Par Jean-Pierre Mbelu.
Comme pour notre pays, l’histoire politique de ceux que nous croyons, à tord ou à raison, être nos partenaires extérieurs mérite d’être connue et approfondie pour nous éviter un gaspillage inutile de temps et d’énergie souvent lié à l’amnésie et à la lobotomisation entretenues par les médias dominants et certains intellectuels « technocrates ». Cela nous éviterait aussi de tomber facilement dans la désillusion et la résignation. La France de François Hollande ne sera pas différente de celle de François Mitterand : la Gauche, tout au long de l’histoire française, a été la gardienne intérimaire du cinéma capitaliste.
Depuis quelques mois, plusieurs compatriotes organisent des manifestations contre la tenue de la prochaine rencontre des pays ayant en partage le français à Kinshasa. Ces compatriotes ne souhaitent pas que l’actuel Président Français se rende à Kinshasa. Cela éviterait qu’il aille apporter une quelconque caution morale et/ ou « une légitimité internationale » au pouvoir issu du hold-up électoral de novembre et décembre 2011. Cette approche de la France de François Hollande donne à penser.
Symboliquement, si l’actuel Président Français refuse d’aller à Kinshasa, cela risque d’être perçu comme un coup dur porté à ceux qui ont orchestré le coup d’Etat administratif après les dernières élections dans notre pays.
Néanmoins, cette approche semble négliger le fait que la France est un pays membre de l’Union Européenne. Qu’elle s’inscrit dans la logique de la politique étrangère menée par ce grand ensemble. Jusqu’à ce jour, la France de François Hollande partage le soutien que l’UE offre au pouvoir issu du hold-up électoral de novembre et décembre 2011. Déjà à ce niveau, nous pouvons oser affirmer qu’il n’y a pas que la participation du Président Français au sommet de la Francophonie qui attesterait du soutien de la France au pouvoir-os de Kinshasa.
Et puis, l’approche que certains d’entre nous ont du pouvoir-os de Kinshasa ne semble pas tenir compte du fait que notre pays est sous la tutelle de l’ONU. Le hold-up électoral ne l’a pas transformé en un pays souverain : le mandat de la Monusco a été prorogé de douze mois. Pendant douze mois, l’effectivité du pouvoir au Congo-Kinshasa ne sera pas entre les mains des nègres de service que nous décrions.
Traitant du départ ou pas de François Hollande pour la Francophonie, nos compatriotes posent en filigrane la question essentielle de la légitimation du pouvoir en Afrique. Ils semblent, eux qui luttent pour un Congo souverain, soutenir imaginairement que la légitimation du pouvoir chez nous doit venir de l’extérieur, de la « communauté internationale » qu’ils critiquent au quotidien. N’y a-t-il pas là une flagrante contradiction ? C’est comme si toutes les preuves que nous avons sur le soutien de cette « communauté internationale » au hold-up électoral ne suffisaient pas afin que nous puissions la disqualifier une fois pour toutes dans l’organisation de nos luttes pour notre souveraineté politique, économique et culturelle ! Nous pourrons chercher des alliés ailleurs. En Amérique Latine ou chez les Indignés, par exemple.
Et puis, sommes-nous plusieurs à comprendre que comme presque tous les pays de l’UE, la France travaille à la neutralisation du suffrage universel et ne peut pas aller à l’encontre des directives de la Troïka composée de la Commission Européenne, de la Banque Centrale Européenne et du Fonds monétaire international ? Sur ce point, il y a un livre qu’il serait nécessaire de lire : Circus pliticus de deux journalistes Français (Christophe Deloire et Chritophe Dubois). Ce que ces deux journalistes ont découvert en fréquentant les réunions de la Commission Européenne à Bruxelles ou celles de la Trilatérale, du Siècle ou de Bidelberg, François Miterrand l’avait déjà confié à son épouse quand il a pris le pouvoir en 1981.
« Mai 1981 fut un mois de grande activité, confie Danielle Miterrand, car c’était la préparation de l’arrivée au pouvoir de François. J’essayais d’apporter tout ce qu’il y a de meilleur en moi, pour que ces rêves d’avoir une société socialiste, quoique à l’européenne, deviennent réalité. Mais bien vite j’ai commencé à voir que France juste et équitable ne pouvait pas s’établir. Alors je lui demandais à François : Pourquoi maintenant que tu en as le pouvoir ne fais-tu pas ce que tu avais offert ? Il me répondait qu’il n’avait pas le pouvoir d’affronter la Banque mondiale, le capitalisme, le néolibéralisme. Qu’il avait gagné un gouvernement mais non pas le pouvoir. J’appris ainsi, renchérit Danielle Miterrand, que d’être le gouvernement, être président, ne sert pas à grand-chose dans ces sociétés sujettes, soumises au capitalisme. J’ai vécu l’expérience directement durant 14 ans. Même s’il essayait d’éviter le côté le plus négatif du capitalisme, les rêves ont commencé à se briser très rapidement. » (Extrait d’un entretien entre Danielle Miterrand et Hernando Calvo Ospina. Cet entretien est intitulé « La démocratie n’existe ni aux USA, ni en France ».)
La matrice consensuelle à partir de laquelle se nouent et se dénouent les alliances entre les pays occidentaux, les dictatures et les tyrannies africaines est là : le capitalisme et le néolibéralisme portés par les Institutions Financières Internationales. Cette matrice consensuelle réunit la gauche et la droite française avec tout son corollaire de violence et de répression.
Aujourd’hui, en France, « ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la gauche est l’Idée réactive que suscite inévitablement l’Idée émancipatrice. Qu’est-ce que cette Idée réactive ? C’est l’Idée que le désir dont se charge une Idée émancipatrice pour devenir réel à moindre frais (…). Avoir le réel sans y frotter, avoir la lumière sans l’allumer, être dehors sans sortir, se transformer sans endurer d’angoisse, tout changer sans rien casser. Tel est le programme invariable et inéluctable des gardiens intérimaires du cinéma capitaliste, de la Gauche éternelle. » ( A. BADIOU, Sarkozy : pire que prévu. Les autres : prévoir le pire, Paris, Nouvelles Editions Lignes, 2012, p. 81).
Comme pour notre pays, l’histoire politique de ceux que nous croyons, à tord ou à raison, être nos partenaires extérieurs mérite d’être connue et approfondie pour nous éviter un gaspillage inutile de temps et d’énergie souvent lié à l’amnésie et à la lobotomisation entretenues par les médias dominants et certains intellectuels « technocrates ». Cela nous éviterait aussi de tomber facilement dans la désillusion et la résignation.
Au sujet de la France de François Hollande et du Congo (RD), avec Laurent Fabius aux Affaires étrangères, la rupture avec le modus operandi de la françafrique risque d’être beaucoup plus apparente que réelle. Même s’il ne se rendait pas au sommet de la Francophonie à Kinshasa en octobre prochain. François Miterrand n’a pas fait mieux. La France, d’un François à un autre, demeurera la même : la France capitaliste au service des oligarchies d’argent et participant aux guerres de prédation à l’extérieur. La violence est entretenue par ce capitalisme du désastre.
Ce constat devrait-il nous conduire à baisser les bras ? Non. Mais à mener des luttes stratégiquement intelligentes et sages comme celle de la grande unité dans la diversité (entre nous) pour notre souveraineté plurielle et celle du panafricanisme des peuples en Afrique. L’Afrique unie pourra peser dans la balance des rapports de force avec les autres continents.
Mbelu Babanya Kabudi