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La RDC, la cohésion nationale et ses fondements immatériels

La RDC, la cohésion nationale et ses fondements immatériels

La RDC, la cohésion nationale et ses fondements immatériels IN

Par Jean-Pierre Mbelu

La cohésion nationale ne se décrète pas. Elle se bâtit, sur le temps, sur des bases saines ou assainies. Peut-on à la fois prôner la cohésion nationale et pratiquer des politiques économiques antisociales ? Peut-on prôner la cohésion nationale sans une remise en question profonde des procédures politiques ayant conduit à des élections chaotiques ? Ces deux questions nous préoccupent eu égard à la campagne pour le dialogue entre Congolais(es) telle qu’elle se mène aujourd’hui à Kinshasa.

A Kinshasa, plusieurs compatriotes, membres des partis politiques et de la société civile, échangent de plus en plus autour d’un probable dialogue national. Ils estiment, à la suite de Joseph Kabila, que pour mettre fin à la guerre de basse intensité imposée à notre pays depuis les années 90, la cohésion nationale est indispensable.

Mais, il ne nous semble pas possible de travailler à l’avènement d’une véritable cohésion nationale congolaise sans une bonne maîtrise des objectifs de cette guerre de basse intensité et sans une approche conséquente de ses commanditaires externes et internes. Nous ne le dirons jamais assez, la guerre qui sévit chez nous fait partie de toutes « ces guerres secrètes des grandes puissances en Afrique » qui sont à la fois des « guerres secrètes de la politique et de la justice internationales » et des soutiens au pillage, à la corruption et à la criminalité en Afrique.» Il s’agit là de tout un système de capitalisme sauvage contre lequel le Congo, l’Afrique et plusieurs pays occidentaux et asiatiques se battent aujourd’hui. Evoquer ce système peut aider à comprendre les pièges contre lesquels les artisans de la cohésion nationale congolaise sont obligés de se battre.

Qui dit cohésion nationale (ou sociale) fait allusion à deux ingrédients immatériels indispensables à sa réalisation : un sentiment de justice et un degré minimal de confiance[1].

Pour éprouver un sentiment de justice, il faut avoir fait l’expérience d’une égalité politique entre citoyens et citoyennes ; mais aussi avoir partagée l’expérience d’une justice distributive (ou re-distributive) juste, accordant un regard préférentiel aux plus démunis de la société, aux marginalisés et aux laissés pour compte. Eprouver un sentiment de justice demande qu’on ait fait l’expérience d’un ajustement civique et collectif des citoyens à un profil de véritables patriotes vivant de la fierté d’être congolais, d’ une grande liberté d’action et d’un sens aigu de souveraineté. Egalité politique (devant la loi), justice distributive et ajustement collectif à un profil citoyen d’excellence constituent l’une des bases de la cohésion nationale.

Or, depuis plus de cinq décennies, les Congolais(es), dans leur immense majorité, font la dure expérience d’être traité(es) comme des citoyen(ne)s de seconde zone. Sous Mobutu, face aux « dinosaures » et sous les Kabila, face aux « nouveaux prédateurs ». La justice distributive est demeurée inexistante. Cela pour une raison majeure : l’application des politiques économiques d’ajustement structurel dictées par le Fonds monétaire international ; lesquelles politiques sont antisociales. Dans ce contexte, comment peut-on à la fois chercher à réaliser la cohésion sociale (nationale) tout en cherchant à appliquer les politiques économiques antisociales ? (Pour rappel, dans son dernier périple américain, Matata Mponyo, l’actuel premier Ministre de fait, devait aller s’agenouiller au FMI.)

A ce point de notre analyse, nous soutenons qu’il n’y aura pas de cohésion sociale (nationale) tant que le Congo, notre pays, sera soumis aux programmes d’ajustement structurel du FMI. Cela d’autant plus que l’application de ces programmes conduit au non-respect des droits sociaux, économiques et culturels des compatriotes ; lesquels droits sont constitutifs du sentiments de respect de soi, de dignité, de liberté et d’égalité. Elle réduit nos compatriotes à « l’état de nature » et est génératrice de violence. (L’Europe est en train d’en faire l’expérience depuis qu’elle applique les plans d’austérité dictés par le FMI) Il n’y aura donc pas de cohésion sociale (nationale) sans une résistance organisée collectivement contre le modèle néolibéral dont le FMI et la Banque mondiale sont de « petites mains ».

Les pays latino-américain qui réussissent tant soit peu leur cohésion sociale sont ceux qui utilisent l’argent de la vente de leurs matières premières (surtout le pétrole) pour financer l’éducation, la santé, le logement, les coopératives et les emplois. Ils ont coupé le cordon ombilical avec le FMI et sont en train de travailler à la mise sur pied de leur propre Banque du Sud. L’Equateur, la Bolivie et le Venezuela peuvent être cités comme exemple.

La confiance est le deuxième ingrédient rentrant dans la fabrication de la cohésion nationale.

Elle naît entre les compatriotes habitués à travailler ensemble en suivant un certain nombre de règles communes. Elle grandit là où de petites structures du quartier, de la commune ou du village essaient d’être des lieux d’échange, de débat, de palabre et d’actions à impact visible commune. Elle prend son envol sur l’esprit de solidarité, de coopération et de fraternité.

Dans un pays où les élections locales ont été toujours remises aux calendes grecques, ces petites structures sont inexistantes ; le Congo n’a pas une base organisée et structurée. Il n’a pas de véritables représentants du peuple de la base qui lui soient un peu plus proches.

Et au niveau national, les procédures électorales ont été chaotiques : il n’y a pas eu de recensement ; il y a eu achat des votes, fraudes et bourrages d’urnes, etc. A ce niveau, la confiance a été brisée ; les gouvernants issus de ces procédures sont illégitimes. Elle doit être fabriquée. Elle ne le sera pas sans que les procédures idoines soient remises en place et qu’un minimum d’éthique politique puisse être respecté.

Il peut être possible qu’au cours d’un dialogue entre Congolais(es) une entente se dégage au sujet desdites procédures. Mais il y a tout un passé de « génocide silencieux » qui attend d’être passé au peigne fin ; passé dans lequel certains « acteurs politiques » actuels sont impliqués… Notre peur est qu’il y ait « un dialogue entre copains » pour un partage compromettant des postes ; sans plus.

A notre humble avis, le Congo, notre pays, a besoin non d’un « petit dialogue » mais d’une rupture (portée par les élites « hérétiques » et les masses populaires critiques) allant dans le sens d’une refondation politique de notre pays sur des bases politiques, économiques, sociales, spirituelles et culturelles saines. Il a besoin de ses filles et fils visionnaires, capables de l’entraîner, à court, moyen et long terme dans un autre système que le néolibéral actuel. Les minorités organisées et agissantes devraient y travailler davantage.

En Amérique Latine, Rafael Correa (Equateur), Evo Morales (Bolivie) et Hugo Chavez (Venezuela) sont passés par cette douloureuse rupture plus ou moins refondatrice et se sont engagés dans le socialisme du XXIe siècle en perpétuant l’héritage bolivarien. Nous aussi, nous pouvons y arriver. Mais pas avec « les bons élèves » du FMI et les marionnettes des « maîtres du monde » sur le déclin. Il y a encore du chemin à faire.

Mbelu Babanya Kabudi



[1] Lire J.-C. GUILLEBAUD, Une autre vie est possible. Comment retrouver l’espérance, Paris, L’Iconoclaste, 2012, p. 206.

 

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