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Les négociations de Kampala ou la consécration de l’indiscipline au sein des FARDC

Les négociations de Kampala ou la consécration de l’indiscipline au sein des FARDC

Les négociations de Kampala ou la consécration de l’indiscipline au sein des FARDC IN

Par Jean-Jacques Wondo

Il circule depuis quelques jours une liste des 78 officiers et combattants du M23, sur un total estimé à environ 1760 personnes, signée par Kalev Mutond, l’administrateur général de l’Agence nationale de renseignements (ANR). Il s’agit de 78 personnes à qui le gouvernement congolais refuse de réintégrer au sein des FARDC. Est-ce pour indirectement admettre que les 1622 autres combattants non mentionnés de cette force négative peuvent retrouver tranquillement leur place dans l’armée régulière comme s’il ne s’était rien passé ?

Subtilement, Kinshasa et Kigali (géniteur du M23) semblent poursuivre une stratégie maligne des ruptures et continuités mises en place depuis Pretoria et Sun City, au grand dam des populations civiles congolaises de l’est du Congo dont le tort est de vivre dans un espace géographique convoité par le Rwanda et ses parrains. Certains faits tendent à créditer cette thèse. D’abord au mois d’août 2013, l’idée de pardon et de réintégration a été émise pour la première fois par le porte-parole des FARDC au Nord-Kivu, le Colonel Olivier Hamuli, qui l’a explicitement mentionnée en demandant aux rebelles du M23 de déposer les armes, car « la République est disposée à leur accorder son pardon » (Le Potentiel, 27/08/2013). Plus récemment, lors d’un point de presse, dans un langage très subtile, le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende a déclaré que le gouvernement s’interdit toute chasse aux sorcières [aux combattants du M23] en précisant que les bénéficiaires de l’Amnistie feront l’objet d’une étude au cas par cas.

Ainsi, lorsque l’on analyse de près le document publié par l’ANR où l’on qualifie entre autres comme sujets rwandais ayant évolué au sein de l’armée rwandaise les individus suivants : Ntaganda, Makenga et Cie, la première question que toute personne sensée peut se poser est celle de savoir où étaient l’ANR et la Démiap (renseignement militaire) lorsque le Commandant suprême des armées, Joseph Kabila, les a nommés aux grades d’officiers général ou supérieur et à la tête des unités opérationnelles de la 8è Region Militaire au Nord-Kivu ? N’est-ce pas là étaler publiquement non seulement l’incompétence de ces deux services mais surtout leur turpitude et complicité alors qu’il leur appartenait légalement d’informer l’autorité politique et militaire de l’appartenance de ces officiers à l’armée et à la nationalité rwandaises ?

La Démiap, l’ANR et le gouvernement congolais ne vont tout de même pas prendre l’ensemble de la population congolaise pour des cons et feindre que c’est maintenant qu’ils découvrent cette cinquième colonne de l’armée rwandaise dans les rangs des FARDC ?

Convaincu qu’en RDC la matière relative la défense reste dans les faits un domaine réservé du Chef de l’Etat, le sénateur Florentin Mokonda avait vu juste lorsqu’il adressa ce sévère réquisitoire contre Kabila et son gouvernement : « Qui nomme les généraux et les officiers supérieurs ? Tient-il compte de la compétence réelle de ces officiers ? Pourquoi a-t-on nommé des étrangers dans notre armée ? Le cas de Bosco Ntaganda en est un. Cette année, on a trouvé des officiers et hommes de troupes rwandais dans notre armée. Est-ce normal ? Que fait-on de la souveraineté de notre pays ? Peut-on s’étonner qu’aujourd’hui les armées étrangères connaissent parfaitement nos insuffisances quand le commandement militaire intègre des étrangers dans les FARDC ? (…) Messieurs du gouvernement, vous avez-vous-même préparé le terrain à l’agression et à la déstabilisation. Vous devez rendre compte au peuple congolais. Les accords secrets que vous signez affaiblissent notre armée… » (Sénat, 3 décembre 2012).

Un autre point qui rend le gouvernement congolais non crédible et suspicieux dans cette stratégie qui ne dit pas son nom entre Kinshasa et Kigali est qu’au mois de juillet, les FARDC étaient à deux doigts d’écraser la rébellion du M23. Subitement, un étrange ballet diplomatique s’activa et les troupes qui attendaient les ordres qui devaient provenir de Kinshasa (c’est déjà une anomalie opératique et tactique de décider des détails tactiques d’une guerre à plus de 1500 Km du théâtre des combats), ne les ont jamais reçus. Cela permit à chaque fois au M23 de se refaire une santé militaire pour renforcer ses positions dans sa zone d’occupation du Congo. Au contraire, c’est à Kampala que le régime congolais décide de mettre fin à cette rébellion armée. N’est-ce pas risible non ? Gagner une guerre par la voie diplomatique face à un adversaire qui n’a d’autre rhétorique que l’option belliciste pour faire valoir leurs intérêts? Comme le dit le Colonel Antoine Kasongo, « une rébellion on l’écrase, sinon elle vous écrase ». Et l’histoire de la RD Congo est remplie d’illustrations qui montrent qu’une armée qui réincorpore les mutins finit par se désintégrer.

Pourquoi faut-il éviter à tout prix de réintégrer les mutins dans une armée ?

L’art militaire, comme tout art, répond à des principes et styles exigeants qui lui sont propres. Ainsi, dans un domaine où les vies humaines sont en danger, en observant les pratiques des lois, de la réglementation et traditions militaires, on constate qu’aucune armée dite normale au monde n’accepter d’incorporer en son sein des mutins et des indisciplinés de pire espèce. C’est antithétique avec les principes fondamentaux de fonctionnement et d’efficacité d’une armée.

Avec l’insécurité récurrente à l’Est et des solutions placebo et palliatives trouvées jusque là, le moment n’est-il pas venu pour TOUS les Congolais de tirer une fois pour toutes les leçons de notre histoire, des erreurs et des ratés passés. Ne dit-on pas qu’un peuple amnésique est un peuple sans repères et donc un peuple condamné à revivre son passé sombre ? Une histoire émaillée de rebellions, de mutineries et de cas d’indiscipline qui ont eu pour corollaire de maintenir la RDC dans un état quasi permanent d’instabilité et d’insécurité compromettant son développement. Alors que le développement et la sécurité restent intimement liés, de même l’inverse : l’insécurité et le sous-développement sont indissociables.

Les toute premières phrases de l’introduction de mon ouvrage sur les Armées au Congo-Kinshasa commencent, à dessein, avec le paragraphe suivant :

« Dans l’histoire de la décolonisation du Congo belge, l’intervention brutale et soudaine de la Force publique (FP) provoqua un choc qui força, pour ce pays, le passage d’un monde à l’autre. Sans transition, le Congo est alors passé effectivement (et jusqu’à ce jour) de l’état de colonie paternaliste, conservatrice, capitaliste à celui de jeune pays indépendant, sous développé, instable et à la recherche (désespérée ?) de son identité.[1] Cette irruption soudaine de la FP fut généralement qualifiée de « mutinerie » comprise comme une rébellion collective, organisée et armée contre l’autorité légale. Elle provoqua un exode massif de Blancs, plus particulièrement de ceux qui formaient l’ossature de l’Etat (colonial), entraînant l’effondrement de celui-ci.[2]dont le pays ne se relèvera pratiquement plus jamais, du moins jusqu’au moment de la rédaction de cet ouvrage.

Toujours plus loin dans mon ouvrage, j’écris ceci à propos de l’ANC :

« On peut le constater, au moment de l’Indépendance, la stabilité de la RDC ne tenait qu’à un fil. Le 5 juillet 1960, soit 5 jours après la proclamation de l’indépendance, à la suite du premier acte d’indiscipline, qui s’était passé la veille, le général JANSSENS avait convoqué les sous-officiers du détachement caserné de Léopoldville. Il écrivit au tableau noir la phrase : « Après l’Indépendance = Avant l’Indépendance » et déclara : « La Force publique continue comme avant ». Le soir même, les troupes du Camp Nardy de Thysville (Mbanza-Ngungu), que l’on voulait envoyer à Léopoldville pour mâter l’indiscipline, refusèrent d’obéir à leurs officiers blancs qui étaient demeurés à la tête de l’armée. La première mutinerie d’une armée de l’époque contemporaine contre le corps entier de ses officiers avait commencé ! »

Cette mutinerie de la FP provoqua un désastre terrible qui a compromis l’avenir de ce pays devenu le ventre mou et le corps malade de l’Afrique médiane. Et on peut constater que toute la vie sociopolitique du Congo, de 1885 nos jours, est traversée de bout en bout par d’incessantes mutineries de ses armées depuis la Force publique (mutinerie des Batetela, mutinerie de la colonne Dhanis, mutinerie de Luluabourg…), en passant par l’ANC (une armée de mutins car née à la suite de la mutinerie de la FP, puis par les FAZ qui ont modélisé toutes sortes de perversion, d’’intraversion’ et de subversion (mutineries, pillages) qu’on peut redouter dans une armée, pour contaminer les FAC et se métastaser actuellement sous les FARDC.

La mutinerie étant acte d’indiscipline. Cela nous renvoie à la l’explication de la notion de discipline, qui reste capitale pour l’efficacité d’une armée.

La discipline en tant que fondement de base d’une armée

L’ordre, l’obéissance et la discipline sont les composantes essentielles d’une organisation militaire efficace, sans lesquels il ne peut y avoir de force armée efficace et responsable ; en réalité, l’ensemble de l’organisation militaire devra tout simplement s’effondrer. Le bon ordre et la discipline sont à une force armée efficace et responsable ce que la colle est au contre-plaqué. Ils sont les moyens par lesquels la cohésion d’une force efficace et responsable est assurée[3]. En effet, la discipline est aussi nécessaire à l’armée que l’oxygène au corps humain pour la raison supplémentaire, qu’en cas de guerre, le soldat se trouve directement confronté aux richesses de l’adversaire par la conquête et des exactions qu’il s’agit d’encadrer. Il faut donc pouvoir contrôler aussi le soldat dans les dimensions de sa vie qui ne ressortent pas directement de la pratique au combat.

C’est quoi au juste la Discipline militaire, c’est quoi au juste ?


La notion de discipline militaire reste occupe une place centrale dans mon ouvrage. C’est la raison pour laquelle je m’y suis attardé pour l’expliquer en détail. D’autant que dans l’équation factorielle stratégique (ou sécuritaire) que j’ai modélisée : [SECURITE = (ANTICIPATION + EFFICACITE + DISCIPLINE) X MOTIVATION], elle fait partie des facteurs qui contribuent à l’efficacité d’une armée. Ceci pour la simple raison qu’en parcourant l’histoire militaire des armées du monde, l’on réalise qu’aucune armée indisciplinée n’a jamais gagné une guerre. On ne le dit pas souvent, l’une des raisons qui a conduit à la débâcle américaine au Vietnam concerne effectivement l’indiscipline qui s’est installée dans les rangs des soldats américains. De même, en l’espace de 25 ans, la France a connu la Défaite, la Résistance et de spectaculaires actes de désobéissance de la part de militaires de profession. De 1946 à 1965, les guerres d’Indochine et d’Algérie, puis la décolonisation, ont mis à mal nombre de certitudes tout en révélant les faiblesses des « donneurs d’ordres ».

La définition de la discipline du maréchal Maurice de Saxe (1696-1750) : « La discipline est l’âme de tout genre militaire. Si elle est établie avec la sagesse et exécutée avec fermeté inébranlable, l’on ne saurait compter avoir des troupes : les régiments, les armées ne sont plus qu’une vile populace armée, plus dangereuse à l’Etat que l’ennemi même ».C’est exactement la situation récurrente des armées au Congo qui (ont posé et) continuent de poser plus de problèmes aux populations qu’elles sont censées protéger et à leur hiérarchie car incontrôlables. Le cas du M23 est patent.

Le règlement militaire français de 1966 dit que « la discipline fait la force principale des armées ».

La discipline renvoie d’abord et avant toute à la discipline personnelle. Il s’agit d’un état d’esprit qui inspire la maîtrise de soi et qui, en situation de combat, arme le soldat contre les effets déconcertants de la peur. La discipline se reflète dans l’obéissance aux ordres et instructions légitimes ; une haute norme personnelle de comportement et de tenue ; et la manifestation quotidienne de fortitude, d’endurance et de ressaisissement dans l’adversité. La discipline est cruciale au succès des opérations et est donc exigée aussi bien sur le plan individuel que sur le plan collectif en toutes situations. Comme elle constitue le nerf de la cohésion et la base de l’excellence professionnelle, une haute norme de discipline est la qualité la plus élevée chez un soldat.

Selon le Général en retraite français Jacques Seara, intervenant en qualité d’expert militaire pour le compte de la défense dans l’affaire Jean-Pierre Bemba à la CPI, 14-08-2002, la discipline pour tout soldat c’est :

La discipline personnelle. C’est celle qu’on s’impose à soi même et qui correspond à une éthique dans le comportement. La recherche de l’exemplarité dans tous les domaines…

La discipline intellectuelle qui consiste à pouvoir donner son avis mais à ne pas contester les ordres reçus et d’accomplir la mission au péril de sa vie sauf si ces ordres sont contraires aux règlements militaires et illégaux…

La discipline collective. Celle qui fait qu’on agit ensemble, dans le même sens pour accomplir la mission. C’est aussi celle qui fait que les soldats sont responsables les uns des autres et que tout manquement de l’un est sanctionné par un rappel à l’ordre de l’autre.

Comment inculquer la discipline ?

Même pour ceux qui sont disciplinés par nature la discipline militaire est une affaire de formation. C’est dès la formation de base que le soldat doit prendre conscience qu’en temps de paix comme en temps de guerre la discipline est indispensable à la bonne marche d’une unité et à la réussite de la mission. Au Congo, beaucoup de militaires (Officiers, sous-officiers et hommes de troupes) ne sont pas passé par une formation de base, encore moins par la PIM (Période d’Intégration Militaire) qui leur permet, par une série d’activités initiatiques, de passer de la vie d’un civil à la vie très exigeante de militaire. D’autant que le métier de soldat n’est décidément pas un métier ordinaire. Défenseur de la société aux ordres du système politique dans une démocratie le soldat est caractérisé par deux dimensions essentielles. Porteur d’armes, il a le pouvoir de donner la mort au combat, sur ordre. Mis en péril par les armes de l’ennemi, il accepte de donner sa vie pour son pays[1]. En conséquence, faire respecter la discipline c’est le premier grand défi de toute armée. Cela relève du rôle et du devoir de tous, mais surtout ceux des chefs. Ils doivent le faire avec fermeté en sanctionnant à leur échelon TOUT manquement au code de conduite et aux règlements. La fonction disciplinaire s’exerce donc hiérarchiquement. L’application des punitions prévues par le règlement militaire peut s’avérer insuffisante dans les cas très graves. Il appartient alors aux chefs de faire recours à la justice.

Ainsi, on se rend compte que la discipline reste capitale pour l’existence, l’efficacité et la survie d’une armée. Extrapolée au du M23 et aux négociations qui se déroulent à Kampala, on comprend dès lors que traiter la problématique de la réintégration dans l’armée loyaliste des éléments qui se sont mutinés et rebellés, c.à.d. qui ont enfreint la discipline militaire, avec légèreté présente le risque d’ébranler tout l’échafaudage conceptuel sur lequel se fonde toute armée qui se veut respectueuse et républicaine.

La problématique de l’indiscipline et ses conséquences restent un fléau endémique et transversal à toutes les forces armées du Congo, depuis la Force publique. Or la discipline renvoie à la notion d’éthique militaire.

 

L’Éthique comme profession de foi du militaire

Étymologiquement, « Ethique » vient du grec « Ethikos » qui veut dire moral et de « ethos » qui signifie mœurs. L’éthique est la science de la morale et des mœurs. C’est une discipline philosophique qui réfléchit sur les finalités, sur les valeurs de l’existence, sur les conditions d’une vie heureuse, sur la notion de « bien » ou sur des questions de mœurs ou de morale. Elle peut également être définie comme une réflexion sur les comportements à adopter pour rendre le monde humainement habitable. En cela, l’éthique est une recherche d’idéal de société et de conduite de l’existence.

En 1869, William WINDHAM a écrit que les forces armées constituent généralement « une classe d’hommes qui se distinguent de la masse, qui reçoivent une formation axée sur des objectifs particuliers, auxquels on inculque des notions spéciales, qui sont régis par des lois spéciales…». Pour Alexandre ANGUINETTI, « l’armée n’est pas un simple service public. On y accepte de mourir. Cela fait la différence » (Histoire du soldat, de la violence et du pouvoir ? 1979).

L’éthique militaire ainsi que les valeurs et les normes qu’elle sous-tend sont les fondements de l’efficacité opérationnelle d’une armée et renvoie à une gamme de croyances, valeurs et mœurs communes qui constituent l’éthique militaire et qui amplifient ce concept. D’autre part, l’éthique du soldat repose sur l’ensemble de droits et de devoirs qui guident son action et son comportement. « Aux fondamentaux du métier militaire s’ajoute un socle éthique composé de références, de traditions et de valeurs auxquelles vous aurez à vous référer constamment dans l’exercice de vos responsabilités. » (Code du soldat de l’armée de terre française). Par conséquent, l’éthique militaire constitue le fondement de tous les aspects du service au sein d’une armée, y compris les principes et idéaux fondamentaux auxquels les hommes et femmes membres d’une armée doivent souscrire collectivement et individuellement. Quoi que tirés, à titre d’illustrations, de la réglementation militaire française, ces règles d’éthique  sont généralement, si pas universellement, admises et vérifiées dans toutes les armées du monde. Et l’armée congolaise ne peut y échapper.

En réalité, qu’est-ce que tout cela veut dire et comment les interpréter aujourd’hui ?

Dans une armée, l’éthique militaire requiert, de tous ceux qui le pratiquent, d’avoir en commun un même et unique but : la sauvegarde de la paix, la défense de l’intégrité territoriale et de la liberté du pays. Un objectif qui doit leur permettre de créer un esprit de corps. Le maintien de l’éthique militaire est essentiel à l’efficacité d’une armée en temps de guerre et à son état de préparation en temps de paix. Si l’éthique en vient à disparaître, être mal définie ou s’effriter, alors l’armée risque d’être gravement atteinte, voire ébranlée. En effet, ses membres sont alors moins disposés à accomplir avec responsabilité et dévouement leurs missions et ne comprennent pas exactement ce qu’est le véritable professionnalisme militaire. Les normes de commandement, de discipline ainsi que de préparation et d’efficacité opérationnelles subissent également un contrecoup néfaste. De plus, le relâchement de l’éthique militaire incite les militaires à considérer le service militaire comme un simple emploi et à s’attarder à des intérêts personnels plutôt qu’aux obligations inhérentes à la profession.  Dans ce cas l’armée cesse d’être républicaine pour devenir une armée de milices ou de mercenaires qui s’engagent pour tirer des profits ou défendre des intérêts particuliers.

C’est ce que l’on constate aujourd’hui, comme hier dans les FAZ, au sein des FARDC. L’absence d’éthique militaire a permis le développement d’une forme d’éthique militaire « perverse et délinquante» dissociée du caractère républicain de l’armée et axée sur des concepts erronés d’élitisme, de pouvoir, de défense des intérêts communautaires et d’honneur, ce qui se traduirait par des écarts de discipline et des comportements répressifs en l’encontre des populations civiles ou par des mutineries. Dès cet instant, un soldat cesse d’être militaire et devient un milicien. C’est exactement ce qui se passe avec toutes les milices qui écument à l’Est de la RDC.

 

L’Esprit de corps pour cimenter l’unité et la cohésion d’une armée

L’esprit de corps doit résider en l’identité militaire commune des membres de l’armée congolaise et leur engagement commun en tant que citoyens volontaires au service de l’Etat congolais. Il doit procéder de l’organisation et des institutions des Forces armées Congolaises, y compris sa discipline, ses normes et ses procédures d’auto-réglementation telles que l’application du Code de discipline militaire par les commandants ; l’élaboration et l’application d’une doctrine militaire appropriée à la position géopolitique et au statut géostratégique de la RDC.

Comment peut-on créer un esprit de corps dans une armée avec des mutins qui ont des revendications ethno-communautaires ? L’esprit de corps se manifeste en outre dans les uniformes et les insignes portés, les saluts échangés, la structure nationale et la composition multiethnique des unités et des services, ainsi que la panoplie d’us et coutumes, de cérémonies et de traditions qui doivent caractériser le service au sein des Forces congolaises et lui confèrent un caractère distinct par rapport aux autres institutions et aux autres nations. Comment peut-on forger un esprit de corps au sein d’une armée noyautée par des éléments étrangers et où la haute hiérarchies fournit des uniformes militaires congolais, signes distinctifs d’attachement à une nation, le Congo, aux soldats rwandais pour venir opérer en territoire Congolais, à l’instar des images montrant le colonel Yav de la Démiap rigolant avec les troupes rwandaises venues opérer au Congo en tenue FARDC (http://www.lecongolais.cd/video-retrait-des-troupes-rwandaises-du-rutshuru-le-col-jean-claude-yav-doit-repondre/)?  Pour ceux qui sont passés par une formation militaire attestée, notamment par la PIM (mentionnée plus haut), où l’on inculque l’importance des signes, des symboles, des traditions et du caractère sacré de la tenue militaire nationale dans la création de la cohésion armée-nation, comprennent la gravité des faits susmentionnés.

Au Canada, par exemple, depuis 1992, la formation éthique est au centre de la formation militaire au point d’y inclure des cours spécifiques sur l’éthique et le Credo du militaire canadien. Ces cours explorent les complexités des concepts éthiques en abordant des sujets comme l’obligation morale, le fondement moral des valeurs militaires traditionnelles et l’étude des codes d’honneur. De plus, la formation et le perfectionnement en éthique occupent une place importante dans le programme d’études du Collège d’état-major canadien.

En Belgique, l’ouvrage 150 ans d’Ecole (Royale) Militaire – Mémorial 1834-1984 consacre un chapitre entier à la formation éthique (pp.327-346). Une notion capitale dans la formation d’un officier. On peut notamment y lire : « Etre officier, c’est partager un idéal, rechercher les responsabilités du commandement, accepter un style de vie contraignant, s’imposer une tenue, une discipline spécifiques. Etre officier, c’est donc, en un mot, se conformer aux principes d’une « éthique ». Aussi, pour former l’élève-officier, ne suffit-il pas de lui donner un bagage scientifique et une instruction militaire de haute qualité. Il faut encore, et surtout, lui inculquer une foi, l’amener à un engagement, en faire un « leader », un entraîneur. L’objectif de cette formation éthique est d’ancrer, chez le candidat officier, une foi rayonnante en sa mission, l’amener à un engagement total, en d’autres mots, « l’armer moralement » de sorte en en faire un « officier-citoyen » et non officier milicien ou officier militant. C’est dans l’attachement au pays qu’il trouve la source de sa foi, qu’il découvre ces « valeurs essentielles : paix, liberté, bien-être, qui ne sont jamais acquises définitivement (Allocution du Roi BAUDOUIN Ier, 6 juin 1980 à l’ERM). C’est aussi au nom de l’attachement au pays qu’il peut être conduit à exiger de ses hommes le sacrifice suprême.

Quel attachement au Congo peut-on trouver dans le chef des mutins du M23 amarrés au Rwanda ?  Qu’en est-il réellement des officiers FARDC? Une armée devenue un ramassis de délinquants de pires espèces, du sommet jusqu’à la base. Une armée où discipline et culte de l’honneur sont inexistants, un binôme pourtant essentiel à l’exercice du métier militaire ?

Ainsi, pour toutes les académies militaires, respectueuses de leur dénomination, la formation à la discipline et l’éducation à l’honneur, pièces de choix dans la formation d’officier, conduisent ce dernier à bannir sans hésitation – dans l’exaltation du combat comme dans le train-train quotidien – toutes les compromissions, toutes les lâchetés, toutes les tricheries et toue acte d’indiscipline. Par analogie, pour tout soldat congolais, quel que soit son grade, l’éthique militaire doit supposer impérativement d’abord et prioritairement le dévouement envers son pays, pas à son ethnie, le respect des valeurs nationales (et non ethniques) congolaises et des normes internationales relatives au jus in bello, et l’engagement à l’excellence professionnelle.

 

Le chef doit faire appliquer la loi en sanctionnant avec fermeté tout acte d’indiscipline 

L’armée étant appelée à être le corps sain d’une nation, en tant que accoucheuse de l’Etat, il est important d’en extirper tout élément perturbateur. Comme disait le feu Général Mahele, haranguant les troupes après les pillages de 1993 : « Armée ezali ekunde te (l’armée n’est pas une poubelle), le pardon ne fait pas la force des armées ». Les négociations de Kampala en cherchant à tout prix à pardonner et amnistier une fois de plus 1622 mutins multirécidivistes ne fera qu’entrainer l’armée Congolaise vers l’abîme. En droit pénal,  civil ou militaire, la multirécidive est une circonstance aggravante qui ne mérite aucune clémence mais bien de sanctions disciplinaires et pénales très lourdes assorties des mesures de sûreté très sévères.

Au mois de juillet dernier le chef de l’Etat a publié la loi portant statut du militaire. Une loi qui introduit un régime disciplinaire sanctionnant tout manquement au règlement militaire.

Cette loi dans son article 240 sanctionne au :

  • Point : «le fait pour l‘officier ou sous-officier de présider ou d’être membre d’une association sportive civile ou autre association à caractère politique ou tribal». Le cas du général Amisi Tango Four, président des clubs de football Maniema union et AS Vita Club
  • Point 10 : «le fait de piller et/ou de se mutiner». Le cas des TOUS les 1760 soldats du M23.

Alors Monsieur le président Kabila, ne soyez pas celui qui bafoue la loi que vous venez fraîchement de publier. Le Peuple Congolais attend de vous de sanctionner énergiquement, afin de lutter contre l’impunité qui gangrène l’armée congolaise, TOUS les mutins du M23 qui n’ont plus leur place dans les FARDC ? Beaucoup d’entre eux (non cités dans la liste des 78 gradés) sont des sujets rwandais et doivent retourner chez eux et non être réintégrés dans les FARDC. L’ANR doit également publier leurs noms. D’autres par contre, peuvent bénéficier des programmes DDR pour les orienter vers une réinsertion socioprofessionnelle réussie dans la vie civile ; surtout pas dans l’armée. En voulant réintégrer des mutins indisciplinés qui ont causé des morts au Congo, avez-vous pris le temps, Monsieur le Président, de penser aux hommes de troupes sous votre autorité de Commandant suprême, envoyés bêtement à la boucherie et qui sont tombées sous les balles du M23 ? Avez-vous pensé à leurs veuves et orphelins et à des millions de victimes collatérales de toutes les rébellions et mutineries causées du fait de l’indiscipline dans les forces armées et de l’incapacité de votre régime, depuis plus de 12 ans,  de restaurer la sécurité et l’autorité de l’Etat dans le pays pour permettre aux populations de vivre en paix ?

Monsieur le Président, Commandant suprême des FARDC, le Peuple congolais attend de vous des signaux forts et non des compromissions qui ne sont qu’un emplâtre sur une jambe de bois. Particulièrement au moment où il vous faut prendre, en toute liberté et conscience, des décisions à la suite de vos propres concertations que vous avez initiées en dehors de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba aux fins de cimenter la cohésion nationale soi-disant ébranlée du fait de la guerre à l’Est.

 

Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Analyste des questions politiques et sécuritaires de la RD Congo
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[1] VANDERSTRAETEN, L-Fr, De la Force publique à l’Armée nationale congolaise : Histoire d’une mutinerie, juillet 1960, 1985, p.13.

[2] VANDERSTRAETEN, Louis-François, ibid., p.13.

[3] MUBANGU, Bin Amisi, République démocratique du Congo, 1960-2010, De l’ANC aux FARDC, 2010, 59 p.

[4]François Cochet, Etre soldat, De la Révolution à nos  jours, Armand Colin,  Paris, 2013, 285p.

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