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Espoir, défaitisme, lutte au Congo-Kinshasa

Espoir, défaitisme, lutte au Congo-Kinshasa

Espoir, défaitisme, lutte au Congo-Kinshasa IN

Par Lomomba Emongo, écrivain et professeur de philosophie.

Où en est-on au Congo-Kinshasa ce 31 mars 2012 ? À cette question, nombreux sont ceux qui ne voient plus d’issue positive à ce que d’autres appellent crise politique. Encore faut-il évaluer correctement le chemin parcouru, avant de dessiner des nouvelles perspectives dans l’optique de l’indépendance véritable du Congo. Trois termes me semblent porter le poids de ce double exercice réflexif : l’espoir mis à mal, le défaitisme annoncé de certains, la lutte toujours et encore (dont je parlais déjà dans mon livre : Le devoir de libération. Esclave, libère-toi toi-même, L’Harmattan, 1997)

 

L’espoir : retour sur le 16 février 2012

Le 16 février 2012, date de tous les espoirs, faut-il le rappeler, n’a pas tenu ses pro­messes. Il n’est pas exclu que l’organisation ait failli à un niveau ou un autre. Néanmoins, en dépit de ses ratés probables, je n’hésite pas à affirmer que pour trois raisons au moins, l’ampleur même de la répression à cette occasion donne a contrario la victoire aux mani­festants.

1. Lorsqu’un pouvoir n’a plus que la répression comme forme de gouvernance, cha­cune de ses descentes meurtrières consolide un aveu d’échec. Désormais sans pro­jet d’avenir, un tel pouvoir se trouve tout entier acculé à la défensive. La gestion du pays se résume pour lui en la meilleure façon d’intimider, voire d’éliminer ses opposants. Rôle tout d’arrière-garde, que celui-là ! En fait, voilà une attitude de désespoir, car gouverner par défi n’est pas gouverner. Que des leçons à en tirer. D’abord, la gouvernance par la répression est une fuite en avant parfaitement inutile ; non seulement cette façon de faire use plus vite qu’on ne croit, mais plus tôt que tard le régime répressif sans plus finit par tomber non sans fracas. Ensuite, je dirais en paraphrasant quelqu’un qu’on peut assassiner le peuple dans quelques-uns de ses fils et filles, mais on ne peut assassiner tout le peuple une fois pour toutes. D’ici, je m’entends accuser de rêver en couleur. Le printemps arabe est là, qui parle à ma décharge : quelle que soit la puissance d’un régime despotique, il est un seuil de répression au-delà duquel ses meilleurs amis eux-mêmes se désolidari­sent. Une distance prudente, des « fuites » dans la presse internationale sur cer­taines affaires concernant les ténors du régime, des transfuges fuyants le navire à la dérive, etc. sont quelques-uns des signes avant-coureurs. La démission de trois diplomates congolais à Londres en est, de mon point de vue.

2. Le déploiement sans précédent des forces de répression pour étouffer dans l’œuf la manifestation prévue pour le 16 février 2012, indique clairement que le régime Kabila craint par-dessus tout la force mobilisatrice de l’église catholique ainsi que le ras-le-bol de la population de Kinshasa. L’armada déployée ce jour-là et les méthodes employées sont à la mesure de cette crainte. Pour une démonstration de force, celle-là a atteint au délire. Bien compréhensible, un sentiment d’échec en résulte, nourri par les nombreuses victimes de la dictature, victimes actuellement impossibles à venger ni en droit ni autrement. En réalité, voilà qui devrait réconforter les chrétiens et les Kinois ac­quis au changement ; voilà qui leur confirme a contrario qu’ils sont les plus forts. Pourvu qu’ils prennent conscience de ce pouvoir qu’ils ont de terroriser le terro­risme d’État dirigé contre eux en première ligne. Des paroles que tout cela ? Oui, sans doute, mais seulement jusqu’au jour où la population de Kinshasa plus que d’ailleurs dans l’hinterland décidera de pousser son avantage jusqu’au bout. Je ne doute pas le moins du monde que ce jour-là, le régime Kabila s’en ira en poussière.

3. La répression du 16 février 2012 avait pour visée, on s’en doute, d’empêcher coûte que coûte une probable chute de l’usurpateur Kabila. Elle n’a atteint cet ob­jectif qu’en affichant les vraies couleurs du régime Kabila : une dictature avérée de type État policier. Pour une victoire qui pense se nourrir de démocratie, en voi­là une qui jure contre les principes élémentaires de la démocratie justement. J’entends déjà les voix amères qui sauteront sur ces mots pour me rappeler com­bien, précisément, une dictature de ce type ne comprend que le langage de la force. À ceux-là, je demande de me croire sur parole : en dehors de quelques dé­sespérés dont Kabila lui-même, la grande majorité de ses supporters n’ont cesse de chercher comment s’en tirer ainsi que leurs familles respectives. Oui, je dis que pour ceux-ci, rester au pays ou fuir en Occident quand interviendra le changement – et il interviendra –, est désormais une solution à haut risque. S’ils échappent à la vindicte du peuple congolais de l’intérieur ou de la diaspora, ils échapperont diffi­cilement à la justice sinon du nouveau pouvoir de Kinshasa, du moins internatio­nale. Au demeurant, Kabila n’est pas dupe d’être servi par des opportunistes qui n’attendent que l’occasion de tourner casaque et de le trahir comme ils ont déjà trahi d’autres avant lui.

Que de raisons d’espérer dès lors. Que d’arguments offerts au peuple de non seulement poursuivre la lutte, mais de resserrer l’étau autour de l’usurpateur, au nom de sa souve­raineté que personne ne peut lui contester.

Le défaitisme : la tentation du bilan

En ce 31 mars 2012, j’ai noté une forte propension chez bien de Congolais à faire le bilan de la lutte, suite à la « défaite » du 16 février dernier. Ce bilan – que certains ont déjà établi – va systématiquement dans le sens de l’échec de la lutte pour le changement. Sans toujours le dire ouvertement, certains se complaisent déjà dans la résignation, se laissant de plus en plus contaminer par l’idée toxique des négociations en position de faiblesse tout en rêvant des prochaines échéances démocratiques. Le leur reprocher m’est bien difficile, tant peu manquent les raisons qui nourrissent cette sorte de défaitisme. Oui, j’ai bien dit : défaitisme, car leur attitude me semble renouveler sans contrepartie le crédit que le peuple du Congo a toujours consenti aux promesses ja­mais tenues de ceux qui, apparemment, lui veulent du bien. Mes raisons de ne pas blâmer les blasés par le prolongement de la lutte sont des plus simples.

1. Kabila persiste et signe en matière de répression. Témoins : le président de la ré­publique Étienne Tshisekedi est toujours en résidence surveillée sur son ordre, des combattants de la diaspora descendus au Congo se sont vu confisquer leur passe­port (exemple Babi Balukuna), un peu partout au pays se poursuit l’œuvre san­guinaire d’élimination de quiconque ose contrarier le pouvoir autocratique de Ka­bila. Je n’y vois pour ma part que des victoires moralement et juridiquement indé­fendables, qui conduiront tôt ou tard leurs auteurs devant des tribunaux comme indiqué ci-dessus.

2. Kabila mène tambour battant le débauchage de ses opposants. On entend parfois les plus intelligents d’entre ceux-ci bavarder sur la nécessité de lutter de l’intérieur ; en réalité, ils commercent avec le vent en inscrivant leur vision de la lutte dans l’illégalité et l’illégitimité du pouvoir en place. En fait, ils redonnent raison aux plans du statu quo néocolonialiste au Congo-Kinshasa. Pour ma part, je ne m’en étonne guère. Non seulement chacun a-t-il le droit de servir le camp de son choix, que ce soit par conviction ou par opportunisme poli­tique, mais il est bien connu que des félons ont toujours peuplé les rangs de toute opposition digne de ce nom. Sans principes et sans honneur, ces politiciens à la petite semaine qui changent d’allégeance chaque fois que change le nom du plus fort, sont ceux-là même qui forment ce qu’on appelle si judicieusement l’opposition alimentaire. Rien, donc, que de farfelu. Parler de victoire de Kabila à leur sujet ? Plutôt : Kabila ne fait que faire le plein de la médiocrité à travers un ramassis au mieux de thuriféraires patentés et au pire d’incompétents enthou­siastes.

3. Kabila a enfin reçu la bénédiction officielle d’un pays occidental, la Belgique par son ministre des affaires étrangères. Beaucoup craignent en cela une reconnais­sance internationale de sa « réélection », reconnaissance qui le rendrait doréna­vant « fréquentable ». Ce serait en effet l’ultime victoire de Kabila, puisque son pouvoir lui vient tout entier d’Occident. À cela, deux niveaux de réflexion. D’abord qu’en dehors des frites et de son usine d’armement (Fabrique Nationale) d’Herstal, la Belgique ne représente quelque chose qu’à travers son ancienne colonie, le Congo-Kinshasa. Ensuite après sa sor­tie de crise institutionnelle qui a duré le temps qu’on sait, la seule façon pour la diplomatie belge de se faire du crédit politique sur le plan international c’est de se positionner dans l’une ou l’autre affaire concernant le Congo. De sorte qu’à cer­tains égards, la démarche hasardeuse du ministre belge est un passage obligé. Cela étant, moi trop dur envers la Belgique ? Qu’on médite ceci avant de me ju­ger : en refoulant des demandeurs d’asile congolais, le peuple belge souverain les a en réalité livrés au régime dont ils tentaient de se protéger ; mais lorsque le peuple congolais tout aussi souverain veut se débarrasser de ce régime de terreur, le peuple belge par ses officiels accoure au secours de ce régime. Et davantage : lorsque des manifestants belges d’origine congolaise commencent une émeute (violemment réprimée) à Bruxelles, l’ambassadeur belge à Kinshasa est aussitôt mandaté pour « demander clairement » à Étienne Tshisekedi de calmer ses sup­porters de Belgique ; mais lorsque le régime Kabila contre lequel luttent les Bel­ges d’origine congolaise fait tirer à bout touchant contre la population désarmée, la Belgique aux premières loges prend acte et se tait à travers le silence entendu de son ambassadeur. Suivez mon regard et vous verrez tout de suite la nouvelle il­lustration de ce que Sartre appelait « la solution néocolonialiste » à propos de Lumumba, en l’espèce cette fois-ci de la collusion des intérêts de Kabila et de l’impérialisme occidental au Congo. Encore un excès de ma part ? Encore faut-il me démontrer que qui dit Belgique dit autre chose que la troïka Belgique-France-Etats-Unis relativement au Congo ; pour passer sous silence les multinationales autrement puissantes à l’ère de la mondialisation. Tant et si bien que Kabila ne vaut pas plus qu’un dictateur-ustensile ; après usage, on se débarrassera le moment venu sans souci aucun pour le menu fretin de ses acolytes locaux.

Que des raisons, une fois encore, de suspendre la tentation du bilan, la lutte étant toujours d’actualité.

Une perspective : la lutte

La lutte, encore et toujours. Pourquoi et jusqu’à quand, me demandera-t-on ? Les ré­ponses sont d’évidence, en ce qui me concerne : le destin actuel du Congo-Kinshasa étant en fin de compte la sujétion néocolonialiste en mal d’adaptation, l’établissement d’un État de droit qui n’est possible que sous le signe de l’émanation populaire constitue le premier pas vers la sortie de cette auberge. Transiger avec l’évidence de la lutte pour ce faire c’est, à mon sens, transiger avec sa souveraineté pour le peuple congolais. Trois raisons m’y confortent parmi d’autres :

1. Le changement souhaité ne se peut faire d’un seul coup. Le peuple congolais doit donc savoir que le changement véritable, celui qui dure et qui marque l’histoire de l’humanité exige une longue gestation. Quelqu’un ne disait-il pas qu’on ne fait pas le changement, on l’accompagne plutôt ?

2. La lutte supposée conduire au changement véritable ne peut par conséquent qu’être de longue haleine. Le peuple congolais doit savoir que dans la vie d’un peuple, la lutte pour la liberté ne finit jamais, que chaque victoire est le début d’une autre phase de la même lutte, que le contentement lié aux demi-solutions est son pire ennemi, qu’elle comporte des exigences éthiques supérieures pouvant al­ler jusqu’au sacrifice suprême (et Cédric Nianza s’immola par le feu, en hostie propitiatoire de la démocratie au Congo !). De sorte qu’après le 16 février 2012, la lutte doit prendre la mesure des enjeux du présent et s’ajuster en conséquence.

3. La victoire attendue, dois-je le dire en toutes lettres, ne sera ni donnée une fois pour toutes ni acquise pour toujours. Le peuple congolais doit savoir que les peuples vivent de leur capacité à se projeter dans le futur, à relever les défis cons­tamment renouvelés dans la concrétisation de ce projet, à s’affirmer et réaffirmer sur l’échiquier concurrentiel du concert des nations. Si bien que ceux qui atten­daient le 16 février dernier comme le jour de la victoire finale doivent réviser leur copie et reprendre les armes pour remonter à l’assaut des ennemis du Congo, leurs ennemis toujours virulents, eux.

Oui, l’espoir persiste contre la tentation du défaitisme. Oui, l’espoir du Congo-Kinshasa réside dans la lutte héroïque que mène son peuple vaillant. Et c’est à la lutte et à ses com­battants que je dédie ces vers de mon dernier livre Versant Lumière (Montréal, Éditions CIDIHCA, 2011) : Un rêve / Au bout de ma plume, un rêve irrépressible / « Au commencement sera le Con-go mien / Le seuil du siècle enfant / La porte du millénaire nouveau ».

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