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Penser les élections de 2016 à partir de celles de 2011

Penser les élections de 2016 à partir de celles de 2011

Penser les élections de 2016 à partir de celles de 2011 IN

Par Jean-Pierre Mbelu

Si la modification de la constitution en 2011 a conduit au maintien de Joseph Kabila à ‘’la tête de la RDC’’, il serait imprudent de croire qu’une autre intervenant avant 2016 irait à l’encontre de ‘’la politique’’ que ‘’le raïs’’ sert. Les élections ne se jouent pas toujours dans les urnes. Celles de 2011 ont été gagnées frauduleusement le jour où le mode d’élection à la présidentielle est passé de deux tours à un seul. Telle est le fait sur lequel il serait intéressant de méditer avant le prochain processus électoral qui risque d’être un véritable piège-à-cons.

Le souhait de voir le Congo devenir un Etat de droit démocratique arrive à manger certains cœurs et certains esprits congolais au point de les conduire à prendre les vessies pour des lanternes. Ces cœurs et ces esprits naviguent à vue, forts d’une conviction : il faut éviter la politique de la chaise vide. Encore faudrait-il qu’il y ait réellement de la politique qui se fasse en RDC ! Où voulons-nous en venir ? En 2011, à la veille des élections, la constitution est modifiée. Le mode d’élection du président de la république passe de deux tours à un seul. Les compatriotes épris de la conviction de l’évitement de la chaise vide ont fait semblant de ne pas comprendre que les initiateurs de la modification de la constitution avait déjà désigné le gagnant de ces élections. Ils ont mobilisé les masses congolaises. Pour sa part, recourant aux fraudes et tricheries massives, la CENI a reconduit Joseph Kabila comme président de la République. Les masses mobilisées et leurs mobilisateurs n’ont pas pu s’engager dans un activisme politique et citoyen à même d’infléchir la position de la CENI.

Dans un ouvrage collectif traitant de l’Etat du monde en 2014, Jean-Claude Willame revient sur ce rendez-vous politique manqué en ces termes : « Joseph Kabila entend montrer à l’extérieur qu’il est un « démocrate ». Il soigne les formes en nommant les ministres réputés bons gestionnaires et en prônant un « dialogue national » pour faire oublier les irrégularités électorales de 2011 (…). Mais, coupé du terrain et de la réalité, le président Kabila « occupe le pouvoir » à travers un entourage aux contours mal dessinés depuis la disparition de son éminence grise katangaise, Katumba Mwanke, dans un accident d’avion en février 2012. »[1] Ngoy Mulunda se croyant être payé en une monnaie de singe n’a pas manqué de fustiger (au sein d’un cercle Balubakat) ‘’l’ingratitude de son frère Joseph’’ après ces élections arrangées par une commission dont il était président.
2016, c’est demain. Et depuis tout un temps, les bruits courant autour d’une autre modification de la constitution se font de plus en plus persistants. Et l’actuel président de la CENI, Apollinaire Malumalu, celui qui a fait de Joseph Kabila en 2006, à partir d’un corps électoral inconnu et du soutien avéré des parrains extérieurs[2], ‘’le roi du Congo’’, revient à la charge. Il lance un pavé dans la mare en reconduisant une proposition du mode de scrutin faite auparavant par ‘’le raïs’’. Un ‘’kabiliste pur et dur’’, Claude Mashala, initie une récolte de signatures d’une pétition devant conduire à soumettre cette éventuelle modification de la constitution au référendum populaire. Et un faux débat est lancé en ces termes : « Le constituant a-t-il prévu ou pas la modification de certains articles de la constitution après un référendum populaire ? Et s’il a prévu cela qui peut au nom de quoi l’interdire ? Toutes les constitutions du monde ne sont-elles pas révisables ? Pourquoi pas celle du Congo ? »

Ce débat formellement correct fait fi de plusieurs éléments pouvant aider à comprendre le front du refus de la modification constitutionnelle. Il y a un élément historique : la reconduction de Joseph Kabila à ‘’la présidence’’ après les fraudes et les tricheries des élections de 2011. En principe, une autre modification de la constitution qui laisserait à Joseph Kabila la possibilité d’être compétiteur pour les élections à venir, au suffrage direct ou indirect, serait un très mauvais signal. Il ne faudrait pas être un génie politique pour comprendre que cela lui profiterait abusivement.

Aussi, les tenants des élections au suffrage indirect discutent-ils comme si celles-ci n’ont pas déjà été organisées au Congo dans un passé très proche. Dans un livre-témoignage intitulé ‘’Gouverner une province en RD Congo dans les griffes du régime kabiliste’’ (et publié en 2013), l’ex-gouverneur du Kasaï Occidental traite abondamment de la pratique patrimonialiste marquant l’élection des gouverneurs des provinces au suffrage indirect. « On a vu, écrit-il, à Kinshasa, le MLC de Jean-Pierre Bemba, qui avait la majorité de sièges à l’Assemblée Provinciale, perdre le poste de gouverneur au profit du candidat André Kimbuta du PPRD. Joseph Kabila et la Majorité Présidentielle mirent toutes les batteries en marche pour conquérir la capitale, siège des institutions politiques du pays et centre cérébral du système politique congolais. C’est la puissance financière du détenteur du pouvoir qui avait déterminé l’issue électoral favorable au candidat du PPRDC. C’est un secret de polichinelle. » Même là où le PPRD n’a pas su imposer ses candidats, que ça soit dans la Province Orientale où Jean Bamanisa a battu le kabiliste Darwezi ou au Bas-Congo où Jacques Mbadu l’a emporté sur Déo Nkusu en 2012, « l’argent a circulé sous une forme ou sous une autre. »

Corrompre pécuniairement quelques députés est plus facile que s’adonner à cette pratique pour les immenses masses populaires. Cette pratique testée ces dernières années en RDC peut être à la base de l’inspiration des partisans de l’élection au suffrage indirect ayant rencontré beaucoup de difficultés dans plusieurs coins du pays aux élections de 2011. Ils ne voudraient pas changer ‘’une stratégie qui gagne’’ dans un pays où le verbe ‘’bouffer’’ (de l’argent) est de plus en plus usité.
(Mentionnons en passant la dangerosité de la corruption ‘’éthique’’ propagée par des thuriféraires du régime kabiliste à travers les slogans tels que ‘’révolution de la modernité’’, ‘’tolérance zéro’’, ‘’construction d’une université dans chaque chef-lieu de province’’, etc.)

Tout cet environnement de politique patrimonialiste est porté par une histoire écrite d’en haut par les commanditaires d’une guerre d’agression et de prédation faussement dénommée guerre de libération ; une guerre au cours de laquelle plusieurs membres du front patriotique rwandais ont faussement usurpé la nationalité congolaise et ont envahi les institutions de la RDC pour livrer ce pays aux réseaux des charognards du monde, partisans du ‘’consensus de Washington’’ et du tout marché ; avec la complicité des Congolais(es).

Sans une réécriture collective de cette histoire sur fond d’une Commission Justice, Vérité et Réconciliation en RDC et dans toute la région des Grands Lacs africains ; une réécriture collective de l’histoire portée par un activisme politique et citoyen responsable et par une révolution éthique et culturelle conséquente, les processus électoralistes conduisant à la mise sur pied des institutions formelles auront du mal à affirmer leur efficacité et leur légitimité. Il sera extrêmement difficile de refonder la politique dans cet espace africain sur le vide éthique dont il souffre atrocement.
Sans ces quelques préalables, aller aux élections après une éventuelle modification de la constitution revient à s’adonner à une politique d’autruche collectivement suicidaire. Les minorités organisées en conscience et interconnectées ont du pain sur la planche.

 

Mbelu Babanya Kabudi

[1] B. BADIE et D. VIDAL (dir.), Puissances d’hier et d’aujourd’hui. L’Etat du monde en 2014, Paris, La Découverte, 2013.
[2] Lire C. ONANA, Europe, crimes et censure au Congo. Les documents qui accusent, Paris, Duboiris, 2013.

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