L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu décrypte les contradictions entre des concertations nationales soi-disant publiques à Kinshasa et des négociations à huis-clos à Kampala, expose la question cruciale des richesses du Congo au cœur du drame congolais et explique pourquoi, l’Europe et plus précisément la Belgique accorde une bonne note à Kabila.
Sur le huis-clos de Kampala
On ne peut pas aujourd’hui, après tout ce qu’on a déjà subi comme conséquences au nom des accords signés en cachette, accepter que ce gouvernement fantôche aille à Kampala pour négocier d’autres accords et cela à huis-clos.
On ne peut pas d’une part, nous faire croire qu’il y a des concertations nationales qui sont organisées et d’autre part organiser des rencontres à huis clos avec des mercenaires à Kampala… Il y a là une contradiction.
Sur les congolais et leurs dirigeants politiques
Il n’est pas vrai du tout de dire que les congolais ont les dirigeants politiques qu’ils méritent. Si nous les désignons par l’expression de gouvernement fantôche, c’est parce qu’ils sont des faux libérateurs et, pour la plupart, ils sont issus de mouvements rebelles montés par l’Ouganda et le Rwanda. Ils ne sont pas là pour servir les intérêts du peuple congolais mais pour servir les intérêts de leurs parrains qui sont les membres et les acteurs mineurs des réseaux d’élite opérant à partir du Rwanda, de l’Ouganda et de Kinshasa, chapeautés par les multinationales qui pillent notre pays.
Sur la problématique du partage des richesses congolaises
Aujourd’hui, la plupart de nos compatriotes vivent dans une misère noire, comment un «responsable politique » (François Muamba en l’occurrence qui participe aux négociations de Kampala) peut aller dire, « nous ne pouvons pas être heureux seuls et que nous devons partager nos richesses avec nos voisins ». Ce disant il reprend les propos d’Herman Cohen, et de Nicolas Sarkozy. C’est une preuve qu’au Congo, nous avons des politiciens de pacotille qui n’ont pas leur discours à eux.
Est-ce que pour accepter de partager nos richesses avec nos voisins, il faut qu’on nous livre une guerre de prédation qui dure depuis près de 20 ans ? Pourquoi ne pas passer par des traités commerciaux politiques et légaux pour que des échanges se fassent sans instrumentalisation de l’identité congolaise, sans instrumentalisation de l’identité tutsi, sans massacre de nos populations ?
Aujourd’hui pour pouvoir exploiter les matières premières qui sont sur le sol congolais, on extermine les populations congolaises, on les déloge des zones minières riches, pour que certains membres des communautés rwandaises, ougandaises voire burundaises viennent y vivre afin de faciliter le pillage de nos matières premières. Ainsi, on crée un antécédent fâcheux, on exacerbe les haines.
Sur la politique du deux poids, deux mesures entre le Congo et la Syrie
Regardez ce qui se passe au Moyen-Orient, ce sont les USA qui ont négocié avec la Russie sur la sortie de crise de la Syrie. C’est-à-dire que les acteurs majeurs ont pris le devant de la scène. Chez nous, ce n’est pas la même chose, on demande aux congolais ou à ceux qui font partie du gouvernement fantôche d’aller négocier avec les mercenaires. Pourquoi les multinationales impliquées dans le pillage de nos richesses ne viendraient pas à la table des négociations ? Pourquoi les anglo-saxons eux-mêmes ne viendraient pas à la table des négociations au lieu de faire passer les congolais par les sous-fifres et les mercenaires du M23 ?
Pourquoi cette politique du deux poids, deux mesures ? Il faut sortir de ce jeu de dupes et de manipulations, il faut aller vers les véritables acteurs de cette guerre.
Sur les contradictions du gouvernement fantôche de Kinshasa
Un pouvoir illégitime va-t-il sortir de son illégitimité pour rendre la politico-sociale, économique, et environnementale potable ?
On prône d’une part la démocratie et d’autre part, on interdit déjà à ceux qui veulent voir cette démocratie pratiquée de pouvoir se rencontrer et s’adresser à leurs bases.
L’espace public congolais est verrouillé et la raison majeure est que l’Etat profond, matrice organisationnelle à partir de laquelle opère le réseau congolais de prédation, travaille avec les forces de police et de sécurité, et essaie de contrecarrer tous les efforts déployés par les congolais pour faire émerger un état de droit démocratique. Il y a une contradiction permanente entre les discours et les thèmes abordés, et la pratique. Par ailleurs, le pouvoir illégitime de Kinshasa ne peut pas scier la branche sur laquelle il est assis.
Sur l’Europe et son parti pris pour Kabila
Pour bien comprendre ce qui se passe entre certains hommes politiques européens, belges notamment, et le Congo, il y a certains livres qui peuvent servir de référence comme « le livre noirs des belges zairanisés » de Vincent Delannoy et Olivier Willocx ou encore «Europe, crimes et censures au Congo : les documents qui accusent » de charles Onana qu’on a tendance à oublier après la publication de ses livres. La politique étrangère de la Belgique n’est pas différente de celle pratiquée par l’Union européenne.
Comment voulez que Reynders, impliqué dans une politique européenne qui a promu des marionnettes comme responsables du pays puisse demain dire du mal de ces responsables là ? Il faut toujours se poser des questions : à partir d’où tel ou tel politicien parle—t-il ? Qui sont ses parrains ? Quelles sont les forces impliquées dans ce qui se passe au pays ?
Nous avons tout intérêt à constituer des think-tanks, des lieux de savoir pour aller au-delà de l’émotion que provoquent de temps en temps les médias dominants.
Si nous approfondissons nos réflexions, nous saurons, comment petit à petit, avec les plus jeunes, constituer un contre-pouvoir et nous orienter vers des relations géostratégiques avec des pays et des acteurs politiques respectueux du droit international.