Par Lydia MBOMBO KAZADI pour La Ligue des Mères de la Nation (LMN)
La radio, la télévision, les journaux, toute la presse est concernée par le coupage. C’est devenu un passage obligé qui perdurera aussi longtemps que les journalistes et techniciens des médias gagneront un salaire de misère ou, parfois même, rien du tout parce que n’étant pas sous contrat.
Tout a commencé à l’époque du régime du feu président Mobutu par le truchement de son vice-ministre des Finances, Mr Kupa …. Le terme « coupage » est venu de là. Un jour, il gratifia une équipe de journalistes qui avait fait un bon travail. Il a recommencé une fois, deux fois et c’était parti…. Tout le monde a suivi. Et, quand les médias privés ont explosé, la corruption s’est généralisée.
Le coupage est un système né sous le régime de la deuxième République. Comme toutes les formes de corruption de la deuxième République, cela paraissait normal ; il fallait bien que les rédactions vivent. Ce système avait et a pris (puisque depuis rien n’a changé) la place des salaires. Des enveloppes sont distribuées, par des tiers dits « coupeurs », aux journalistes qui eux-mêmes reversent une partie de la somme perçue à la rédaction selon des propos recueillis par Adia Tshipuku, journaliste de 31 ans à la radio Okapi en RDC.
La radio, la télévision, les journaux, toute la presse est concernée par le coupage. C’est devenu un passage obligé qui perdurera aussi longtemps que les journalistes et techniciens des médias gagneront un salaire de misère ou, parfois même, rien du tout parce que n’étant pas sous contrat. Depuis, chaque journaliste s’est créé, s’est donné un secteur d’activité précis. Ainsi, à chaque manifestation touchant ce secteur d’activité l’entreprise, l’organisme ou une personne physique quelconque l’invite, lui le spécialiste, pour couvrir l’événement ou l’interview et, à la fin, il y a son cachet. Et, lorsque le journaliste quitte cet organe de presse, il ou elle s’en va avec ses « bilanga »¹ c’est-à-dire que si il y a d’autres événements à couvrir pour la même entreprise, organisme ou personne physique, il sera contacté dans son nouvel organe de presse en exclusivité.
Aujourd’hui, le coupage, « madesu ya bana »², est considéré comme un dû c’est-à-dire que le journaliste attend de pied ferme son enveloppe après avoir couvert un événement et c’est, d’avance, connu. Il n’y a rien de caché. La notion de corruption dans le concept du coupage a, semble-t-il, disparu.
On ne peut pas toujours affirmer que ces coupages représentent des sommes importantes. Cela dépend d’une entreprise à l’autre, d’une association à l’autre. Normalement, les organismes internationaux proposent ou fixent un montant précis pour chaque journaliste invité. Il n’y a pas de coupage pour le journaliste non-invité ! Ce montant peut varier entre 100 à 300$ par reportage, soit 1000 à 1500$ pour une mission de trois jours. Lui, à son tour, partage avec son équipe, c’est-à-dire le cameraman, le monteur d’images et le preneur de son, et reverse une autre partie dans la caisse de la rédaction. Si, dans le cas contraire, il n’y a pas de coupage, il n’y aura ni diffusion ou transmission, ni publication et, bien sûr, pas de prochaine fois. Je ne pense pas, s’il me fallait faire un état des lieux, que je puisse juger le fonctionnement des médias de notre pays. La publicité est quasi inexistante si ce n’est quelques annonces ou spots publicitaires de marques de bière, de cosmétiques, des denrées alimentaires, des nouvelles banques et des entreprises de communications qui font gagner un peu d’argent aux médias en général et aux rédactions en particulier.
Au-delà des coupages, les femmes sont victimes d’harcèlement sexuel, qu’elles soient mariées ou non, parce que dès lors qu’on se croit supérieur à quelqu’un, les rapports sont faussés, biaisés et, cela ressemble très fort à une invitation au désastre. Le coupage est un rapport entre un corrupteur et un corrompu et quand on entre dans la logique implacable du « je donne, tu prends », la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit. Donc, si je t’offre ceci, que vas-tu m’offrir en retour ? Ce rapport des forces mis en perspective avec les rapports hommes-femmes, ce genre de marchandage ne peut aboutir qu’à des calculs mesquins. Les femmes aux esprits faibles, celles qui disent hypocritement ne pas avoir le choix, se laissent faire au-delà des coupages pour répondre à des invitations n’ayant rien à voir avec le métier. C’est ainsi que certaines roulent carrosses et d’autres non.
Je suis journaliste de formation à l’institut facultaire des sciences de l’information et de la communication « IFASIC » en sigle, et j’ai eu à effectuer des stages au sein de certains organes de presse de la ville de Kinshasa. De plus, j’ai beaucoup d’amis qui évoluent dans le secteur. Je ne peux rester insensible aux lamentations et aux souffrances de mes confrères et consœurs journalistes. Ma conviction est qu’il y a pléthore d’organes de presse dans tout le pays. Il y a un grand engouement dans le secteur de la presse parmi les jeunes étudiants et jeunes journalistes qui viennent d’achever leurs études. Mais où est la qualité ? Il y a trop peu d’organes qui méritent d’être appelés organe ou entreprise de presse.
L’Union Nationale de la Presse du Congo est responsable du désordre qui règne actuellement dans la profession, car le désordre date de longtemps. A l’époque où il y avait une seule station de radio et de télévision pour le pays, à savoir la RTNC la chaîne nationale, ainsi que quelques journaux seulement, la qualité du travail était appréciable et meilleure. L’UNPC, présente à l’époque, a assisté à l’éclosion du phénomène de coupage et l’a laissé se développer au point de l’institutionnaliser aujourd’hui. La responsabilité incombe également aux pouvoirs publics qui donnent les autorisations de fonctionnement à ceux qui en font la demande mais qui, pourtant, ne respectent pas les conditions exigées pour être de véritables organes de presse. Combien d’entreprises de presse disposent d’un capital suffisant en compte en banque ? Et qui gèrent ces entreprises ?
Lorsqu’on se pose de telles questions, on comprend facilement quel est l’état des lieux de nos médias et le rapport qui s’est établi entre les éditeurs, les propriétaires de chaînes et de stations de télévision, d’une part et les journalistes, d’autre part concernant le paiement des salaires conséquents et convenables pour ces derniers. Ces soi-disant organes de presse ne sont même pas en mesure d’affilier leur personnel, y compris les journalistes, à l’inss (institut national de sécurité sociale) ou de souscrire une police d’assurance-risque pour les journalistes en mission en contact avec des risques de tout genre. Ces organes sont-ils capables de prendre en charge intégralement les missions de leurs journalistes sans l’intervention du coupage ?
Car, que voyons-nous habituellement ? Que tel ministre en déplacement en province pour inaugurer une entreprise prendra en charge les journalistes sélectionnés par son attaché de presse et non les journalistes désignés par les organes de presse. Même pour les manifestations officielles, les professionnels des médias se font prendre en charge par le gouvernement. Comment voulez-vous que les éditeurs puissent signer des contrats de travail dans ces conditions ? Ces organes de presse qui ne disposent pas de compte en banque pourtant exigé par la loi pour obtenir l’autorisation de paraître, quels contrats peuvent-ils proposer à leurs journalistes et en quels termes ? Quelle crédibilité ? Quelle objectivité ? Il est même triste de constater que certaines entreprises attendent l’argent du coupage pour pouvoir sortir un journal ! Il faudrait essayer d’approfondir le dossier et étayer les éléments pour voir un peu plus clair dans le secteur.
Les médias actuels sont, en grande partie, créés pour servir des politiciens. Il faut créer un organe de presse (presse écrite ou audiovisuelle) afin de jouer un rôle dans la société et remplir, pour cela, des critères bien précis prévus à cette fin.
Le gouvernement doit punir les hors-la-loi et appliquer scrupuleusement l’opération « tolérance zéro » dans le domaine des médias. Tous les organes non conformes et ne répondant pas aux critères légaux devraient être fermés. Les journalistes de notre pays courent d’énormes risques lorsqu’ils font correctement leur travail. Il appartient aux pouvoirs publics de les sécuriser. Ils ont un rôle important à jouer dans la société. On constate qu’ils ne sont pas suffisamment payés et personne ne dit mot. Les organes de presse deviennent comme de sortes de poulaillers où certains s’y introduisent par effraction.
Puisque je suis une femme, touchons le point féminin. C’est encore plus triste de voir les filles qui détonnent dans l’ambiance du paysage audiovisuel congolais où les musiciens s’amusent avec elles. A croire que l’IFASIC, d’où je suis moi-même sortie, les a formées pour qu’elles se coiffent, s’habillent, se parent de bijoux pour être les copines et que sais-je encore de ces musiciens, souvent incultes, qui se les refilent et même les passent à leurs Atalaku³… Certaines de mes consœurs passent à la télé après avoir décroché son parchemin pour finir entre les bras des politiciens, des musiciens juste pour de l’argent car elles sont très mal payées, par ailleurs ; d’autres, vont même jusqu’à crier : « CHANCE ELOKO PAMBA ». Nous nous sentons déshonorées et sommes honteuses de voir certaines étudiantes incapables d’articuler correctement, incapables parfois de lire avec clarté leur propre papier, incultes quant à la culture générale. Sont-elles venues à la presse parce qu’elles avaient échoué ailleurs ? Elles écrivent très mal : paran pour parent, porter pour porteur, g vien pour je viens, etc. … au rythme des sms. Et on retrouve ce vocabulaire et cette orthographe même dans des lettres adressées à une autorité. Les filles qui font les chroniques musicales passent d’un musicien à l’autre ; elles se battent entre elles pour s’arracher un musicien illettré….
Notre presse est malade et cela a déteint sur les journalistes pourtant très bien formés eux-mêmes devenus malades par le fait du coupage, de l’argent sale dans la profession. Le journaliste est devenu fantaisiste, d’une fantaisie qui les pousse à se croire de façon erronée, plus intelligent, plus cultivé que les autres congolais. Pour que la mendicité du journaliste s’arrête, il faudrait des salaires décents, de vrais contrats et, pour cela, accorder des subventions en priorité aux médias publics. Il faudrait nettoyer le « cerveau » de la société par des cours d’éducation civique et morale dès l’école primaire pour faire grandir le patriotisme, l’amour de la patrie. Il faudrait revoir les critères de qualification des journalistes, inconscients du fait que le coupage est contraire au code de déontologie de la presse. La main qui donne réclame toujours à tout réorganiser à son profit.
Lydia MBOMBO KAZADI
Lexique :
1. Bilanga : mot lingala désignant les champs, c’est à dire une façon de récupérer de l’argent indéfiniment.
2. Madesu ya bana : en lingala, littéralement, les haricots des enfants. Autrement dit, un pourboire.
3. Atalaku : dans la musique congolaise, ce terme générique désigne les animateurs.