L’analyste politique Jean-Pierre Mbelu analyse les dessous du piège psychologique de la nouvelle commission électorale nationale indépendante, montre comment le capitalisme du désastre a rongé la classe politique congolaise, décrypte l’hypocrisie et les dangers du soutien de la communauté internationale et explique pourquoi les congolais se doivent être sur le devant de la scène pour lutter et arracher notre deuxième indépendance avant de compter sur qui que ce soit.
Sur la nouvelle commission électorale nationale indépendante au Congo
Kinshasa n’a pas l’effectivité du pouvoir et est une marionnette des grandes puissances. Il faut analyser la question politique qui se pose au Congo et en approfondir l’enjeu. L’enjeu pour les mois et années à venir est la survie du Congo. Est-ce que les choix qui sont faits aujourd’hui vont aider le pays à pouvoir survivre à son démembrement et à son explosion? Comment pouvons-nous, dans un système qui a usurpé la victoire aux élections de 2006 et de 2011, croire que cette fois-ci sera la bonne?
Si vous essayez de passer en revue le mode de fonctionnement du système qui porte le pouvoir « os » à Kinshasa aujourd’hui, vous vous rendrez compte qu’il essaie d’avancer à petit pas, avec des petites provocations qui vont souvent à l’encontre de ce à quoi les compatriotes s’attendent réellement. Les élections sont simplement une occasion de valider un choix fait au préalable. Il appartient aux congolaises et congolais éveillés de pouvoir penser déjà aux alternatives à ce qui est train de se tramer pour le moment.
Sur le piège psychologique de la nomination de l’Abbé Malu Malu
La nomination de l’Abbé Malu Malu peut être vu comme un piège psychologique conduisant à démoraliser les compatriotes qui pourraient se dire «Mon dieu, les carottes sont cuites ! ». Ainsi, ces compatriotes n’auraient plus rien à faire que de croiser les bras ou de se contenter de crier et de vociférer sans se poser les questions essentielles : Comment aujourd’hui, malgré le fait que Malu Malu est revenu à la tête de la CENI, pouvons-nous faire pour devenir les maîtres du processus historique de notre pays ? Comment nous réapproprier le processus électoral en le finançant nous-mêmes, même si le pays est sous occupation ? Il est possible de prendre le taureau par les cornes et de voir dans quelles mesures nous pouvons en nous fédérant le plus possible de venir acteurs de premiers plans du processus historique qui a cours dans notre pays. Et pour cela, l’une des orientations à prendre, c’est de nous fédérer davantage.
Il est plus que temps de nous organiser pour essayer de travailler à cette alternative qui nous permette une réappropriation du processus historique de notre pays, une réappropriation réaliste avec des orientations géopolitiques et géostratégiques bien étudiées. Nous ne pouvons pas rester en marge du processus qui est en train de se dessiner aujourd’hui, il en va de l’avenir de notre pays, de nos enfants et de nos petits enfants. Nous n’avons pas le droit de croiser les bras et de ne pas nous assumer comme véritables acteurs.
Mais il y a aussi une dimension religieuse de ce piège psychologique : On risque de réduire l’Eglise à certains de ses membres qui peuvent être des traîtres. Mais qui suivons-nous dans l’Eglise ? Est-ce que nous sommes les serviteurs de l’Evangile ou est-ce que nous sommes les serviteurs des pasteurs de l’Eglise ?
Sur la nomination de Köbler à la tête de la MONUSCO et le soutien des occidentaux
La question est la suivante : Qu’est-ce que ces messieurs là cherchent chez nous ? Les USA se portent très mal et se tiers-mondisent. Au lieu de s’occuper de leur situation interne, ils vont établir des bilans fantaisistes chez nous. Tout cela pour dire que cette guerre de basse intensité a besoin d’être coachée par les américains eux-mêmes, ou par les membres de leur protectorat qui est l’Union Européenne. N’oubliez pas que l’EUFOR qui avait soutenu les élections frauduleuses de 2006 avait été commandée par un allemand. Que ce soit un allemand, un français ou un américain, c’est blanc bonnet, bonnet blanc.
La guerre de basse intensité qui nous est menée depuis les années 1990 est une guerre des grandes puissances en Afrique centrale.
Ne perdons pas de vue que nous devons faire face 1. aux élites anglo-saxonnes dominantes, 2. à leurs alliés de l’Union européenne. Et ces gens là créent des alliances qui vont dans leurs intérêts géopolitiques et géostratégiques. Il nous appartient, en tant que peuple, de créer nous aussi nos alliances qui vont dans le sens de nos intérêts. Nous n’avons pas à beaucoup compter sur ces messieurs là, parce que quand vous essayez d’examiner la situation dans les pays européens aujourd’hui, elle n’est pas brillante aujourd’hui.
Comment voulez-vous que ces pays qui imposent l’austérité à leurs peuples et les écoutent de moins en moins, puissent chercher à créer du bonheur pour les congolais ? Nous devons, nous-mêmes, être sur le devant de la scène pour lutter et arracher notre deuxième indépendance avant de compter sur qui que ce soit. Il faut avoir en tête que le Congo est une néocolonie de cette fameuse communauté internationale.
Sur l’utilité de la MONUSCO et la capitalisme du désastre
Est-ce que ce sont les congolais qui en ont besoin ou est-ce que ce sont ceux qui ont mis le pays sous-tutelle qui en ont besoin ?
C’est la MONUSCO qui fait la police dans la néocolonie de la communauté internationale, c’est elle qui assure la sécurité dans la prédation qui se perpétue chez nous. Qu’il y ait des morts, ce n’est pas le problème de l’ONU. Cette guerre de prédation a comme matrice organisationnelle, le capitalisme du désastre. Et ce capitalisme du désastre ne comptabilise jamais les coûts humains. Il opère par un chaos orchestré, il essaie de destructurer les sociétés, les vies et les cultures pour pouvoir récréer son ordre.
Si nous ne sommes pas éveiller sur les fondements de la guerre de basse intensité au Congo nous risquons de ne pas comprendre grand-chose à ce qui est en train de se passer réellement.
Sur la classe politique congolaise et le peuple
Nous n’avons presque plus d’hommes politiques chez nous. Nous avons le plus généralement affaire à des affairistes, des messieurs en quête d’argent, par tous les moyens et ils savent comment fonctionne le système, des parlements provinciaux à l’assemblée nationale. On achète les votes, on achète tout. Ces gens sont allés trop loin dans la cupidité. Nous avons là, au Congo, les effets du capitalisme du désastre. Les cœurs et les esprits de ses petites mains ont tellement été mangés qu’on est tombé dans le post-politique : On monnaye tout, même l’émotion. Mais cela ne se passe pas qu’au Congo. Les affaires en France sont presque déballées chaque jour.
Les médias sont bâillonnés, les populations ne sont pas informés, il n’y a pas de courant électrique, ils n’ont pas de radio, il n’y a pas de vrais possibilité de s’informer ce qui se passe à Kinshasa. Quand ceux qui disent les peuples ont les politiciens qu’ils méritent, il faut rajouter la condition que ces peuples là puissent, par exemple, être suffisamment informés par une pluralité des médias, et aient un sens critique qu’ils n’utilisent pas.
Mais le sens de critique de notre peuple dans la plupart de nos provinces n’est pas aiguisé, par une information idoine ou par une éducation civique convenable. Il n’y a rien de tout cela !! Les gens essaient de battre du matin au soir pour chercher à manger et à boire, ils ont très peu de temps pour penser à ce qui se trame sur leur dos. C’est la raison pour laquelle les politiques se permettent n’importe quoi.
Sur ce qui manque aujourd’hui dans l’espace politique congolais
Ce qui nous manque aujourd’hui au Congo, c’est d’avoir des hommes et des femmes charismatiques qui réfléchissent à partir du peuple, à partir des questions que se pose le peuple, en faisant du peuple, leur première préoccupation. Cela nous manque, pourquoi ? Parce que nous partons d’un préjugé selon lequel ce sont les occidentaux qui donnent le pouvoir (et non les masses populaires). D’où le fait que presque tous les politiciens congolais opèrent à partir de Kinshasa. Le jour où nous aurons trois ou quatre leaders qui opéreront à partir de nos masses populaires, sans négliger les relations internationales, ils vont réussir à renverser la vapeur.
Sur l’hypocrisie et les limites de l’application du statut de Rome
La guerre au Congo a été commanditée de l’extérieur. Où est-ce que les commanditaires vont être jugés ? Nulle part. Si la justice et la politique internationale sont impliquées dans la guerre qui se mène chez nous, on ne peut pas chercher à appliquer le statut de Rome simplement chez nous et non pas dans les pays des commanditaires de la guerre. C’est alors une justice à deux vitesses, et l’application du deux poids, deux mesures. Et à la CPI aujourd’hui, il n’est pas normal qu’il n’y ait que des africains là-bas.
L’enjeu reste celui-ci le capitalisme du désastre opère par delà le droit international. C’est ainsi que la plupart des pays qui participent au désastre causé par ce capitalisme sont des Etats voyous. Nous vivons une période où le droit humanitaire international a été mis entre parenthèses par ceux qui agissent par le chaos orchestré. Et ce capitalisme du désastre instrumentalise le droit à son profit.
Et puis, dans le cas du Congo, vous ne pouvez pas demander aux criminels qui ont créé leur système de prédation d’organiser la justice qui les condamnerait demain. Avec le système tel qu’il est aujourd’hui au Congo, on ne peut pas organiser une justice qui conduirait à punir les criminels opérant au sein de ce système.