rapports entre les élites dominantes et leurs nègres de service, dénonce les dangers qu’il y a pour les congolais d’être obnubilés par le processus électoral, revient sur les violences faites aux congolais au Congo-Brazzaville et explique pourquoi les congolais se doivent impérativement de récupérer l’initiative historique.
Sur la visite de John Kerry à Kinshasa
Que se passe-t-il maintenant pour que les USA puissent venir au Congo, s’agiter et demander à Kabila de ne pas aller au-delà de ce qui est prévu par la constitution congolaise ? Est-ce que parce que les USA font partie du conseil de sécurité des Nations Unies ou tout simplement parce que les USA estiment que le Congo est l’un des Etats américains et sur lequel ils voudraient à tout jamais mettre la main, et au sein duquel ils voudraient imposer leur idéologie de la domination unilatérale et globale.
Quel est le pouvoir que Kabila exerce au Congo et auquel on voudrait l’inviter à renoncer ? Kabila ne dirige pas le Congo. Il participe simplement à la théâtralisation de l’occupation du Congo par certaines forces africaines et la communauté occidentale. Par le biais de Joseph Kabila, le Congo est devenu la colonie de la communauté occidentale.
Pourquoi John Kerry est là maintenant au Congo ? Pourquoi les leçons qu’il donne au Congo, il ne les donne pas au Rwanda ou en Ouganda, par exemple ?
On peut piller le Congo, tuer les congolais pour construire Kigali. Kigali peut organiser des massacres et des assassinats à travers le monde. Ce n’est pas un problème pour les Etats-Unis, du moment que Kigali participe au pillage des ressources du Congo pour les confier aux receleurs qui sont les multinationales occidentales.
Nous devons éviter de nous focaliser sur ce qui est dit par les acteurs extérieurs fussent-ils majeurs.
Sur la communauté occidentale
La communauté occidentale est d’abord un esprit, un esprit d’arrogance et de domination qui caractérise certains membres du conseil de sécurité des Nations Unies, qui travaillent avec leurs alliés afin de dominer le monde de manière unilatérale. Et les Etats-Unis sont à la tête de cette communauté, par le biais des élites anglo-saxonnes dominantes.
Sur les propos et les déclarations de John Kerry
Quand les USA s’agitent de cette manière, c’est qu’ils ont déjà jeté leur dévolu sur un « autre oiseau » rare pour pouvoir présider aux destinées marionnettistes au Congo. Comment nous congolais, allons-nous travailler pour que ce ne soit pas les mêmes cosmocrates, les mêmes acteurs majeurs qui continuent de gérer le Congo de l’extérieur ? Comment pouvons-nous travailler, aujourd’hui, demain, après-demain, pour renverser les rapports de force de façon que le Congo devienne réellement un pays souverain et s’émancipe politiquement de ceux qui tiennent à le diriger de l’extérieur depuis les années 1960?
La RDC, aujourd’hui, n’est pas un pays souverain. Il est à la fois une colonie de la communauté occidentale et un pays sous occupation et sous-tutelle. Dès que nous perdons cela de vue, nous faussons nos analyses. Le baratin de John Kerry aurait ceci comme objectif : embrigader les congolais dans un processus électoral qu’ils ne contrôlent pas.
Les USA parlent de la démocratie et des droits de l’homme au Congo pendant que la CIA participe avec des néonazis aux massacres de populations civiles en Ukraine. Les déclarations de John Kerry sont d’autant plus une farce que Kerry et les autres font partie de l’élite dominante qui a tué la démocratie aux USA, au point qu’aujourd’hui les USA sont l’un des pays les plus inégalitaires au Monde. Le modèle démocratique, ou du respect des droits de l’homme auquel John Kerry se réfère, c’est lequel ? Parce que son pays n’est pas ou plus une démocratie.
Sur l’obsession des congolais pour le processus électoral
Vous avez beau aller aux élections, mais si vous ne jouissez plus du droit de votre sol et de votre sous-sol, si vous n’avez plus la maîtrise de votre administration, si vous n’avez pas la maîtrise des services de sécurité et de la police, comme c’est le cas aujourd’hui, vous irez aux élections, vous choisirez qui vous voudrez, mais après les forces de sécurité que vous ne contrôlez pas, pourront arranger les choses à leur guise. On est tellement obnubilé par le processus électoral qu’on ne se pose presque plus de questions sur qui gère les forces de sécurité au Congo. Qui gère la police ? Qui gère l’armée ? Pourquoi il y a-t-il jusqu’à ce jour des membres du CNDP à l’EFO à Kananga ?
Après les élections en 1960, quand Lumumba et ses amis ont pris le pouvoir, ils n’avaient ni la maîtrise de l’administration territoriale, ni la maîtrise de la police et de l’armée. Et nous avons vu le résultat. Ne sommes-nous pas en train de reconduire les mêmes erreurs, en ayant un parlement et un sénat bien payé et entretenu pour distraire les masses populaires congolaises.
Sur la récupération de l’initiative historique par les congolais
Nous devons lire ce qui se trame aujourd’hui à Kinshasa, en fonction de ce qui s’est tramé hier, et avant-hier, par exemple quand Mobutu a fait le coup d’Etat à Lumumba, ou encore quand Bill Richardson est venu donner à Mobutu une lettre lui demandant de quitter le pouvoir s’il ne voulait pas voir son cadavre traîner dans la rue. A toutes ces étapes là, ce sont à peu près les mêmes acteurs extérieurs qui ont joué les premiers rôles. Nous ne sommes pas, pour la plupart, les véritables acteurs de notre histoire. Il y a, comme une urgence, de pouvoir récupérer l’initiative historique.
Quand l’AFDL est rentré au Congo, nous avons applaudi des mains et des pieds. Il a fallu 5, 10, 15 ans pour que certains d’entre nous commencent à croire que cette aventure de l’AFDL était un marché de dupes. C’était le début de la néocolonisation du Congo par les élites dominantes anglo-saxonnes.
Malheureusement, nous commençons déjà à oublier. Pour éviter la (mauvaise) répétition de l’histoire, il faut l’étudier.
Le manque d’information, la désinformation, la lobotomisation de nos masses populaires et de nos intellectuels nous conduit souvent à applaudir certains faits sans les avoir analysé.
Sur les élites dominantes et leurs nègres de service
Quand vous étudiez l’histoire des élites dominantes avec leurs nègres de service, très peu ont bénéficié après de leurs largesses. L’élite anglo-saxonne n’a aucun respect pour ses nègres de service. Pourquoi ? Parce qu’elle est convaincue que ce sont des gens qui ne sont pas respectés par leurs peuples et donc elle peut les faire sauter à tout moment. Comme elle utilise ses nègres de service contre leurs peuples, elle sait que le jour où elle décide de les éliminer, le peuple ne va pas regretter.
C’est d’ailleurs ce que nous sommes en train de vivre aujourd’hui. Si Kabila avait travaillé avec les masses populaires, ces dernières peut-être se lèveraient pour dire qu’elles veulent le reconduire, mais comme Kabila et son « gouvernement » ont travaillé contre les masses populaires et exercé un pouvoir de prédation et d’extermination, les congolais veulent à tout prix s’en débarrasser. Par ailleurs, des congolais à la CPI, pour les massacres en Ituri, ont témoigné contre Kabila.
C’est comme si certains se complaisaient dans ce rôle de nègre de service malgré tout, comme s’ils refusaient d’être eux-mêmes et avaient perdu toute fierté d’être dignes. C’est comme si ils se disaient qu’il valait mieux être manipulés de l’extérieur, que d’être soi. Parce que être soi, ça coûte cher, ça demande beaucoup de sacrifices. Face à l’or et à l’argent, on dirait qu’une certaine élite politique congolaise et africaine, voudrait jouer aux marionnettes au lieu de vouloir assumer des rôles historiques pouvant aider nos masses populaires à se prendre en charge.
Sur les violences faites aux Congolais à Brazzaville
Que reprochons-nous au Congo-Brazzaville ? Est-ce le fait d’avoir une administration qui fonctionne mieux que celle qu’il y a en RDC ou le fait de maltraiter les compatriotes congolais qui sont sur leur territoire et qui sont obligés de partir?
Nous ne pouvons pas à la fois nous plaindre parce qu’il n’y a pas eu de recensement chez nous, parce que l’identité congolaise est bradée chez nous, parce que nous voudrions qu’il y ait un peu plus de sérieux, et que nous sachions qui est congolais et qui ne l’est pas, nous ne pouvons pas à la fois faire cela et puis condamner Sassou parce qu’il dit aux congolais que leurs papiers ne sont pas en ordre et qu’ils doivent rentrer chez eux.
Ensuite que nos compatriotes soient chassés du Congo-Brazza dans des mauvaises conditions, cela est à déplorer. Des contacts devraient être pris entre nos deux pays pour qu’on en sache un peu plus. Mais, est-ce que les refoulés qui arrivent chez nous sont convenablement pris en charge chez nous ? Mais il semble même que certaines personnes, parmi les refoulés congolais, ne sont pas congolaises. Il serait probable, que ce qui s’est passé quand les hutus et les tutsis ont fui leur pays, se passe encore une fois, maintenant.
Enfin, nous devons aller au-delà de l’émotion du moment. Qui sait si ce qui se passe aujourd’hui serait un piège. Une façon d’attiser les haines entre les deux Congos. Nous devons pouvoir résister à cela. Nous avons déjà difficultés avec certains autres de nos pays frontaliers (Rwanda, Ouganda, Burundi, Zambie, Angola), nous risquons d’avoir des difficultés sérieuses avec le Congo-Brazza. N’y a-t-il pas là une tentative de la politique du diviser pour mieux régner.
Finalement, Sassou a été le premier à oser dire que Kagamé est un paralytique et Kabila un cheval de troie.
La RDC est un état manqué. Il n’y a pas d’Etat du tout, il n’y a rien, en RDC. Pourquoi s’interroger sur le silence de Kabila ? Kabila n’est pas venu travailler pour les congolais. Quand il s’occupe des congolais, c’est pour les exterminer.